Dresser le bilan, faire le constat et surtout l’admettre, c’est déjà un premier pas, mais oser restructurer et avoir cette décision politique efficace qui sera la locomotive des réformes qui doivent être menées au sein des structures défaillantes, s’impose comme un des principaux objectifs, mais aussi défis, que doivent lancer les nouveaux ministres et notamment le nouveau chef du gouvernement.
Ce n’est pas un discours alarmiste, encore moins des propos pour réduire le rôle de ces acteurs sociaux, mais la réalité et l’actuelle situation de la majorité des entreprises publiques sont désolantes. Qu’il s’agisse du secteur de la santé publique, de l’enseignement, de la sécurité sociale, des énergies, le constat est le même, des entreprises déficitaires, des budgets insuffisants, des programmes de restructuration à la traîne et notamment l’absence d’une vision pour sauver ces structures sociales.
Le transport n’échappe pas à ce constat amer, pire encore, il se présente comme étant l’un des secteurs où les entreprises publiques accusent un déficit financier et un manque à gagner énormes. Dresser le bilan, faire le constat et surtout l’admettre, c’est déjà un premier pas, mais oser restructurer et avoir cette décision politique efficace qui sera la locomotive des réformes qui doivent être menées au sein de ces structures défaillantes, s’impose comme un des principaux objectifs, mais aussi défis, que doivent lancer les nouveaux ministres et notamment le nouveau chef du gouvernement. Car engager ce processus de réformes de ces structures publiques requiert avant tout une vision claire, une décision politique efficace et, bien entendu, l’implication des partenaires sociaux pour éviter tout risque de blocage.
Parmi ces entreprises publiques dont la restructuration, pour ne pas dire l’opération de sauvetage, s’impose aujourd’hui plus que jamais, c’est en particulier la Société des transports de Tunis appelée communément la Transtu, l’une des sociétés de transport les plus importantes en Tunisie, et notamment dans la capitale Tunis où elle assure quotidiennement les voyages de centaines de milliers de Tunisiens, en particulier élèves, étudiants et travailleurs. Un rôle et une responsabilité sociaux qui ne peuvent en aucun cas être remis en cause, mais ne cachent pas malheureusement les difficultés financières, logistiques et administratives auxquelles fait face la Transtu. Ce problème a été mis au jour récemment par l’ancien P.D.G. de cette entreprise, Salah Bel Aid, qui pense même que le grand opérateur historique du transport risque de disparaître si l’Etat n’intervient pas, surtout que la société a un cumul de pertes, durant la période 2010-2018, de 800 millions de dinars (MD).
Surcharge, endettement et inefficacité
En effet, selon les déclarations de cet ancien P.D.G., qui parle en connaissances de cause, les dettes atteindront les 960 MD, à fin 2019, dont 85% sont contractées auprès de l’Etat et des sociétés publiques, dont la Cnrps, la Steg…, alors que le reste est dû aux fournisseurs de la société. Une réalité qui a fait que les prestataires de services refusent d’opérer de nouveau avec cette entreprise en raison de sa situation financière, ce qui risque de mettre en péril son activité et sa pérennité.
Pour lui, le mal trouve ses origines dans la politique de recrutement adoptée par l’entreprise après la révolution. «Les 1.200 agents recrutés, durant la période 2010-2012, ont été placés, pour la plupart, dans des hauts postes, alors que la société avait besoin de techniciens et d’employés de terrain», souligne Bel Aid, ajoutant que cet effectif était en mesure de faire fonctionner deux sociétés de transport régional.
En fait, ce problème de recrutement « abusif » qui s’est opéré au nom de la paix sociale après les évènements de la révolution, quand les principales revendications étaient l’emploi, ne concerne pas seulement cette entreprise publique, mais s’étend à d’autres entreprises qui souffrent jusqu’à présent de ces choix défaillants. Le cas de Tunisair se présente comme étant un exemple frappant de cette mauvaise gestion.
