Constitutionnellement parlant, c’est le parti vainqueur aux élections législatives qui devra former le gouvernement, en dépit de sa faible majorité parlementaire. Ennahdha, le parti qui n’a pas quitté le pouvoir depuis les élections de 2011, serait confronté à un exercice périlleux. Car, d’une part, il doit former son équipe gouvernementale dans les délais constitutionnels pour éviter d’éventuelles élections anticipées et, d’autre part, il doit trouver des alliés pour pouvoir constituer une majorité parlementaire indispensable pour donner la confiance au prochain gouvernement.
Il est connu, pour les observateurs, que chaque parti qui décide de s’allier au mouvement Ennahdha finit par s’affaiblir, pour ne pas dire disparaître de la scène politique comme cela été le cas, rappelons-le, d’Ettakatol ou du Congrès pour la République. Ennahdha serait-il victime de son image ? Parviendra-t-il à dépasser cette situation si compliquée pour pouvoir former un nouveau gouvernement ? En tout cas, au vu de l’actuelle situation politique, assez prévisible, le mouvement est confronté à une rude épreuve.
Les concertations autour de la formation de la nouvelle équipe gouvernementale n’avancent pas. Pire encore, à en croire les déclarations et les positions des dirigeants des partis vainqueurs des législatives, nous avons l’impression qu’on tourne en rond. Seules les positions des deux partis « Au Cœur de la Tunisie » et le Parti destourien libre semblent être claires, ils ont tous deux annoncé explicitement leur décision de se positionner dans l’opposition.
Et face à une situation politique assez compliquée et même indéchiffrable, Ennahdha signe et persiste : pas question qu’une personnalité indépendante soit à la tête du gouvernent, seul un dirigeant issu de ses structures doit assumer cette responsabilité. En tout cas, pour le Conseil de la choura, c’est indiscutable même si la majorité des partis représentés au prochain parlement refusent de s’allier à Ennahdha dans ses efforts en vue de former un gouvernement.
C’est notamment le cas du Courant démocratique qui a posé des conditions presque impossibles en exigeant les portefeuilles de l’Intérieur, de la Justice et des Grandes réformes et un chef de gouvernement indépendant pour participer à la prochaine formation gouvernementale. D’ailleurs, Ghazi Chaouachi, dirigeant au sein de ce parti, qui a raflé 21 sièges, écarte la possibilité de formation d’un gouvernement par un dirigeant du mouvement Ennahdha, estimant que « ce scénario va provoquer une crise au sein de cette formation politique qui risque de ne pas obtenir une majorité confortable ». « Le Courant démocrate n’a pas été invité par le mouvement Ennahdha aux concertations sur le futur gouvernement », a-t-il ajouté dans une déclaration à la Tap, ajoutant que les contacts menés entre les responsables des deux partis n’étaient pas officiels.
Pourquoi craint-on une alliance avec Ennahdha ?
Même son de cloche chez le parti Tahya Tounès (13 sièges), dont le secrétaire général Slim Azzabi ne cesse de rappeler que le parti de Youssed Chahed n’est pas concerné par la formation du gouvernement, même si certains dirigeants d’Ennahdha ont affirmé que ce dernier pourrait avoir un portefeuille ministériel au sein du prochain gouvernement.
Hier, le secrétaire général du mouvement Echâab (14 sièges), Zouhair Maghzaoui, a clairement annoncé que son parti ne participera pas au prochain gouvernement qui sera formé par Ennahdha. « Le mouvement Ennahdha faisait partie de l’échec au pouvoir et va œuvrer pour le reproduire », a-t-il souligné, ajoutant que le prochain gouvernement connaîtra le même sort.
Mais en dépit de ces positions refusant toute alliance avec le parti islamiste, le président du Conseil de la choura d’Ennahdha, Abdelkrim Harouni, annonçait que des premières négociations ont été menées dans ce sens avec les partis du Courant démocrate, le mouvement du peuple, Tahya Tounès et la coalition Al-Karama ainsi que l’Ugtt, l’Utica et l’Utap. Mais qui dit vrai ? Pourquoi certains partis politiques craignent ou refusent une alliance avec le parti Ennahdha ?
Il faut dire dans ce sens qu’entre les négociations secrètes et les positions clairement exprimées, il existe une grande différence et une grande marge de manœuvres politique, on se rappelle certainement la surprenante alliance qui a eu lieu entre les deux partis Ennahdha et Nida Tounès en 2014, en dépit d’une campagne électorale à couteaux tirés. Pour le moment, seule la coalition Al-Karama (21 sièges) s’est montrée prête pour participer à un gouvernement formé par le parti de Rached Ghannouchi, car même le parti islamiste Errahma, a refusé, hier, de s’allier à Ennahdha, annonçant avoir décidé de se positionner comme parti civil de l’opposition.
La carte Rached Ghannouchi
Et dans ce contexte assez périlleux pour tous les partis, car on risque, en effet, de voir des élections anticipées avoir lieu, le mouvement Ennahdha sort la carte Rached Ghannouchi en tant qu’éventuel chef de gouvernement. Ce dernier, qui a toujours refusé d’assumer des responsabilités à haut niveau au sein des appareils de l’Etat, se contentant de conduire son parti, va-t-il devenir le prochain chef de gouvernement? Si l’intéressé lui-même n’a pas encore exprimé son opinion, celle du Conseil de la choura est claire à ce sujet : Rached Ghannouchi est le plus apte à diriger le prochain gouvernement sachant que le chef de la présidence du gouvernement doit être issu d’Ennahdha. Mais pour certains observateurs, Rached Ghannouchi ne pense même pas à un tel poste, il s’agirait simplement d’une manœuvre politique du parti islamiste pour faire avancer les négociations avec les partis politiques.
Résumé de la situation : pour le moment, les négociations autour de la formation du nouveau gouvernement tournent en rond. Alors que le parti Ennahdha a posé dès le début des conditions indiscutables, dont notamment un chef de gouvernement issu de ses structures, la majorité des partis représentés au nouveau parlement refusent de s’allier à ce parti qui souffre, semble-t-il, de son image et de l’historique des alliances qu’il a entretenues.
Une initiative du président élu, Kaïs Saïed, qui prête serment aujourd’hui devant les représentants du peuple, pourrait-elle changer la donne ?