Accueil Culture Entretien avec Aymen Jlili, directeur du Fifak «L’engagement, sans faille, envers un cinéma de résistance»

Entretien avec Aymen Jlili, directeur du Fifak «L’engagement, sans faille, envers un cinéma de résistance»


Organisé par la Ftca (Fédération tunisienne des cinéastes amateurs), le Fifak (Festival international du film amateur de Kélibia) s’ouvrira dans sa 34e édition, ce soir au théâtre de plein air de la ville de Kélibia  avec le documentaire brésilien «Encantado, le Brésil désenchanté» de Filipe Galvin. Célébrant son 55e anniversaire, le Fifak réunira au cours de cette édition, qui se tiendra du 28 juillet au 3 août, 1.200 participants entre cinéastes amateurs et professionnels, invités et différentes associations. 21 pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique seront représentés au festival. Au programme en substance : 41 films dans les compétitions internationale (25 films) et nationale (16 films), outre les hommages à des figures marquantes du cinéma arabe, notamment, ainsi que des rencontres et des ateliers de formation. Aymen Jlili, directeur du Fifak, nous entretient, ici sur la teneur du programme ainsi que les enjeux et défis à relever, à l’avenir, par la Ftca.


Combien de films tunisiens sont sélectionnés dans la compétition internationale?

Trois en tout.

N’est-ce pas peu  sur les 25 films que compte la compétition?

Ecoutez, nous avons confiance en la commission qui a sélectionné et évalué les films selon la qualité esthétique, l’importance du sujet, le savoir-faire et autres critères.

Cette même commission a également sélectionné 16 films pour la compétition nationale. Selon, également, les critères fixés, tels l’écriture du scénario qui a ses règles, la mise en scène et le thème qui ne doit aucunement  s’opposer à la ligne directrice, aux fondamentaux et aux objectifs  du festival dont la plateforme culturelle consacre l’engagement, sans faille, et le militantisme en faveur des causes politiques, sociales et culturelles des Tunisiens et envers un cinéma de résistance.

Mais chaque année, on s’attend à un meilleur cru que les précédents, mais on est  souvent déçu par le niveau assez moyen des films nationaux.

Quelles en sont les raisons?

Justement après 25 ans d’attente, «Le faucon d’or» de la compétition internationale du Fifak 2018 a été raflé par le film tunisien «Offrandes» du cinéclub d’Hammam-Lif, coréalisé par Halim Jerbi et Youssef Béhi.

Donc, on peut en tirer la conséquence que notre cinéma, amateur est en train de progresser et d’évoluer qualitativement.

Toutefois, pour une meilleure évolution de ce cinéma, la formation s’avère nécessaire. Or, pour cela, il faut plus de moyens  matériels et financiers. Mais après l’augmentation importante de la subvention de la Ftca, qui est passée de 15.000 à 70.000 dinars, soit le budget d’un court métrage professionnel, on peut, aujourd’hui, se focaliser davantage sur la formation des 500 membres des 20 clubs de la Ftca.

On constate, souvent, que les films amateurs tunisiens présentés au Fifak privilégient le discours sur l’esthétique et la mise en scène. Comment comptez-vous encadrer les jeunes afin de réaliser un certain équilibre entre le fond et la forme ?

C’est vrai et on en est conscient à la Ftca, c’est pourquoi notre credo est, désormais, l’éducation cinématographique. C’est pourquoi on prépare un projet dans ce sens qui consiste à favoriser l’éducation cinématographique permettant l’acquisition d’une culture cinématographique à travers la vision de films importants et marquants du cinéma mondial. Cela, tout en tenant toujours compte des fondamentaux de la Ftca et de son engagement envers le cinéma militant et de résistance.

Comment expliquez-vous que depuis des années on n’a pas vu briller les films de la Ftca dans d’autres festivals internationaux ?

D’abord, le Fifak est, aujourd’hui, le seul Festival international du cinéma amateur. Ensuite, on a choisi de ne pas concourir dans les festivals du cinéma professionnel, même si cette année le film «Offrandes» a participé en 2018 aux «Nuits du court-métrage» organisées par la Maison de Tunisie à Paris et a raflé le premier prix. Ce choix a été fait, car on estime que le jeune cinéaste amateur, encore en formation, risque, en se confrontant à des professionnels, de «s’égarer en route» et de perdre le fil. Car, l’important, à nos yeux, est qu’il se perfectionne et achève sa formation avant de se lancer dans le professionnalisme comme l’ont fait, auparavant, plusieurs réalisateurs, dont Walid Matar, Walid Taya et d’autres jeunes devenus des techniciens professionnels confirmés.

La visibilité et la diffusion des films amateurs à la télé et dans les festivals internationaux demeurent timorées. Quelles en sont les raisons et comment y remédier ?

Il est vrai que les films, qui ne sont pas montrés, sont morts-nés, même si certains demeurent, malgré tout, des références, voire des films cultes.

Mais pour y remédier, nous agissons en collaborant avec plusieurs manifestations africaines et arabes dont le Festival du cinéma africain de Khouribga (Maroc), le Festival du film documentaire d’Ismaïlia (Egypte), le Festival de l’enfance et de la jeunesse de Damas, ainsi que le Fespaco (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou), dont nous avons invité les directeurs. Ces derniers vont voir nos productions afin d’en sélectionner quelques-unes pour les programmer dans leur festival. Mieux, la Ftca et le Fifak sont à l’origine de la naissance de plusieurs fédérations et festivals de cinéma amateur arabes et africains dont, notamment, la Fédération marocaine du cinéma amateur, née en 2013, et son festival national, ainsi que la Fédération ivoirienne, née il y a huit mois. Ainsi, après la formation et l’émergence de jeunes cinéastes amateurs dans ces pays-là, des cinémas amateurs africains pourront voir le jour.

