La Tunisie et la Sicile sont unies par des traditions ancestrales. Les deux appartiennent au même espace méditerranéen. C’est une évidence que personne ne peut nier. La Tunisie est africaine, méditerranéenne et arabe et projetée naturellement vers l’Europe et, plus particulièrement vers l’Europe du sud avec qui elle entretient des rapports historiques, amicaux, commerciaux, culturels et économiques.
Il se veut que, la fête de la Toussaint, célébrée le 2 novembre chez nos amis Siciliens, voit les gâteaux et toute sorte de sucrerie, comme l’unique symbole de cette fête. Les gâteaux typiques communs à la Sicile et à la Tunisie sont les « Pupi di zuccaru » ou poupées de sucre, aussi dites « pupi di cena » (poupées pour le dîner), d’où puppacena en langue sicilienne.
En réalité, il s’agit de gâteaux anthropomorphes, c’est-à-dire en forme humaine. Des personnages creux, en sucre durci et peint, rappelant des figures traditionnelles, comme les Paladins de France, les danseurs et les personnages typiques du théâtre des marionnettes siciliennes ou encore des animaux. En effet, selon l’historien Anouar Marzouki, « cette tradition des poupées de sucre est de tradition fatimide qui date de 969 et elle a émigré vers la Sicile sous la dynastie des Kalbites. Depuis, les Siciliens l’ont introduite à Nabeul ».
C’est justement en Sicile qu’on raconte d’un noble arabe réduit à la misère qui invite ses hôtes à un dîner et, n’ayant pas la possibilité d’acheter d’aliments spéciaux, il crée cette nouvelle recette pas chère et amusante qui sera d’ailleurs appréciée avec enthousiasme par ses invités. C’est pourquoi les « pupi » de sucre sont appelés « pupaccena », «Poupées pour dîner».
Une autre histoire, mais beaucoup plus tardive, raconte que pour la visite d’Henri III, fils de Catherine des Médicis, à Venise en 1574, les grands maîtres de la confiserie ont inventé des sculptures de sucre pour impressionner tous les nobles invités au dîner, donné en l’honneur du roi. Cette nouvelle vague culinaire, une fois arrivée à Palerme, a été reprise par les pâtissiers de l’île, qui ont créé des personnages de sucre très colorés en forme de chevaliers.
Mais les origines pourraient être aussi plus profondes et se référer aux cultes païens.
Le 2 novembre en Sicile est une date de « rencontre » entre les vivants et les morts, ceux-ci n’étant pas considérés comme des fantômes ou des zombies, mais comme des âmes bien aimées qui, le jour de la commémoration du défunt, apportent des cadeaux aux enfants. Comme Giuseppe Pitrè et Antonino Buttitta, de nombreux anthropologues ont étudié l’importance historique et culturelle de cette coutume particulière qui se rapporte au banquet funèbre du « cunsolo », repas cuisiné et offert à la famille du défunt par ses voisins. En Sicile, lors d’un décès, il était d’usage de ne rien préparer à manger pendant une semaine. C’était alors les voisins de la famille, qui prenaient en charge cette corvée.
Antonino Buttitta, célèbre anthropologue, universitaire et historien des traditions siciliennes, écrivait: « Contrairement au reste de l’Italie, en Sicile et ailleurs dans le Sud, il y a l’habitude d’offrir pour le 2 novembre des cadeaux aux enfants, une journée traditionnellement consacrée à la célébration des défunts. Selon la légende, les enfants laissent leurs portes ou leurs fenêtres entrouvertes la nuit, afin que les âmes des défunts puissent rentrer et déposer de beaux cadeaux ».
En effet, dans les maisons siciliennes, on disposait alors les poupées de sucre sur une table, parce qu’on croyait que cette nuit-là, les défunts de la famille venaient dîner dans leur ancienne demeure. Le dîner initialement fixé en l’honneur du défunt se transformait en nourriture à donner aux enfants. Comme je le souligne souvent dans mes textes, la Tunisie et la Sicile sont unies par des traditions millénaires, ancestrales, oserais-je dire, et c’est justement avec une belle tradition ancestrale, transmise de génération en génération, que Nabeul aussi, jolie ville balnéaire du Cap Bon, célèbre chaque année le nouvel an lunaire du calendrier hégirien avec « des poupées de sucre, aux couleurs chatoyantes et de différentes tailles et formes ».
Celles-ci « sont confectionnées à cette occasion et la coutume veut qu’on offre aux petites filles des poupées qui symbolisent une mariée, une gazelle ou un poisson et aux garçons des poupées en forme d’animaux, de préférence, en forme de coq, de cheval ou de lion . Il est également de tradition que les fiancés offrent à leur promise un «methred» (plat en terre cuite) au milieu duquel trônera une jolie poupée entourée de bonbons, de friandises et de fruits secs. Un festival de la poupée de sucre, ainsi qu’un concours de la plus belle poupée sont organisés chaque année. Les poupées de sucre de Nabeul seront cassées et consommées dix jours après Ras El Am pour célébrer «La Achoura» ».