Les opérations d’audit et d’inspection financière sont-elles le fruit du hasard ? Ou s’agit-il vraiment d’une campagne organisée et orchestrée pour ouvrir les dossiers de corruption qui pèsent sur l’économie nationale depuis plusieurs années ? En tout cas, selon toute vraisemblance, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et le président de la République, Kaïs Saïed, auraient décidé d’attaquer de front la corruption en commençant par ouvrir des enquêtes. Affaires à suivre
S’agit-il d’une véritable campagne de lutte contre la corruption ciblant plusieurs secteurs dont les initiateurs ne sont autres que le président de la République et le chef du gouvernement ? En tout cas, les dernières informations marquent, en effet, le lancement de plusieurs opérations d’inspection et d’audits simultanées ciblant différents secteurs et administrations. Après le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Enseignement supérieur, l’institution de la Présidence de la République et des organismes rattachés, ce sont les deux sociétés de transport, la Transtu et la Société de transport du Sahel (STS), qui font l’objet d’une opération d’audit approfondi et d’un engagement de procédures judiciaires, dont des dossiers de corruption en seraient la cause.
Loin d’une attention médiatique remarquable et spectaculaire, l’actuelle étape se distingue par une nouvelle opération « mains propres », et c’est le secteur du Transport qui serait la principale cible. En effet, l’entente entre les deux têtes du pouvoir exécutif semble être derrière ce nouvel épisode anticorruption. Ce gouvernement, en fin de mandat, a d’abord décidé de lancer une inspection approfondie au sein du ministère des Affaires étrangères où des soupçons de corruption financière, des détournements de fonds, des secrets d’Etats mis à nu ont été constatés. Puis s’est lancé dans une vaste opération anticorruption au sein des deux sociétés de transport la Transtu et la Société de transport du Sahel (STS).
Tout a commencé par une série d’arrestations contre des employés des deux sociétés qui font l’objet de soupçons de corruption portant sur des cas de fraude, de détournement de fonds et de manipulation financière. Quatre agents de la Société de transport du Sahel ont été arrêtés, récemment, pour suspicion de vol de matériel relevant de la société. Ces suspects, dont parmi eux le directeur de l’exploitation et de la maintenance, ont été interpellés par la brigade de la police judiciaire de Mahdia, selon un communiqué de la direction générale de la Société de transport du Sahel.
Durant cette même période, un agent de la Transtu s’est fait également arrêter à son bureau, accusé d’avoir dérobé de l’argent public. Son arrestation est intervenue suite à une plainte déposée par le député Imed Daimi à l’encontre de ce fonctionnaire auprès du pôle judiciaire économique et financier.
Daimi explique, à cet effet, que les pertes supportées par la société liées aux dépassements commis par cet individu avoisinent les 16 millions de dinars, « en raison de ses malversations ainsi que de ses complices, jusqu’à arriver au directeur financier de la société ».
Audit approfondi
Mais selon le directeur général de la Société des transports de Tunis (Transtu), Anis Maloulchi, le montant de 16 millions de dinars est surestimé. Il a, en effet, démenti ces suspicions de vol de cette importante somme des comptes de la société. « Le montant de 16 MD, inscrit dans un compte d’attente (en attente d’une régularisation comptable) a fait l’objet des réserves du commissaire aux comptes. Il ne peut pas être qualifié de violation systémique. En plus, les avances sur salaires des agents ne peuvent pas atteindre 16MD », a argumenté le responsable.
Il reconnaît, pourtant, que l’agent arrêté actuellement « avait manipulé les avances sur salaires des agents, en utilisant le mot de passe pour annuler des montants du système informatique en complicité avec d’autres collègues ». « La personne en question aurait procédé à la manipulation des avances sur salaires avant 2018 », a-t-il précisé.
Dans ce contexte qui renvoie aux prémices d’une campagne mains propres non annoncée, l’inspection générale relevant du ministère du Transport a été chargée de procéder à un audit approfondi de la Transtu et de la Société de transport du Sahel (STS), outre l’engagement de procédures judiciaires. Le ministère du Transport a expliqué que ces décisions ont été prises à la suite de deux opérations de vol de l’argent public, découvertes au sein de la Transtu et de la STS. Ces audits vont permettre de déterminer les responsabilités juridiques et de prendre les mesures à même de remédier aux défaillances qui ont abouti à ces abus, pour éviter la récidive.
En fin de parcours, l’actuel gouvernement s’est-il lancé véritablement dans une lutte contre la corruption dans plusieurs secteurs ? Quel rôle a joué le chef de l’Etat fraîchement élu qui a lui-même sollicité un audit approfondi des services administratifs de la Présidence de la République ?
270 affaires de corruption ?
Au moment où ces interrogations commencent à interpeller vivement l’opinion publique d’autant plus qu’aucune partie officielle n’a brisé le silence pour se prononcer sur ces opérations, on évoque quelque 270 affaires de suspicion de corruption et de malversations financières dans des entreprises de l’Etat, qui devraient être prochainement dévoilées. L’information vient de Ridha Mekki, alias Ridha Lénine, que l’on présente comme « le cerveau » derrière le projet de Kaïs Saïed et de son ascension au pouvoir. Ce dernier, s’exprimant sur sa page Facebook, affirme qu’une enquête a été ouverte dans plus de 270 affaires de corruption au sein des rouages de l’Etat et dans plusieurs entreprises comme notamment la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), la douane, la Steg, les marchés publics, l’énergie, etc. Il prédit même des arrestations en masse, les jours à venir, visant des responsables corrompus relevant de plusieurs secteurs. Il faut rappeler dans ce contexte que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a décidé, après concertation avec la présidence de la République, de charger le Comité du contrôle général des services publics d’effectuer un audit administratif et financier au ministère des Affaires étrangères et dans d’autres services administratifs. La présidence du gouvernement explique que cette décision s’inscrit dans le cadre du souci de rationaliser le travail des structures et services publics. Il s’agit également de conférer davantage de transparence et d’efficience à la gestion des institutions de l’Etat et d’en promouvoir le rendement. Pour sa part, le ministère de l’Enseignement supérieur a ordonné, à son tour, un audit dans sept universités privées, ainsi que la fermeture d’une autre pour de graves dépassements.
Ces opérations d’audit et d’inspection financière sont-elles le fruit du hasard ? Ou s’agit-il vraiment d’une campagne organisée et orchestrée pour ouvrir les dossiers de corruption qui pèsent sur l’économie nationale depuis plusieurs années ? En tout cas, selon toute vraisemblance, le chef du gouvernement, Youssef Chahed et le président de la République, Kaïs Saïed, auraient décidé d’attaquer de front la corruption en commençant par ouvrir des enquêtes. Affaires à suivre.