La réalisatrice Hinde Boujemaâ était présente à la 3e édition du Festival international du film francophone qui s’est tenu fin septembre et début octobre à Namur avec son premier long métrage de fiction «Noura rêve» qui concourait en compétition de la première œuvre. Portrait audacieux d’une femme qui défie la loi sur l’adultère, pour retrouver sa liberté et suivre l’homme qu’elle aime. Rencontre.
Comment est née l’idée de ce film ?
Par mon désir de raconter un peu ce qui se passe entre les êtres humains et de découvrir un aspect de notre société qui n’est pas mis en avant et de poser des questions sur les mécanismes sociaux, sur les femmes, l’amour, le couple. Nous autres cinéastes sommes très en alerte sur tout : un article dans un journal, un fait divers, une histoire qu’on nous raconte attire notre attention et nous touche. C’est instinctif.
S’agit-il d’une histoire réelle ou d’une histoire purement imaginaire?
Je pense que les films émanent de quelque chose qui se passe dans la réalité. Pour «Noura rêve», je me suis inspirée de plusieurs vies. Je m’inspire de la réalité mais je crée la fiction en travaillant sur les personnages. Ceux qu’on voit dans le film n’agissent pas de la sorte dans la réalité. Je crée les caractères, les nuances des personnages, etc.
Etes-vous passée par un atelier d’écriture pour peaufiner le scénario ?
Non. J’ai participé à plusieurs formations dont celles organisées par Sud Ecriture. J’ai même obtenu un prix aux JCC avec un scénario que je n’ai pas réalisé. J’ai réalisé un documentaire «C’était mieux demain» qui n’avait pas besoin de scénario et un court métrage de fiction «Et Roméo a épousé Juliette» dont j’ai écrit seule le scénario. Je travaille mes scénarios avec une équipe.
Les cinéastes ne sont pas des dieux. Ils ont besoin de l’apport des autres et du partage. On arrive avec un rêve et une histoire, mais autour de nous, il y a des personnes douées qui nous aident à raconter cette histoire.
J’ai coécrit le scénario de «Noura rêve» avec Laurent Brandenbouger, scénariste luxembourgeois, qui a collaboré à l’écriture du scénario. La collaboration d’un homme me détache de ma vision très féminine des choses. Il y a une complémentarité entre nous.
L’action du film se déroule dans un quartier populaire où les protagonistes sont issus de la classe moyenne pour ne pas dire pauvre. Est-ce un milieu que vous connaissez bien et sur lequel vous avez fait des recherches auparavant ?
Oui. J’avais besoin d’une certaine justesse pour les personnages. Je ne pouvais l’avoir qu’en observant les gens. «C’était mieux demain» m’avait permis de connaître ce milieu. Pour ce genre de fiction, il me fallait être plus près de la réalité.
«Noura rêve» est un film inclassable. Il ne s’agit pas d’un drame ou d’un film social. Il soutient une certaine ambiguïté au niveau de la forme. Pouvez-vous expliquer votre démarche ?
Le film fonctionne sur deux lectures et c’est tant mieux. Mon intention est que Noura rêve d’une vie meilleure. Elle aime un homme avec qui elle a envie de vivre une vie normale.
Il s’agit d’une histoire d’infidélité de la part de la femme, ce qui est inacceptable dans notre société.
Ce n’est pas acceptable certes. Mais ne faut-il pas se poser des questions sur le sujet ? Peut-on continuer à vivre avec un horrible homme qu’on n’aime plus ? La femme comme l’homme peut tomber amoureuse de quelqu’un d’autre. C’est tabou effectivement mais c’est une réalité et je ne vois pas de mal d’en parler. Les femmes sont plus courageuses lorsqu’elles aiment. Pour atteindre ce stade-là, c’est qu’elles sont arrivées au bout de leur propre vie. Contrairement aux hommes, les femmes se donnent entièrement
Le film est porté par la star arabe Hend Sabri. Avez-vous pensé à elle tout de suite ou bien le personnage était-il dédié à une autre actrice ?
Je ne suis pas une cinéaste qui écrit pour les acteurs. Si j’écris pour un acteur précis, je risque de dénaturer le personnage. Ce dernier doit être extrêmement solide pour qu’il puisse séduire un acteur. Si le personnage de Noura n’était pas bien ficelé et solide, comment pouvais-je effacer l’image de Hend Sabri pour qu’on puisse croire qu’elle est Noura? Il est important que le spectateur oublie Hend Sabri et voit en elle Noura.
Au départ, je n’ai pas pensé à elle. Je lui ai proposé de participer à un casting. Fallait-il que j’aille vers un casting sauvage et prendre une actrice qui n’est pas connue ? Il faut avouer que c’était un gros risque de miser sur une star comme Hend Sabri. J’ai eu peur longtemps mais c’était aussi risqué de confier le personnage à une inconnue. J’ai donc eu besoin de la caster, Lotfi Abdelli aussi. En fait, le casting sert à voir si on parle le même langage pour pouvoir créer ensemble quelque chose. Hind était très engagée sur cette histoire.
Et l’humoriste Lotfi Abdelli ?
Lotfi est un excellent acteur qui a une belle énergie. Il n’est pas toujours parfait comme tous les grands acteurs. Il m’attirait depuis longtemps. Son côté sauvage me faisait peur. Quand il n’intègre pas la personne en face, il peut être difficile. Mais ça a été un bonheur de travailler ensemble. Il connaît bien les quartiers populaires puisqu’il y a vécu. Dans le film les enfants sont issus de ces quartiers et j’ai demandé aux acteurs de s’adapter à eux et non le contraire.
Peut-on dire que c’est un film féministe ?
Oui, par rapport à la Tunisie. C’est un film engagé. Je n’ai pas honte de montrer qu’une femme a le droit d’aimer à n’importe quel âge. J’essaie de donner un autre regard à une femme qui prend une autre décision et essayer de la regarder autrement que par la condamnation.
Sur le plan du traitement cinématographique, il y a un côté documentaire
J’ai plutôt filmé en intérieur alors que le documentaire se passe en extérieur. J’ai très peu de plans en extérieur où les rues sont vides et on ne voit que les personnages du film et tout le reste est filmé en intérieur. S’agissant d’une famille, il était important de montrer le lieu caractérisé par la promiscuité où tout le monde dort dans le même endroit. C’est effectivement une démarche réaliste de documentaire.