«Le dépistage du cancer du sein est essentiel dans la lutte contre ce fléau qui menace la santé de la femme et la santé publique d’une manière générale. Saisir l’occasion de la célébration de l’Octobre rose, ce mois consacré à la sensibilisation et au dépistage du cancer du sein, pour planifier des journées portes ouvertes à cet effet, requiert une importance majeure.
«Aussi nous engageons-nous à consacrer une journée portes ouvertes le 29 octobre au profit des femmes bénéficiaires des prestations sanitaires de la Polyclinique- Cnss d’El Omrane et de toutes les femmes qui s’y rendraient le jour j pour se faire examiner ». C’est en ces termes que se prononce Dr Nejia Ben Moussa, fondatrice de l’Association de lutte contre les maladies chroniques et chef du service radiologie à la Polyclinique- Cnss d’El Omrane, déterminée à perpétuer une action que l’on veut ériger en une tradition pour contribuer à la lutte contre le cancer du sein.
Collaborant avec des sociétés savantes mais aussi avec l’Association tunisienne de lutte contre le cancer, cette ONG mise beaucoup sur le travail sur terrain. Seules les actions de proximité garantissent de meilleurs résultats car interpellant de près la population cible. « Nous avons démarré l’action l’an dernier en organisant la première journée de lutte contre le cancer du sein au siège de la Polyclinique ; un travail qui a séduit bon nombre de médecins et de professeurs chevronnés qui ont répondu présent pour participer à cette action de dépistage », indique-t-elle.
Le fléau va crescendo
Le Dr Ben Moussa s’inquiète de l’ampleur que ne cesse de prendre ce fléau. Son évolution semble rivaliser avec les avancées scientifiques et médicales poussant ainsi les spécialistes à redoubler d’effort pour sensibiliser davantage la population-cible, laquelle est majoritairement féminine — vu que seulement 1% des cas de cancer du sein touche les hommes —, en les incitant au dépistage précoce.
En effet, les chiffres relatifs à l’évolution du cancer du sein justifient amplement son appréhension : «En Tunisie, nous enregistrons, annuellement, 2.000 nouveaux cas dont un sur cinq est diagnostiqué à un stade avancé voire final. Encore faut-il souligner, poursuit-elle, que la prévalence pour les régions du nord — lesquelles bénéficient plus que les autres des moyens de dépistage — était de 16/ 100 mille habitants, en 1994. Elle avait atteint, en 2012, les 31,8/ 100 mille habitants. D’ailleurs, d’après les registres régionaux, les régions du nord et le gouvernorat de Sfax semblent les plus touchés par cette maladie. Ce constat n’exclut point l’ampleur de cette maladie dans des régions où les outils de dépistage et de sensibilisation font défaut».
A l’échelle mondiale, la prévalence du cancer du sein suit un rythme croissant. « En 2014, le cancer avait touché 14 millions de nouveaux cas. Les estimations de l’OMS prévoient que ce nombre atteindrait les 20 millions en 2020 ; soit une évolution de 12% au bout de quatre ans ! », indique-t-elle. Et d’ajouter que la prédisposition à la hausse prévoit jusqu’à 25 millions de nouveaux cas de cancer du sein d’ici 2035. Le cancer du sein tue chaque année entre 13 et 16 millions de personnes à travers le monde. « Il est classé la troisième cause de mortalité dans le monde, devancé par les maladies cardiovasculaires et les accidents de la route », rappelle Mme Ben Moussa.
Ce fléau menaçant la santé féminine, la santé maternelle et la santé publique d’une manière générale revient à moult facteurs qui lui sont propices dont le vieillissement de la population, l’obésité, le tabagisme, la malnutrition et bien d’autres encore. «L’OMS et le Fonds mondial de recherche contre le cancer ( Fmrcc) estiment le nombre de fumeurs en Tunisie à 1,7 million. Ce qui constitue un facteur à risque redoutable pour la santé», ajoute-t-elle.
