La tendance à politiser tout ce qui a trait aux affaires de l’Etat et à la chose publique a longtemps engendré une certaine spécificité dans les discours, dans les prises de position, mais aussi et surtout dans la manière avec laquelle le pays est gouverné.
Toute réussite découle forcément d’une certaine logique. Le contexte politique actuel fait que la réussite ne dépend pas uniquement de la compétence et de l’aptitude de celui qui en assume la responsabilité. Celle-ci doit être forcément partagée. Le prochain locataire de La Kasbah, Habib Jomli, qu’on dit proche du mouvement Ennahdha, sans en faire toutefois partie, est présenté comme une personnalité technocrate et fédératrice. Il dispose d’un mois, renouvelable une fois, pour constituer son gouvernement. Un mois pour former, comme l’assure Abdelkerim Harouni, un «gouvernement fort et solide».
Cela n’est cependant possible qu’à travers un large consensus entre les différentes parties du paysage politique. Le chef du gouvernement désigné affirme qu’«il compte sur la contribution des organisations nationales et les instances de la société civile ainsi que sur les propositions des autres partis ».
A défaut, il n’aura plus qu’une petite marge de manœuvre. Il arrive parfois que la présence d’une personnalité soit une étape captivante. Cela est susceptible même d’entraîner une vague porteuse et bénéfique. Mais à quelles conditions ?
Point de consensus, point de résultats, point de stratégie et surtout une incapacité évidente à attaquer les grands dossiers de réforme, surtout en l’absence des dispositions requises. Dans un paysage où les responsables politiques, les vrais, sont devenus rares, les courageux aussi, les réactions concrètes et suivies d’actes sont pratiquement inexistantes. Effacée face aux problèmes, la classe politique a rajouté à ce tableau noir un déficit d’implication évident.
Elle tourne le dos aux besoins du citoyen, à son pouvoir d’achat, à ses aspirations, à ses craintes. A ses problèmes quotidiens tout court.
Il est indispensable aujourd’hui de tirer les enseignements de cette tendance à considérer un chef de gouvernement comme étant le seul concerné par la réhabilitation et par les réformes à mettre en place. L’on sait que la crise économique qui ne cesse de s’amplifier fait écho à une déformation qui tire son origine de l’absence de réactivité et de ressort des parties concernées.
Bien des choses devraient changer dans les consultations que Habib Jomli mènera en vue de former son gouvernement. Dans les choix, dans les rôles.
Il n’y en a pas de plus significatif pour la reconstruction, pour la confiance. En un mot, tout ce qu’il faut pour retrouver les « vertus ».
On a tous l’espoir que cela changera. On pourrait même penser à des séances de franchise et de thérapie collective pour tenter de comprendre et se promettre de ne plus connaître les mêmes désillusions. Rappeler chacun à son devoir, à ses obligations, à son intégrité envers le pays. On est toujours convaincu que les affaires de l’Etat, dans leur véritable signification, devraient être inaccessibles à ceux qui n’y ont plus leur place. Surtout par rapport à ce qui est exigé dans le contexte actuel.
Un contexte qui nécessite un redressement complet. C’est une épreuve que celle de porter le pays vers le haut. Une épreuve inaccessible cependant aux responsables défaillants. La déchiqueteuse en est pleine. A ce niveau d’exigence, ce ne sera pas alors un autre contexte, mais un autre monde. Ne dit-on pas que créer, c’est résister…