Le nom «Rital» fut donné aux immigrés italiens arrivés en masse avant et après la Seconde Guerre mondiale pour travailler souvent dans les bassins miniers du nord de la France, en Belgique ou encore en Suisse. «R.ital.», a pour origine la mention «Réfugié italien», celle-ci était inscrite sur les papiers des immigrés.
Dans l’article suivant, nous allons réfléchir sur l’intégration italienne en France, en ramenant à la mémoire les origines italiennes de certains personnages français qui ont réussi leur vie et la dynamique migratoire qui les conduisit dans le pays au-delà des alpes.
Jules Claretie, écrivain, historien et journaliste, directeur de l’Académie Française en 1908, il a adressé les mots suivants à Raniero Paulucci De Calboli, diplomate italien à Paris en 1898. Les mots rapportés par ce dernier dans la préface de l’œuvre «Larmes et sourires de l’émigration italienne» (Société de l’édition et des publications, Librairie Félix Juven, Paris 1908), s’exprime de cette façon :
«Il y a bien longtemps que je n’ai rencontré dans la rue ces petits Italiens pleurant devant des statuettes de plâtre, brisées ou invendues. Qui n’a pas vu ce triste spectacle ? Des figurines alignées sur le rebord de quelque logis, et, essayant vainement d’attirer l’attention des passants, un pauvre petit colporteur de ces plâtres, se désolant à l’idée de rentrer chez le patron les mains vides et le panier plein. «Comment ! Tu nous rapportes ta marchandise, imbécile qui n’a pas su vendre! Tu te coucheras, ce soir, sans manger!». Bien qu’il soit indubitablement appréciable que de nombreux Français ont été scandalisés ou ont montré «pitié et compassion» à la vue de ces petits travailleurs italiens, ces sentiments ont alimenté indirectement le sentiment d’insuffisance des migrants par rapport à une nouvelle société. La dénonciation du travail des enfants, par exemple, pourrait provoquer une agitation et des préjugés discriminants, laissant tous les Italiens de France à comparaître comme des profiteurs sans scrupules et des délinquants . Généralisation partielle et aggravation, perception empruntée à l’époque aussi d’une certaine littérature, comme il le démontre par exemple «L’invasion», roman de Louis Bertrand de 1907. Dans ce roman, l’auteur accumule les clichés xénophobes et racistes sur les immigrés italiens à Marseille, qui constituaient alors un cinquième de la population de la ville. Le roman exprime non seulement la peur de l’«invasion» du territoire français par des étrangers, mais reflète aussi la progression d’idées que Bertrand —ultranationaliste et anti-démocrate—, considérait comme dangereuses pour le bon peuple travailleur et respectueux.
Les Italiens qui sont arrivés en France entre la fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle, afin d’accélérer le processus d’intégration sociale, apprennent la langue française, renoncent à enseigner le dialecte ou la langue des origines à leurs propres enfants et beaucoup d’entre eux, changent leurs prénoms et leurs patronymes italiens en français . Elle était si grande la honte d’être perçu comme Italiens dans l’Hexagone, mais aussi en Belgique ou en Suisse, que cette décision de changer de patronyme s’imposait.
Il est inutile de passer sous silence le fait que l’arrivée massive d’Italiens en France a créé plus d’un problème à la population française et que le mécontentement a dégénéré en actes de violence dont j’aimerais vous rappeler à titre d’exemples deux épisodes bien connus survenus dans le sud de la France.
Le premier concerne la zone de Marseille avec la «chasse aux Italiens» lancée par le mouvement xénophobe dit des «Vêpres marseillaises» du 17 au 20 juin 1881 qui fit trois morts et vingt et un blessés. Ce nom fait référence aux «Vêpres siciliennes» en 1282, dans ce cas, furent au contraire les Italiens de Sicile qui se révoltèrent contre l’occupation de Charles 1er d’Anjou, suite à un viol d’une femme sicilienne par un des occupants, donnant ainsi lieu à une «Chasse aux Français» qui dégénéra en une véritable tuerie et révolte.
