Accueil Culture Le cous-cous, de Tunis à Trapani (II): Entre ethnologie, linguistique et doutes archéologiques

Le cous-cous, de Tunis à Trapani (II): Entre ethnologie, linguistique et doutes archéologiques

Le cous-cous ou bien couscous est un des plats les plus répandus en Méditerranée et préparé différemment selon le pays ou bien la région. Nous trouvons essentiellement ce délicieux mets au Maghreb mais aussi à Trapani, ville de la Sicile occidentale faisant partie d’un des trois vaux de l’époque arabe : le Val de Mazara. C’est évident que cette partie de la Sicile est celle qui a particulièrement subi les influences culturelles et linguistiques arabes, mais ce qui reste encore à confirmer, c’est l’origine du cous-cous et son importation par les Africains du Nord.

Les difficultés, assez complexes d’ailleurs, résident essentiellement dans l’individuation de la date d’introduction du cous-cous au Maghreb et en Sicile et à savoir par quelle culture ce plat a été introduit en Méditerranée. De nos jours, rien n’est évident, toutefois je me limiterais à vous donner des renseignements historiques liés à cet extraordinaire mets.

Le cous-cous fait sa première apparition en Sicile au XIIIe siècle et début du XIVe, un moment très important pour le développement du commerce maritime entre les côtes de Tunis et de Trapani. Beaucoup de suppositions pour certains, beaucoup de certitudes pour d’autres…mais l’analyse des archives et mes recherches me ramènent à deux hypothèses possibles mais non exclusives.

La première est liée aux cuisinières africaines qui, au XVIe siècle, feront leur apparition chez les riches familles de Trapani ; ces «esclaves noires» auraient pu introduire le cous-cous africain, l’adaptant au goût local avec du jus de poisson, même s’il me semble un peu bizarre que les familles bourgeoises s’adonnassent à manger du cous-cous pendant les jours ouvrables. Il y a toutefois de rares manuscrits de l’époque qui citent le cous-cous comme un plat de fête, mais préparé avec du porc, des choux-fleurs ou bien de l’oie !

La deuxième hypothèse remonte en 1.400 et suggère en bref que les marins trapanais, de retour à Trapani, suite aux nombreux voyages effectués en Tunisie, s’approprient de la semoule déjà prête à la consommation, utilisant du poisson. Il semblerait que les femmes des pêcheurs appréciaient énormément ce mets, pour en faire un plat succulent ! Malheureusement, tout cela appartient à la tradition orale des femmes d’un milieu marin et aucun document écrit ne nous est parvenu.

Pour revenir à la Tunisie, des sources maghrébines n’excluent pas que ce pays ait pu connaître le cous-cous pendant la dernière phase du royaume des Hafsides, dynastie berbère qui gouverna l’ancienne Ifriqiyya dès la première moitié du XIIIe siècle jusqu’en 1574. C’est peut-être à ce moment-là que les marins de Trapani ont pu découvrir le cous-cous et l’importer chez eux en Sicile ; notre petite géographie pourrait correspondre à un nombre majeur d’interactions avec l’Afrique du Nord.

D’autres suppositions pourraient faire référence aux attaques des pirates qui, depuis la Sicile, se dirigeaient vers la Tunisie et l’Algérie pour remplir leurs navires de marchandises et d’esclaves. 

N’oublions pas non plus les juifs de Barbarie émigrés à Trapani, ou encore la pêche au corail à Tabarka, exercée par des pêcheurs de Trapani de 1418 à 1500, avant l’arrivée d’une communauté de génois qui s’installera pour monopoliser la pêche au corail chassant ainsi les Trapanais de Tabarka.

Les «Tabarchini», apprendront comment cuisiner le cous-cous qu’ils appelleront le «casca», nom d’origine tunisienne qui fait référence au «keskés» récipient nécessaire à la préparation du cous-cous !

Les écrits du XVe siècle de Ibn Fadhallah rapportent une description admirative d’un «magique plat de cous-cous» assaisonné avec du beurre, de la viande de veau et des choux, préparé par des pèlerins tunisiens en voyage à la Mecque.

Mais les problèmes ne concernent pas seulement l’histoire du cous-cous, mais aussi l’origine du mot se prête à d’énormes incertitudes.

