Si la décision commune récemment publiée par les deux instances responsables du bon déroulement des élections et des campagnes électorales, à savoir l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) et la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), a apporté des éléments de réponse, d’autres manquent toujours. Qui organisera ces débats ? Quelles sont les conditions qui s’imposent ? Ces débats seront-ils à caractère contraignant? Que se passe-t-il si les candidats refusent d’y participer ? Quel rôle pour les journalistes-animateurs ?
Il s’agit d’une première dans l’histoire de la Tunisie : l’organisation de débats politiques télévisés mettant en confrontation les candidats à la Présidentielle anticipée et aux législatives se traduit certainement par une avancée dans la concrétisation des principes de la transition démocratique tunisienne. Une fois organisés dans les conditions souhaitables, ces débats pourraient marquer un élan pour les paysages politique et audiovisuel tunisiens dans la mesure où les programmes électoraux vont être, en théorie, au cœur des discussions et de l’argumentation et de tout le discours politique. Car, en effet, si hier, au temps de la dictature, on ne pouvait pas imaginer l’organisation de tels débats, aujourd’hui l’inimaginable semble se concrétiser.
Mais parce que les débuts sont toujours difficiles, des interrogations commencent à émerger sur les modalités, les règles et les conditions à appliquer pour la bonne organisation de ces échanges politiques télévisés, tellement attendus par l’électeur tunisien. Si la décision commune récemment publiée par les deux instances précitées responsables du bon déroulement des élections et des campagnes électorales a apporté des éléments de réponse, d’autres manquent toujoursà l’appel. Qui organisera ces débats ? Quelles sont les conditions qui s’imposent ? Ces débats seront-ils à caractère contraignant? Que se passe-t-il si les candidats refusent d’y participer ? Quels rôles pour les journalistes-animateurs qui vont les animer ? Tant de questions se posent notamment sur les modalités de l’organisation de ces débats télévisés, à laquelle une partie d’un chapitre de la décision commune précitée a été consacrée. Ainsi, l’article 33 de cette décision stipule que l’organisation de ces débats entre les candidats à la Présidentielle et aux législatives relève des prérogatives des médias audiovisuels publics, à savoir la radio et la télévision nationales et ce sous contrôle de l’ISIE et de la HAICA. Conformément à cette décision, les médias privés peuvent également participer à l’organisation de ces débats politiques à condition qu’ils coordonnent avec l’Etablissement de la télévision et la radio nationales.
Cette décision stipule également un tirage au sort pour organiser tous les détails de ces débats politiques dont notamment la composition des groupes de candidats pour le premier tour de la Présidentielle anticipée et le classement du passage de chaque candidat.
Quant aux journalistes-animateurs, ils doivent, selon cette décision, être sélectionnés selon la règle de parité. Ces derniers, doivent faire preuve de professionnalisme et de respect des principes déontologiques et éthiques. Pour ce qui est du déroulement de ces débats, les animateurs doivent se contenter d’animer les discussions, faire respecter le temps accordé aux candidats, sans entrer, en aucun cas, en discussion, ou en confrontation avec ces derniers.
Le public ainsi que les candidats doivent prendre connaissance, dès le début de la retransmission, des règles et conditions de l’organisation et du déroulement des échanges.
La télévision nationale, principal acteur
Ces débats qui seront retransmis en direct ne peuvent, en aucun cas, être rediffusés partiellement ou entièrement durant la campagne électorale. « Les candidats peuvent refuser de participer à ces débats politiques, et durant le deuxième tour, en cas de refus de l’un des deux candidats, le débat sera annulé », stipule, effectivement, ce texte. Dans ce sens, nous pouvons comprendre que la participation à ces débats n’a aucun caractère contraignant imposé aux candidats, qui peuvent donc choisir de s’abstenir.
La télévision nationale avait annoncé, le 2 août dernier, qu’elle organisera ces débats télévisés entre les différents candidats qui se sont présentés à la Présidentielle du 15 septembre prochain, marquant une première dans l’histoire du pays. En effet, ces débats qui auront pour objectif de discuter les programmes des candidats seront organisés, selon cet établissement, du 2 au 7 septembre et seront retransmis en direct. En plus du temps d’antenne qu’elle dédiera aux différents candidats aux élections, la télévision se lance ainsi dans cette nouvelle expérience. Cette série de conversations et d’échanges sera intitulée « La route vers Carthage». Un plateau de diffusion, qui les abritera est actuellement en cours d’aménagement dans les locaux de la télévision nationale à Tunis.
Plus récemment, une convention a été conclue entre l’Etablissement de la télévision tunisienne, la radio tunisienne, le syndicat des chaînes privées et le syndicat des radios privées, pour coopérer et à échanger en matière d’organisation et de diffusion de débats télévisés entre les candidats au premier et second tours, sous l’égide de l’Isie et de la Haica.
La société civile impliquée ?
En parallèle, une initiative de la société civile baptisée «Munadhara» a vu le jour. Ses initiateurs ont annoncé le lancement du programme « Tunisia Decides 2019 », sous forme de débats ouverts à tous les médias visant à mettre en place une culture de la transparence politique. L’association a indiqué, en effet, que des débats électoraux seront organisés et diffusés sur des médias audiovisuels en Tunisie et à l’étranger pour permettre aux candidats aux élections présidentielle et législatives de faire connaître leurs programmes. Mais, concernant cette initiative, Hichem Snoussi, membre de la Haica, a tenu à préciser que cette question n’est pas ouverte à tous affirmant que la Haica n’a pas été contactée à cet effet. Le sort de cette initiative demeure, pour l’instant, inconnu.
Il est à souligner que dès le début, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle a insisté sur le fait qu’elle supervisera ces débats électoraux télévisés conformément aux usages dans les autres pays, notamment européens. L’organisation de débats entre les candidats à l’élection présidentielle doit répondre à des conditions précises, comme citées dans la décision commune.
Quelle utilité pour ces débats ?
Aujourd’hui, la télévision s’impose comme étant le principal support de la communication politique. La genèse de ce phénomène de débats politiques télévisés entre candidats aux élections, est sans aucun doute à rechercher dans le célèbre débat télévisé qui a opposé aux Etats-Unis, en 1960, Richard Nixon à John F. Kennedy. Depuis, les hommes politiques de toutes les démocraties occidentales ont pris conscience de son importance, comme puissante arme d’argumentation. Dans les démocraties occidentales, plusieurs études ont montré que les électeurs peuvent changer leurs choix électoraux sous l’influence des campagnes électorales et notamment de la diffusion de ces débats.
Si ces débats relèvent plutôt de ce qu’on appelle les rituels et traditions des démocraties occidentales, leur organisation s’avère être utile pour le contexte national, dans la mesure où ils devraient porter principalement sur les programmes électoraux et non sur des messages de propagande ou de sensationnalisme et de populisme.
Mais l’idée d’organiser ce genre d’échanges politiques ne date pas d’aujourd’hui, il est à rappeler qu’en 2014, le candidat au deuxième tour de la présidentielle Moncef Marzouki avait proposé d’organiser un débat en direct l’opposant à l’autre candidat, le regretté Béji Caïd Essebsi qui a refusé cette initiative.