Actuellement, la Tunisie se penche sur la réalisation du troisième Plan national de lutte contre le cancer, lequel implique la conjugaison des efforts de toutes les parties prenantes et de toutes les disciplines scientifiques et médicales pour que l’approche soit fondée sur un principe global et décentralisé.
Dépistage précoce : le maillon fort de la prévention
Pour prévenir le cancer du sein, il convient d’opter pour une bonne hygiène de vie mais aussi veiller à se faire examiner par le médecin traitant et à ancrer la culture du dépistage précoce auprès de la population-cible. Selon le Dr Ben Moussa, le dépistage s’impose à partir de l’âge de 40 ans. Il doit être entamé dès l’âge de 30 ans chez les femmes ayant un antécédent familial et donc une prédisposition génétique à cette maladie.
Certes, les campagnes de sensibilisation contre le cancer du sein avaient réellement été entamées en 2000, impliquant ainsi plusieurs structures publiques dont l’Office national du planning familial (Onfp), Jeunes médecins sans frontières, et mobilisant bon nombre de sommités nationales en la matière à l’instar du Pr Farhat Ben Ayed, ex-chef de service à l’hôpital Salah Azaïez, et Pr Hassen Gharbi, président de la Société tunisienne d’échographie doppler. Le dépistage précoce constitue le maillon fort de la prévention contre le cancer du sein. Il reste, néanmoins, beaucoup à faire dans ce sens. «Il y a un sérieux problème d’insuffisance des supports techniques et des ressources humaines pour décentraliser le dépistage du cancer du sein et du col utérin et lutter plus efficacement contre ces maladies, garantissant ainsi la prévention aux Tunisiens dans toutes les régions et sur un pied d’égalité», renchérit Mme Ben Moussa. D’ailleurs, on compte six polycliniques dont seule celle de la cité el Khadhra dispose d’un mammographe. Il est prévisible, pour la polyclinique d’El Omrane de disposer d’un mammographe en 2020. Autre bonne nouvelle : l’hôpital Salah Azaïez bénéficie, désormais, d’un nouvel acquis ; un Tep Scan qui garantit un bilan intégral axé sur la métastase. « L’an dernier, et suite à la Journée portes ouvertes de dépistage du cancer du sein, nous avons examiné pas moins de 700 patientes, dont une centaine par échographie-mammaire. Nous avons au final suspecté deux cas que nous avons orientés vers la polyclinique de la cité El Khadhra pour des examens plus approfondis. Du reste, le dépistage s’appuie, d’abord, sur l’autopalpation des seins afin de déceler une éventuelle boule tumorale ; par la palpation effectuée par le médecin traitant, par l’examen par mammographie et par échographie-mammaire », ajoute-t-elle.
Il est à noter que l’Association tunisienne des maladies chroniques figure parmi les rares associations qui disposent d’un échographe. Depuis sa création en 2006, elle a organisé 9 campagnes de dépistage précoce des deux cancers féminins : celui du sein et celui du col de l’utérus. Œuvrant conjointement avec la Société tunisienne de l’échographie doppler, l’Alcm prévoit une journée portes ouvertes à Menzel Hayet à Sousse, une action qui comptera un examen par échographie mammaire. « Certes, notre association dispose d’un outil majeur dans le dépistage qu’est l’échographe.
Cependant, pour multiplier les campagnes de dépistage, beaucoup de détails nécessitent d’être pris en considération, dont la coordination avec le ministère de tutelle, avec le secteur privé, la mobilisation des médecins et des sages-femmes…Tout un budget doit être alloué à ces actions tout en garantissant leur gratuité et leur efficience », précise-t-elle. Mme Ben Moussa se réjouit, malgré son inquiétude, des retombées des campagnes de sensibilisation et de dépistage, entamées depuis près de vingt ans. Des actions qui ont permis de briser le tabou, d’oser consulter et de se soumettre au traitement à temps pour quatre cas sur cinq. La taille tumorale décelée au dépistage a, par conséquent, diminué, passant de quatre centimètres dans les années 90 à 3,3 centimètres, selon les derniers chiffres.