Mais pour la Transtu, l’enjeu est double, gérer un sureffectif parfois inefficace, et faire face à une flotte vieillissante malgré l’acquisition dernièrement de nouveaux bus. En effet, la flotte de la Transtu ne semble plus répondre à la demande et à la qualité de service que doit assurer cet opérateur historique du transport. D’ailleurs, les voyageurs se plaignent quotidiennement de l’état des engins pour lesquels opte la société pour assurer de centaines de voyages quotidiennement.
«Le parc de la société ne cesse de se détériorer, puisque nous comptons aujourd’hui 700 bus fonctionnels, contre 966 bus en 2010, ce qui a entraîné une baisse de 23% de la distance parcourue par rapport à 2010. Partant, le nombre de voyageurs a baissé, et les recettes d’exploitation ont chuté de -25%», a expliqué l’ancien P.D.G. de la société.
Un constat qui poussé les responsables de la Transtu à acquérir de nouveaux bus, pour renforcer les capacités logistiques et répondre à une demande de plus en plus croissante. D’ailleurs, l’été dernier, la société a annoncé que plus de 160 nouveaux bus ont été acquis, notamment pour relancer les lignes suspendues reliant certains quartiers populaires à la capitale Tunis.
Soupçons de corruption
Si l’urgence de réformer de cette entreprise publique s’impose aujourd’hui, c’est en raison également des soupçons de corruption dont elle fait l’objet. Il ne s’agit pas d’une mince affaire, puisque le ministère du Transport a ordonné il y a plus de deux semaines un audit approfondi au sein de cette entreprise après la découverte de dépassements et d’abus. En effet, le ministère a annoncé, le 30 octobre 2019, avoir chargé une inspection générale du département pour effectuer un audit approfondi de la Transtu et de la Société du transport du Sahel (STS) dans le cadre de la lutte contre la corruption.
A ce titre, quatre mandats de dépôt ont été émis sur ordre du juge d’instruction près le tribunal de première instance de Mahdia à l’encontre du chef du service de l’exploitation et de la réparation de la Transtu au Sahel et du chef de l’équipe d’entretien.
Force est de constater, donc, que le secteur du transport devrait faire l’objet d’un grand programme de mise à niveau pour améliorer ses performances. Il s’agit essentiellement de restructurer plusieurs sociétés de transport public, dont notamment la Transtu, qui peine aujourd’hui à s’acquitter même des frais d’assurance de ses engins à cause d’un manque accru de liquidité, ce qui met en péril son activité et menace de perturber la régularité de ses voyages.
Quelles solutions ?
A l’instar de toutes les entreprises publiques en difficulté, la Transtu a, plus que jamais, besoin d’un plan de restructuration et de réformes d’envergure. D’ailleurs, l’actuel directeur général de la société, Anis Maloulchi, a reconnu, dans des déclarations médiatiques, que la situation générale de la société est difficile, précisant qu’il est urgent de lancer une série de réformes urgentes afin d’augmenter le chiffre d’affaires de la Transtu.
A cet effet, Tarak Cherif, président de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), ne voit que la privatisation comme seule alternative et issue de secours pour les entreprises publiques. Pour lui, l’Etat n’a pas à tout gérer, il n’a qu’à réduire ses dépenses dans les secteurs peu porteurs et devra plutôt se concentrer sur les nouvelles technologies, l’éducation et la santé. « Allez voir le parc de la Transtu et les engins en panne et défaillants qui constituent un fardeau pour la société. On doit privatiser le secteur du transport et mettre les opérateurs privés en compétition avec des cahiers des charges bien établis, c’est la seule issue aux problèmes de ces entreprises publiques », explique-t-il.
Même son de cloche chez l’ancien P.D.G. de la Transu, Salah Bel Aid, qui appelle à accélérer l’opération de l’assainissement financier et social de la Transtu, notamment via le licenciement de 800 agents, d’améliorer le niveau de l’offre, à travers l’acquisition de 300 nouveaux bus et l’implication du privé dans la maintenance des métros, et l’accélération de la mise en service du RFR, des mesures qui nécessitent, selon lui, des fonds d’un milliard de dinars.