En consultant le document présenté par Ennahdha, baptisé le «Contrat sur un programme de gouvernement» et s’articulant autour de cinq axes, on s’aperçoit qu’aucune vision claire pour restructurer les caisses sociales n’a été présentée. Mise à part la réforme du système de santé et des entreprises publiques, la restructuration de la Cnss et de la Cnrps n’a même pas été évoquée. Ce qui laisse présager, toujours, l’absence de cette conception qui devrait faire sortir ces fonds de leur actuelle situation, jugée critique par les observateurs.
La restructuration des caisses sociales, ce grand chantier dont la nécessité fait l’unanimité de tous, peine toujours à avoir lieu en l’absence d’une décision politique claire et efficace. A maintes reprises, les différents responsables et décideurs ont plaidé en faveur de l’obligation d’entamer une véritable restructuration des deux caisses sociales dont la situation devrait inquiéter plus qu’un, mais où en sommes, nous avec une conception claire pour ce faire ? Alors que l’actuel gouvernement est parvenu à faire passer la loi de l’augmentation de l’âge du départ à la retraite et à prendre d’autres mesures, fait qui a relativement améliorer la situation, tous les espoirs sont désormais tournés vers la prochaine équipe gouvernementale et vers le prochain chef du gouvernement. En effet, nous avons toujours entendu d’une telle restructuration qui devra sauver ces caisses sociales dont le poids est considérable et dont une éventuelle faillite sera fatale pour plusieurs secteurs au vu de leur effet d’entraînement, mais malheureusement il n’existe toujours pas une vision, une conception voire un programme clair, efficace et surtout applicable pour améliorer la situation de ces deux caisses. Qui devrait prendre cette initiative? Ce dossier devrait assurément constituer une des priorités du prochain gouvernement dont la formation et la mise en place sont déjà conditionnées par des tiraillements politiques. En tout, le document présenté par le mouvement Ennahdha, chargé de former ce gouvernement, baptisé le «Contrat sur un programme de gouvernement» semble avoir oublié une telle priorité. En consultant ce document s’articulant autour de cinq axes, à savoir la lutte contre la corruption, la lutte contre la pauvreté, la réforme du système de santé et de l’enseignement, la promotion des investissements et le parachèvement des institutions constitutionnelles, on s’aperçoit qu’aucune vision claire pour restructurer les caisses sociales n’a été présentée. Mise à part la réforme du système de santé et des entreprises publiques, la restructuration de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) et de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (Cnrps) n’a même pas été évoquée. Fait qui laisse présager, toujours, l’absence de cette conception qui devrait faire sortir ces fonds de leur actuelle situation, jugée critique par certains observateurs. En effet, si on insiste sur l’obligation de concevoir un programme bien ficelé pour venir à bout des difficultés auxquelles font face ces caisses, héritage de longues années de mauvaise gestion, de laxisme et de laisser-aller, c’est notamment en raison de leur actuelle situation le moins qu’on puisse dire compliquée. Une situation qui s’explique notamment par un déficit qui ne cesse de se creuser davantage.
