Etant un grand réservoir de main-d’œuvre bon marché pour les propriétaires terriens, les ouvrières agricoles se rendent très tôt aux champs pour travailler, souvent au péril de leur vie.
Source de fierté pour la Tunisie et les Tunisiens, la femme a joué un rôle avant-gardiste qui n’est plus à démontrer au fil de l’histoire, et ce, dans les domaines sécuritaire, militaire, industriel économique et surtout agricole.
Mais malgré l’arsenal juridique et les batteries de lois accumulées en sa faveur, leur application fait souvent défaut. D’où l’importance pour les composantes de la société civile à agir en connaissance de cause pour leur mise en œuvre, car la bataille de la femme est celle de la société dont l’évolution demeure tributaire de la place de choix qui lui revient.
En effet, la femme fait preuve de beaucoup d’énergie et de volonté dans l’exercice de ses différentes activités, notamment agricoles. D’aucuns estiment, en effet, que le salut de l’activité agricole demeure tributaire de la participation de la femme rurale au travail de la terre, à l’image de ce que l’on peut constater ces jours-ci dans toutes les délégations du gouvernorat de Kairouan où, chaque matin, des milliers d’ouvrières quittent leurs foyers et se rendent dans les oliveraies pour cueillir les olives arrivées à maturité, et ce, dans des conditions très difficiles (absence de transport sécurisé, salaire inférieur au salaire minimum garanti dans le secteur agricole, risques de maladies professionnelles liées à la nature de leurs activités, absence de textes juridiques qui obligent les employeurs à améliorer la situation de la femme rurale, etc.).
M. Radhouen Fatnassi, membre de la section de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme de Kairouan, nous précise dans ce contexte que 62% de la main-d’œuvre exerçant dans le secteur agricole sont des femmes et 38% sont des hommes.
En outre, 90% de ces femmes n’ont aucune assurance ni sécurité sociales. Seules 10% d’entre elles en bénéficient, puisqu’elles travaillent dans des mutuelles et des sociétés de développement agricole…
C’est pourquoi toutes les composantes de la société civile ont accueilli avec beaucoup de soulagement les décisions prises au mois d’août 2018 lors d’un CMR afin d’intégrer la femme rurale dans le processus de couverture sociale avec la signature d’une convention permettant à plus de 500.000 femmes d’en bénéficier.
D’ailleurs, le lancement effectif du programme “Ahmini“ a eu lieu au mois de mars 2019 avec pour objectif de permettre aux ouvrières qui sont inscrites dans le cadre du programme d’économie sociale et solidaire d’être affiliées au système de sécurité sociale, c’est-à-dire bénéficier d’un carnet de soins et d’une pension de retraite… «C’est pourquoi nous avons lancé plusieurs campagnes pour sensibiliser les femmes quant à l’importance du programme “Ahmini“, d’autant plus que la majorité d’entre elles sont analphabètes et ont un mode de vie qui ressemble à celui du Moyen-Age avec une infrastructure défaillante, absence d’eau, d’électricité…».
Notons que le nombre d’adhérentes à ce programme a atteint depuis son lancement le 2 mai 2019, 2.000 femmes à Kairouan.
Mahbouba Messoudi (originaire du village de Sayada nord de la délégation d’El Ala) et Hadda Hleïli (de la zone d’El Ong de la délégation de Haffouz) font partie de celles qui ont déjà adhéré au programme “Ahmini” : «Mais nous aurions voulu être au préalable consultées afin que nous puissions avancer nos suggestions sur la question, sachant que le milieu rural a ses spécificités, et que beaucoup de femmes sont nécessiteuses, n’ont pas de téléphones et ne savent ni lire ni écrire. Certaines se font aider par leurs enfants afin qu’elles procèdent à l’envoi des SMS pour les cotisations. Et puis, le nouveau système de couverture sociale devrait aussi s’accompagner de mesures efficaces pour le transport des ouvrières aux champs agricoles…».
A 35 ans, elle paraît en avoir 50 !
Etant un grand réservoir de main-d’œuvre bon marché pour les propriétaires terriens, les femmes sont contraintes d’être au four et au moulin aussi bien à la maison avec les exigences de l’époux et des enfants que dans les champs agricoles où elles subissent les caprices et les diktats de leurs employeurs et où elles sont exposées à divers risques. Cela sans oublier qu’elles s’attellent tous les jours aux tâches quotidiennes, comme chercher l’eau, couper le bois, surveiller les animaux, abreuver les vaches, cuire le pain, nettoyer la maison, laver le linge, s’occuper des enfants…
Ainsi ces «nissa essaouani», âgées entre 17 et 70 ans, se déplacent quotidiennement dans ces camionnettes, entassées les unes sur les autres pour percevoir à la fin de la journée un salaire journalier de misère oscillant entre sept et dix dinars, alors qu’elles travaillent entre sept et seize heures par jour en moyenne. Halouma Bouraui, originaire de Aïn Jloula (délégation d’El Ouslatia) âgée de 35 ans et qui paraît en avoir cinquante, nous parle de son calvaire : «Je souffre de diabète et d’hypertension et j’ai été victime par le passé d’un accident de transport qui m’a causé des fractures au bras et à la jambe. Et puis, dans les champs, nous affrontons le froid glacial de l’hiver et la chaleur torride de l’été. En outre, on ne bénéficie que d’une heure de pause pour le déjeuner. De plus, il nous arrive de ne pas trouver de toilette, ce qui nous met très mal à l’aise. Enfin, nous devons toujours faire attention à notre honneur. Beaucoup de jeunes filles ont été violentées à cause de leur refus de céder aux avances sexuelles de leur employeur…».
Pour un meilleur transport des ouvrières agricoles
C’est dans ce contexte que le secrétaire d’Etat chargé du transport a présenté, au cours de la séance du 16 mai au Parlement, les principales mesures prises par le département pour mettre fin aux accidents mortels dans le secteur agricole.
Parmi ces mesures, il a cité la mobilisation de quelques bus, l’attribution d’avantages financiers et fiscaux pour permettre aux agriculteurs d’acquérir des véhicules pour le transport des ouvriers et l’attribution par les gouverneurs des autorisations aux chauffeurs de voitures de taxi ou des louages pour transporter les ouvriers et ouvrières pendant les saisons agricoles.
D’un autre côté, le chef du gouvernement a annoncé, lors d’une conférence tenue à Tunis, le 10 août 2019, sur le thème «La femme dans les postes de décision politique», qu’une enveloppe de l’ordre de 10 millions de dinars sera versée dans un compte à la Banque tunisienne de solidarité, pour l’acquisition de moyens de transport au profit des femmes travaillant dans le secteur agricole.
Somme toute, espérons que ces décisions se concrétiseront tant les risques d’accident et donc de mortalité demeurent réels et que les conditions de travail et de rémunération sont aussi à revoir afin de garantir un minimum de dignité à toutes celles qui se sacrificent pour subvenir aux besoins de leurs familles et pour contribuer à la promotion du secteur agricole.