Le second événement eut lieu à Aigues-Mortes, dans le Gard, les 16 et 17 août 1893. Cette petite ville fut le théâtre de graves confrontations qui dégénérèrent et conduisirent au lynchage et au massacre de saisonniers italiens de la Compagnie des Salins du Midi (on déplora au moins huit morts et plus de cinquante blessés). Le mouvement fut déclenché par des ouvriers français qui, ne parvenant pas à supporter le rythme des italiens prêts à travailler intensément dans l’unique but d’un gain économique, virent en eux la menace de la suppression de leur poste de travail et de la dégradation de leurs conditions de travail.
Antonio Bechelloni, professeur à l’Université Charles de Gaulle de Lille 3, déclare dans une interview à Fréquence Paris Plurielle, que quatre millions de Français ont au moins deux grands-parents sur quatre d’origine italienne. La déclaration de Bechelloni étonne encore plus si comparée au nombre de Franco-Italiens naturalisés français, qui remportèrent le succès dans les années trente du XXe siècle grâce à la musique, au théâtre ou bien au cinéma.
Grâce à l’afflux massif d’Italiens en France et à leur séjour continu dans le pays, les différences entre les nouveaux citoyens et les natifs ont été atténuées, mais elles ne se sont pas complètement dissoutes, continuant à nourrir en elles une richesse identitaire intime, unique et inimitable. La prise de conscience de la préciosité de ce bagage culturel permettra aux immigrants italiens de trouver de nouvelles clés d’intégration sociale et de donner naissance à de grands artistes italo-français qui, dans différents domaines, en particulier le cinématographique ou encore le musical, le sportif et le théâtrale, elle démontrera à la France les qualités extraordinaires de ces Italiens naturalisés français. Voici quelques-uns, dont les noms sont maintenant très connus mais dont souvent l’on ignore leur origine .
Les origines franco-italiennes du célèbre politicien Léon Gambetta (Cahors 1838-ville-d’Avray 1882) suggèrent, cependant, que la rencontre entre les deux peuples avait déjà commencé dans les premières décennies du XIXe siècle : Gambetta est né en fait d’un père italien de Gênes et d’une mère française.
Si l’on remonte rapidement l’histoire, on remarquera que le premier Italien naturalisé français du XXe siècle a été l’acteur et lutteur Angiolino Giuseppe Pasquale Ventura, mieux connu sous le nom de Lino Ventura, né à Parme (Emilie-Romagne) en 1919 et décédé à Saint-Cloud en 1987. Il émigre avec ses parents à Paris en 1927. Toujours dans la même catégorie des acteurs, nous avons alors Ivo Livi, son nom d’emprunt est Yves Montand, né à Monsummano Terme (Toscane) en 1921 et décédé à Senlis en 1991, dont les parents, en tant que socialistes italiens ont été forcés de se rendre à Marseille en 1923 pour échapper à la persécution fasciste. En effet, pendant le «ventennio fascista» beaucoup d’Italiens s’échapperont d’Italie en traversant les Alpes, parfois même en hiver, risquant leurs vies, car considérés des opposants au régime de Mussolini. Comment ne pas se rappeler aussi le grand comédien français Coluche (nom baptismal Michel Colucci) né à Paris en 1944, de père italien originaire de Frosinone (Latium).
De nombreux chanteurs, chanteuses et auteurs-compositeurs suivent, d’abord, Rina Ketty (Cesarina Picchetto), née à Sarzana (Ligurie) en 1911 et décédée à Cannes en 1996. Elle est arrivée à Paris dans les années trente en visitant ses tantes émigrées déjà en France et, fascinée par la mondanité parisienne, y restera. Encore plus célèbre et universellement reconnue comme l’une des plus grandes chanteuses française, est Edith Piaf (Edith Giovanna Gassion), né en 1915 à Paris et décédée en 1963 à Grasse, de père Français et de mère italienne qui était aussi chanteuse connue sous le nom de Line Marsa, Annetta Giovanna Maillard, née en 1895 à Livourne et décédée en 1945 à Paris. Comment pouvoir oublier Léo Ferré, auteur-compositeur-interprète, poète et écrivain, né à la Principauté de Monaco en 1916 et décédé à Castellina in Chianti (Toscane) en 1993, de père français et de mère italienne. C’est en 1969 qu’il retourna régulièrement en Italie où il fut rejoint par sa femme et ses enfants. Serge Reggiani (Sergio Reggiani), né à Reggio Emilia en 1922, arrivé en France en 1930 et ses parents, comme pour les parents d’Yves Montand, ils fuirent la dictature fasciste. Il mourra à Paris en 2004 et tout au long de sa carrière chantera à la fois en français et en italien en ne faisant pas un mystère de son attachement à la mère patrie. Claude Nougarou, également auteur-compositeur-interprète, est né à Toulouse en 1929 de père français, professeur de piano et de mère italienne (Lietta Tellini). Remontant vers le milieu du XXe siècle, nous trouvons Iolanda Cristina Gigliotti, plus connue sous le nom de Dalida, née en 1933 au Caire de parents calabrais originaires de Serrastretta, son père était le premier violoniste à l’Opéra du Caire. Nino Ferrer (Agostino Arturo Maria Ferrari) est né à Gênes en 1934 de père italien et de mère française, et pour terminer avec cette liste de chanteurs-compositeurs, je citerais encore un artiste toujours vivant, Christophe (Daniele Bevilacqua, classe 1945), fils d’un entrepreneur italien en France.