Un déficit chronique
Même si l’actuel gouvernement est parvenu à activer une série de mesures et de réformes visant à sauver la situation de ces organismes, dont notamment la contribution dite de solidarité de 1%, ou encore l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, ces décisions ne semblent pas avoir permis d’obtenir les résultats escomptés. Autant les chiffres présentés et avancés sont contradictoires et divergents, autant il est difficile de décrypter efficacement l’actuelle situation financière de ces caisses. Les différents décideurs ont eux-mêmes présenté, à maintes reprises, des estimations divergentes sur les équilibres financiers de ces fonds. En tout cas, actuellement, le déficit des caisses sociales est estimé à trois milliards de dinars, un chiffre jugé alarmant par le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi. Pour lui, en l’absence de véritables réformes, le déficit de la Cnrps, à lui seul, atteindrait le milliard de dinars en 2020. Dans ce sens, le ministre a justifié ce déficit par un inquiétant déséquilibre financier dans la mesure où le prélèvement sur les salaires ne permet plus de couvrir le paiement des pensions des retraités. Ce déficit correspond, dans ce sens, à un taux d’endettement jugé grave et qui risquerait de menacer, malheureusement, la pérennité de ces caisses, pilier du système de sécurité sociale. Ces dettes étaient estimées en 2018 à également trois milliards de dinars. Une situation qui devient de plus en plus insoutenable poussant l’Etat à verser mensuellement d’énormes montants dans les comptes de ces caisses pour assurer les pensions de retraite du secteur public. Le tableau noir qui illustre la gravité de la situation avec des caisses sociales plombées par les dettes fait-il renvoyer à une situation de faillite non-déclarée ? En tout cas, intervenir pour sauver ces caisses est d’une importance extrême pour éviter l’effondrement de tout le système de protection sociale, un scénario extrêmement dangereux pour toute l’économie, dont les premières répercussions ne sont autres que l’impossibilité de payer les pensions de retraite.
Aux origines du mal
Le constat est indéniable, les caisses sociales font face à la plus mauvaise étape de leur activité depuis leur mise en place il y a plusieurs décennies. Une séquence qui ne peut pas faire oublier l’âge d’or de ces caisses qui finançaient même des projets publics. Dans ce sens, l’ancien ministre des Finances, Hassine Dimassi, rappelait que jusqu’à la fin des années 1990, les investissements publics mobilisés étaient financés par l’épargne des compagnies publiques, dont notamment la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (Cnrps). Alors qu’est-ce qui a transformé ces caisses en un fardeau financier qui pèse sur la situation socioéconomique. Il s’agit sans aucun doute d’une nette mauvaise gestion enregistrée notamment après la révolution. C’est en tout cas ce que confirme cet ancien ministre. Il regrette, à cet effet, une détérioration alarmante des états financiers de ces caisses durant les huit dernières années, affirmant que cette question doit être la priorité absolue du prochain gouvernement. Mais pour Mohamed Trabelsi, l’origine du mal réside notamment dans les cumuls des arriérés des entreprises publiques auprès des deux caisses nationales. Lui qui épingle les mauvais payeurs explique : «Les arriérés des entreprises publiques auprès de la Cnrps s’élèvent à 800 MD dont 430 MD en 2018 et ces entreprises ne s’acquittent pas de leurs dettes de manière régulière».
Les solutions ?
L’actuelle situation désolante des caisses sociales n’est pas uniquement une affaire du gouvernement ou de l’Etat, il s’agit également de l’implication des différentes organisations nationales. C’est dans ce sens que le président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Samir Majoul, avait proposé de mettre en place un nouveau système de sécurité sociale dans le secteur privé qui permettra à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) de rétablir ses équilibres financiers à partir de 2025. Pour lui, cette proposition s’inscrit dans le cadre de la réforme de ces caisses qui permettrait d’élargir la base des affiliés sociaux notamment à travers la création de nouveaux postes d’emploi et la migration du secteur informel vers le secteur formel. Pour sa part, Noureddine Taboubi, le secrétaire-général de l’Union générale tunisienne du travail, fortement impliquée et concernée par cette question, a toujours plaidé en faveur de la séparation de la protection sociale de la couverture sociale, avec la création d’un nouveau fonds prenant en charge la couverture sociale des chômeurs et des licenciés en attendant leur embauche ou leur réintégration. Il a expliqué que parmi les causes du déficit des fonds, un total de 25 % des entreprises privées retranchent les cotisations des salaires de leurs employés sans les verser dans ces fonds. En tout cas, le constat est bien réel, les caisses sociales ne pourront, seules, surmonter cette crise qui menace même leur pérennité, une intervention de l’Etat est plus que nécessaire pour immuniser ces fonds contre un éventuel effondrement qui paralysera tout le système de sécurité sociale national. Cette intervention passera nécessairement par les agendas du prochain gouvernement qui doit faire de cette question sa priorité.