Concernant la diffusion des films amateurs sur les chaînes de télévision, aussi bien publiques que privées, sachez que leurs dirigeants refusent de payer les droits d’auteur, voulant obtenir les films gratuitement. Ce qui est inadmissible et étonnant, surtout de la part des chaînes publiques censées encourager l’art et la culture sous nos cieux.

La Majorité des films de la Ftca sont mal conservés, non numérisé ou carrément perdus. Que comptez-vous faire pour les remettre en bon état, les numériser et les archiver, selon des normes scientifiques, surtout qu’il s’agit de notre mémoire collective ?

Justement, cette 34e édition du Fifak se focalisera de manière très sérieuse, sur l’archivage des productions de la Ftca avec la collaboration de plusieurs cinémathèques, dont celle de Perpignan (France) ainsi que des institutions cinématographiques, dont «Nadi Likolli Al Nass» (un club pour tous les gens) de Beyrouth, spécialisée dans l’archivage de films, et qui, actuellement, collabore avec l’institution du cinéma palestinien dans le domaine de l’archivage.

Aussi sont-ils en train de numériser les films de la cinéaste libanaise Jocelyne Saâb, des cinéastes libanais Jean Chamoum, Marouan Baghdadi, du Syrien Mohamed Malas et du Palestinien Kacem Hawel.

Pour le cinéma tunisien, on a fait le listing des 500 films produits depuis la création de la Ftca, qui sont en grande majorité des positifs, donc plus faciles à numériser. On réfléchit, actuellement, sur un projet de numérisation de tous ces films. Ce sera possible de le faire au cours d’une seule année si on peut avoir un budget conséquent de la part du ministère des Affaires culturelles.

Je pense que le coût de cette action pourrait s’élever à 300.000 dinars.

Ainsi, pour une réelle et efficace numérisation de notre patrimoine filmique de la Ftca, tout dépendra du sérieux et des méthodes scientifiques que nous adopterons.

Il y a quelques mois, la Ftca a connu une crise financière, sa subvention annuelle n’ayant pas été allouée. Et maintenant comment vont les choses ?

Heureusement, on est sorti de l’auberge et tout va bien grâce à l’appui et à la solidarité des journalistes et de la critique, mais aussi à la décision du ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zine El Abidine, qui a plus que quadruplé notre subvention annuelle qui est passée de 15.000 à 70.000 dinars. J’estime que cette action est historique, nous rappelant les formidables actions des anciens grands ministres de la Culture comme Chedli Klibi, Mahmoud Messadi et Béchir Ben Slama.

Justement, certaines associations de cinéma ainsi que certains festivals nationaux vous reprochent d’avoir laissé tomber l’action entamée en commun après avoir obtenu gain de cause auprès du ministère de tutelle?

Ce n’est pas vrai, la Ftca a voulu mener  une action commune avec la Ftcc (Fédération tunisienne des ciné-clubs) et l’Atpcc (Association tunisienne de promotion de la critique), mais celles-ci n’ont pas réagi.

Toutefois, et fort-heureusement, ces deux structures ont bénéficié de l’action menée par la Ftca puisque la subvention de la Ftcc est passée à 70.000 dinars par an et celle de l’Atpcc de 4 à 15.000 dinars par an.

Maintenant, outre les traditionnelles sections des compétitions internationale et nationale, quels sont les moments forts du Fifak 2019?

Il y aura trois moments forts incontestables où le Fifak rendra hommage au Palestinien Kamel Aljafari, à la Libanaise Jocelyne Saâb et à l’Egyptienne Attiat Al Abnoudi.

A travers Aljafari, c’est le cinéma palestinien de la résistance que nous fêterons lors d’une soirée spéciale dédiée à la Palestine. Est prévue la projection du film documentaire «Recollection» où le cinéaste fait de la résistance au moyen de la provocation. Car, dans «Recollection» (Istiâda) il a collectionné des films de fiction israéliens et américains tournés à Jaffa entre les année 1960 et 1990 et il a effacé tous les protagonistes israéliens des images originelles afin de laisser place au décor vide se réappropriant ainsi la mémoire et en rendant le rêve possible.

Ensuite, dans la section «Ils ont honoré Fifak», créée il y a deux ans, nous rendons hommage, cette année, à la cinéaste Jocelyne Saâb, une véritable institution du cinéma d’intervention notamment avec son triptyque sur la guerre du Liban («Beyrouth jamais plus», «lettre de Beyrouth» et «Beyrouth ma ville»).

Enfin, dans la section «Ils ont commencé Fifak», également initiée il y a deux ans, hommage sera rendu à Attiat Al Abnoudi, cinéaste et scénariste», dont la carrière a été lancée au Fifak où elle a remporté en 1971, le «Faucon d’or» avec son film «Le cheval de boue» (Hisssan al Tin). Voilà qui aura du sens pour les jeunes cinéastes amateurs qui pourront ainsi rêver de prendre leur envol à partir du festival de Kélibia.

Quelles sont les tendances thématiques de la sélection de ce 34e Fifak?

Les tendances thématiques ont trait, en général, à l’humain et ses causes.

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