Comme vous pouvez bien le constater, tous ces artistes ont francisé leurs patronymes.
A la liste mentionnée ci-dessus, il faudrait aussi ajouter d’autres chanteurs italiens naturalisés belges qui ont aussi réussi en France, comme Frédéric François, de son vrai nom Francesco Barracato, né à Lercara Friddi (Sicile) en 1950 : son père était mineur en Belgique dans le bassin Carbonifère de Liège. C’est à côté de cette ville et plus précisément à Tilleur, que sa femme et ses enfants vont le rejoindre en 1951. Dans le répertoire de Frédéric François, nous retrouvons la fascinante chanson «Je t’aime à l’italienne» où le chanteur-compositeur exprime, comme beaucoup d’autres chanteurs italiens de France ou de Belgique d’ailleurs, le désir de vouloir s’intégrer, malgré les clichés et certaines vérités concernant le comportement des italiens ou bien des Siciliens vis-à-vis de leur douce moitié, la jalousie qui pouvait parfois se manifester avec une certaine virulence, ou encore la façon de s’exprimer à travers leurs mains, mais aussi comment faire la fête en chantant et buvant un verre de vin Chianti. Et voilà quelques vers de cette chanson, «Je t’aime à l’italienne»
«J’ai le cœur qui bouge, je parle avec les mains
Et je vois tout rouge si tu parles à quelqu’un
J’ai au fond du cœur une drôle de chanson sicilienne
Que tu sais par cœur car ma vie ressemble à la tienne
Je t’aime plus fort que les volcans de l’Italie
Quand résonnent encore les bruits de verres de Chianti»
Pour terminer, je pense que le texte le plus représentatif de la question migratoire italienne en France est sans doute «Le rital» de Claude Barzotti, auteur-compositeur-interprète né en Belgique à Chatelineau en 1953 de parents italiens, où le chanteur reprend le nom «R.Ital.» comme je l’ai dit auparavant, avait été donné en France aux immigrés italiens. C’est la première fois en France qu’on assiste de la part d’un chanteur immigré à une prise de conscience et au désir de s’afficher fièrement en tant qu’ Italien, voire rital, même si cette population italienne continue malgré tout à être perçue par les Français comme étrangère, donc pas encore totalement assimilée et ceci à cause des différences dues à l’aspect physique des Italiens souvent aux cheveux noir corbeau, parfois frisés, à leur peau mate, avec un comportement parfois irascible et coléreux ou encore à leur accent. Pour mieux comprendre les difficultés liée à cette intégration, qui n’a pas été d’ailleurs du tout facile, je vous invite à écouter les paroles de cette chanson de Claude Barzotti : «Je suis rital et je le reste».
«A l’école quand j’étais petit, je n’avais pas beaucoup d’amis et j’aurais voulu m’appeler Dupont, avoir les yeux plus clairs
je rêvais d’être un enfant blanc, j’en voulais un peu à mon père
C’est vrai, je suis un étranger
On me l’a assez répété
J’ai les cheveux couleur corbeau
Je viens du fond de l’Italie
Et j’ai l’accent de mon pays
Italien jusque dans la peau
Je suis rital et je le reste
Et dans le verbe et dans le geste
Vos saisons sont devenues miennes
Ma musique est italienne
Je suis rital dans mes colères
Dans mes douceurs et mes prières
J’ai la mémoire de mon espèce
Je suis rital et je le reste»
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