Le taux le plus élevé d’abandon scolaire est enregistré dans la ville des Aghlabides.
Malgré la stratégie nationale de prévention et de lutte contre l’abandon et l’échec scolaires, adoptée en 2016 par le ministère de l’Education, la gratuité de l’enseignement public et les nombreux programmes d’alphabétisation et d’enseignement pour adultes, le fléau de l’abandon scolaire précoce ne cesse d’augmenter dans le gouvernorat de Kairouan qui détient de nos jours le taux le plus élevé à l’échelle nationale, à savoir 35%. Et les délégations les plus touchées sont Bouhajla (46,3%) et El Ala (43,3%) où le taux de décrochage scolaire s’élève à 17% dans les écoles, à 16% dans les collèges et à 12% dans les lycées.
Il va sans dire que ce phénomène demeure complexe et est lié à un vécu social, à une infrastructure défaillante, à l’absence de transport scolaire dans les zones reculées, à l’analphabétisme des parents, à l’échec du système éducatif, à la pauvreté, à l’absence d’encadrement au sein du milieu scolaire et familial, à l’absence répétée des enseignants, à la montée des grèves et des prestations tous azimuts ainsi qu’à l’état vétuste de beaucoup d’écoles où il n’y ni cantine, ni eau potable, ni bloc sanitaire ni clôture.
Notons dans ce contexte que, lors d’une séance plénière de l’ARP au mois d’avril 2019, consacrée aux questions orales, le ministre de l’Education a indiqué que l’abandon scolaire cause une perte financière estimée à 1,150 million de dinars, soit un taux de 20% du budget du ministère, soulignant à cet égard que le ministère a recensé l’année dernière 101.000 décrocheurs dont la majorité sont des garçons et que plus de 526.000 élèves ont abandonné l’école au cours des cinq dernières années.
C’est pourquoi le ministère a élaboré une stratégie précise en s’inspirant des expériences internationales ayant fait leurs preuves dans le domaine et à travers des mesures telles que la programmation de séances de rattrapage les samedis.
Dans cette même perspective, Ben Salem a indiqué que des cellules d’écoute destinées aux élèves ont été mises en place au sein des établissements scolaires avec le soutien de l’Unicef, en attendant de généraliser l’expérience sur la totalité des institutions éducatives, et ce, en parallèle à l’école de la seconde chance, dans une tentative de récupérer les décrocheurs.
Des conditions socioéconomiques difficiles
Aïcha Jaballah, 18 ans, originaire d’Al Ala et qui a interrompu ses études en 3e année Lettres, nous confie dans ce contexte : «En milieu rural, non seulement nous souffrons de mauvaises conditions socioéconomiques et de la marginalisation, mais de plus, nous devons subir chaque année les menaces de grève, les exigences et le diktat des syndicalistes qui ne cessent de mettre la pression, et d’exiger la satisfaction de tous leurs revendications. Ainsi, ces craintes d’une année blanche et ces négociations interrompues ont fini par nous perturber. C’est vraiment criminel de prendre les élèves en otage au lieu de penser au sérieux, à la persévérance, à l’assiduité, à la réussite scolaire et à l’abnégation. D’ailleurs, beaucoup de mes camarades ont fini par désespérer et avoir des troubles psychologiques et quitter le lycée…».
Son amie Soumaya Shoui, dont le regard était comme embué de larmes, renchérit : «Je n’ai pas eu la chance de terminer mes études à cause des conditions indignes et dangereuses dans lesquelles on se déplace pour rejoindre l’école et de la pauvreté de mes parents qui n’ont pas pu assurer les charges de mes dépenses scolaires. Actuellement, je travaille dans les champs agricoles pour un salaire de misère. Il y a des jours où l’angoisse me saisit et m’étouffe, et une grande panique m’envahit car mes études étaient le centre de mes préoccupations surtout que je vis dans un milieu rural défavorisé. Seules l’éducation et les connaissances m’auraient permis de connaître des lendemains meilleures…».
Commerce parallèle et contrebande
Beaucoup plus loin, dans les villages montagneux de Oueslatia, dont Ennahala, Tawssa, Ras El Itha et Aouled Ayar, nous avons rencontré des jeunes qui ont préféré quitter leurs institutions éducatives pour s’impliquer dans le commerce parallèle, la contrebande et le gain facile. Salah et Amar nous parlent de leur calvaire : «Après avoir quitté les bancs de l’école, nous nous sommes retrouvés dans la rue, sans aucun repère, en proie à la délinquance et à la dépression. D’ailleurs, deux de nos voisins ont tenté de se suicider à cause d’un système éducatif dépassé et de la pression familiale et sociale.
Il est grand temps que l’Etat traite ce phénomène d’abandon scolaire avec sérieux, surtout dans les zones rurales défavorisées… Franchement, nous ne sommes pas optimistes quant à l’avenir de la jeunesse tunisienne. Car, il y a trop de différends, de politique politicienne et les vrais perdants, ce sont les laissés-pour-compte et les couches défavorisées, surtout dans un gouvernorat comme celui de Kairouan, qui est toujours classé parmi les derniers lors des examens et des concours à l’échelle nationale. Voyez par exemple, les résultats du Bac 2019, Kairouan est classé 24e après la session de contrôle!».
Notons, dans ce contexte, que les 58 centres d’alphabétisation et d’enseignement pour adultes ont accueilli l’année dernière 700 apprenants qui ont fini par savoir lire, écrire et compter. En outre, le ministère de l’Education, avec l’appui de partenaires et de la société civile, a décidé de ramener les élèves décrocheurs dans les établissements scolaires. Ainsi, plus de 500 ont une seconde chance de réintégrer les bancs de l’école ou d’accéder à une formation professionnelle.
Par ailleurs, on a organisé des campagnes de sensibilisation qui mettent en exergue l’importance du milieu scolaire comme environnement protecteur de l’enfant fragilisé contre toute forme d’exploitation. Il serait souhaitable, dans ce contexte, de changer l’horaire scolaire, de façon à ce que les cours s’arrêtent à 15h00 et non à 18h00, et d’augmenter le nombre de cantines scolaires, tout en améliorant celles qui existent déjà et qui sont dans un état vétuste.