Le plus ancien terme qu’on retrouve au Maghreb et indiquant le cous-cous est : sekou. Selon le linguiste berbère Salem Chaker, tout y est pour confirmer l’origine algéro-marocaine berbère de cette forme archaïque. Ses différentes variantes phonétiques locales sont présentes dans la plupart des dialectes berbères algéro-marocains. Ce terme appartiendrait à un champ lexical assez stable chez les berbères du nord. Des mots similaires permettraient d’isoler la racine *KS (l’étoile confirme la répétition de KS-KS), dont la signification serait «bien formée» ou «bien arrondi». 

L’anthropologue Marceau Gast a imaginé la naissance du cous-cous chez une population berbère du sud-ouest algérien près du Maroc : les Zénètes, cultivateurs de céréales sauvages. Sous l’influence des nomades arabes, les Zénètes furent obligés de se convertir à la cultivation du blé dur, cher aux musulmans. La clé de tous ces mystères autour du cous-cous pourrait être la transhumance et la carence d’eau pour pouvoir cuire la semoule à la vapeur.

L’archéologie, par contre, semble plutôt du côté du Sahel tunisien, dont certaines sépultures datant de 238 et de 149 avant J.C. ont permis la fouille des vases troués à forme de keskés, de fonctionnalité incertaine. A Carthage, chez les Carthaginois ou bien chez les Romains, il n’y a aucune trace de cuisine à la vapeur. Ceci est vérifiable sur un des plus anciens manuels de cuisine romaine «De Re Coquinaria» datant de la fin du Ier siècle après J.C. Les recettes de cuisine sont nombreuses et tous les préparatifs et les ustensiles utilisés pour la préparation des plats y sont minutieusement décrits.

La question qu’on pourrait bien se poser est la suivante : si les récipients troués avaient été utilisés comme des couscoussiers, pourquoi les Romains et les Carthaginois n’ont pas adopté cette révolution technologique ? Peut-être qu’ils n’ont pas eu de temps pour l’adopter suite aux invasions des Vandales qui ont interrompu tout contact entre Rome et l’Afrique du Nord ?

De nos jours, concernant l’origine du cous-cous, nous n’avons aucune certitude mais plutôt plein de suppositions historiques, anthropologiques, culturelles et linguistiques. Retracer l’histoire de ce plat assez compliqué à préparer n’est pas du tout évident, ses traces peuvent se retrouver chez les uns ou bien chez les autres, chez les Berbères comme chez les musulmans ou bien les chrétiens et les juifs. Je parlerais alors du cous-cous comme un plat méditerranéen qui rassemble les peuples, les cultures, les langues et les religions, un plat complexe et riche, comme la Méditerranée, un plat sacré pour les riches comme pour les pauvres, un plat païen et monothéiste, coloré et diversifié.

Ce plat incarne donc toutes les qualités de notre «grand lac salé» comme Fernand Braudel aimait le définir. Le cous-cous rassemble, unit les deux rives de la Méditerranée et l’exemple le plus évident nous est donné par une manifestation internationale qui se tient tous les ans à San Vito Lo Capo en Sicile depuis vingt ans environ. Il s’agit du Festival international du cous-cous (Couscous Fest’), un rendez-vous culinaire qui attire chaque année de nombreux gourmands venant du monde entier. L’invité d’honneur incontesté est le cous-cous, comme le plat de la paix, de l’intégration et de l’échange.

Chaque année, une trentaine de pays du monde se donnent rendez-vous à San Vito Lo Capo, une de plus belles plages de la Méditerranée. Dans ses ruelles, on entend parler plusieurs langues, des langues d’Afrique, parfois peu connues, mais aussi le français, l’arabe, l’anglais, l’espagnol ou bien le portugais. Des stands assez colorés montrent la grande richesse de ces pays et un des plus précieux aliments de leur région préparé à la viande, au poisson, aux herbes, aux légumes… : le cous-cous.

Chaque pays ramène ses costumes, sa musique, sa danse, ses couleurs, sa façon de manger…, tout le monde se côtoie, discute, échange ses idées, et tout ça grâce au cous-cous. Toute la Méditerranée s’y retrouve ! La ville de San Vito Lo Capo devient ainsi pendant une semaine, la capitale de l’intégration, de la paix, du dialogue et de l’échange.

Qui aurait pu penser que le cous-cous avait ces pouvoirs ?

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