En l’absence de chiffres récapitulatifs et de données exactes sur le sort de ces prêts, dons et aides financiers octroyés à la Tunisie à l’issue de la révolution, des voix commencent à s’élever appelant à ouvrir ce dossier et dévoiler le sort de milliards de dollars et d’euros dont a bénéficié la Tunisie ces neuf dernières années.
Au nom de la protection de l’expérience démocratique naissante et à l’issue des événements de 2011, la Tunisie a été largement et amplement assistée sur le plan financier et économique par les pays bailleurs de fonds, mais aussi par les organismes financiers internationaux dont notamment le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et les banques régionales comme la Banque africaine de développement (BAD). En l’absence de chiffres récapitulatifs et de données exactes sur le sort de ces prêts, dons et aides financiers octroyés à la Tunisie à l’issue de la révolution, des voix commencent à s’élever appelant à ouvrir ce dossier et dévoiler le sort de milliards de dollars et d’euros dont a bénéficié la Tunisie ces neuf dernières années.
De simples opérations d’addition nous amènent à constater que la Tunisie a eu accès à plusieurs milliards de dollars d’assistance financière et économique, dont une large partie a été octroyée à notre pays sous forme de prêts à taux d’intérêts assez élevés au vu de la situation économique et la conjoncture politique et sociale très peu confortables que connaissait la Tunisie depuis le soulèvement populaire de 2011. Mais ces fonds énormes auxquels elle a eu accès ne semblent pas avoir amélioré la situation économique, puisqu’après neuf ans, les finances publiques, l’économie et les équilibres financiers accusent toujours les même problèmes chroniques, et pire encore, le taux d’endettement extérieur ne cesse de s’aggraver.
Qui pourrons-nous tenir pour responsables face à cette situation marquée par l’absence d’une information et de données claires ? Ces prêts et mécanismes d’assistance financière ne sont-ils pas soumis à un plan de gestion et une stratégie étudiée pour optimiser leur efficacité? Quel sort pour les centaines de millions de dollars et d’euros et comment ont-ils été utilisés ? N’est-il pas temps d’ouvrir ce dossier et faire les comptes nécessaires pour éclairer les citoyens ? Tant de questions que se pose aujourd’hui l’opinion publique tunisienne alors que personne ne peut apporter même pas quelques éléments de réponse.
En tout cas, la question a été récemment soulevée par l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) lorsque son secrétaire général adjoint, Bouali Mbarki, a fait savoir que la centrale syndicale s’apprête à déposer une demande d’accès à l’information sur le sort des prêts octroyés à la Tunisie après la révolution. En effet, dans une déclaration à l’agence TAP, le syndicaliste a expliqué dans ce sens que «l’Ugtt est l’une des rares organisations syndicale dans le monde qui intervient uniquement dans les affaires nationales, ne choisit pas le parti au pouvoir et ne se soumet pas aux partis politiques». Donc, selon ses dires, il est de son ressort de se pencher sur ces questions qui touchent à l’intérêt public. La centrale syndicale soupçonne-t-elle une mauvaise gestion de cet argent ? Si le syndicaliste n’a pas répondu à cette question, d’autres se sont montrés catégoriques à cet effet. C’est le cas du député du Parti destourien libre (PDL) et membre de la commission parlementaire provisoire des projets de loi de finances pour l’exercice 2020 et le projet de loi de finances pour 2020, Majdi Boudhina. En effet, ce dernier, qui parle au nom de son parti, soupçonne une mauvaise gestion de ces prêts et aides dont a bénéficié la Tunisie après la révolution. Dans une déclaration aux médias, il a récemment indiqué que le PDL exige un audit approfondi sur le sort de ces assistances financières octroyées à la Tunisie depuis 2011. Cet appel intervient, selon ses dire, en raison du taux d’endettement de la Tunisie qu’il a jugé inquiétant.
Dette publique insoutenable
Ces fonds, non seulement n’ont pas pu améliorer la situation économique du pays, car une large partie a été consacrée à faire face à la masse salariale en perpétuelle augmentation, mais ils ont aussi aggravé l’endettement extérieur du pays et par ricochet la dette publique. Tous les économistes et analystes financiers se montrent pessimistes et inquiets à cet effet, d’autant plus que selon le rapport annuel de la Banque mondiale, publié en août dernier, l’endettement public de la Tunisie est estimé à 77.1% en 2018. Selon les prévisions économiques, ce chiffre atteindrait les 83% en 2019. Quant à l’endettement extérieur, la situation est vraiment inquiétante, il va passer de 94% à 104% du PIB durant la fin de l’année 2019, sachant que ce taux varie selon la valeur du dinar. Dans ce sens, l’expert en économie Moëz Joudi a rappelé qu’en 2010, le taux d’endettement public était à 40% seulement du PIB, faisant remarquer que l’ancien régime de Ben Ali avait installé un système irréprochable de gestion de la dette publique.
Le dernier rapport publié en août dernier par l’Institut national des études stratégiques a appelé à mobiliser les institutions de statistiques (CEA, Itceq, INS), voire à lancer un débat national, pour arrêter cette hémorragie et faire de cette question une priorité nationale. «Il est nécessaire d’introduire un cadre budgétaire pluriannuel dans l’esprit de la loi de programmation des finances publiques et de la dette publique, mais plus détaillé, qui soit cohérent avec la règle et la mettre en œuvre, ainsi qu’une obligation constitutionnelle pour le gouvernement à adhérer à ce cadre», a-t-on proposé.
Le FMI et l’UE, principaux acteurs
Le Fonds monétaire International (FMI) s’est toujours présenté à l’issue des événements de 2011 comme principal assistant financier de la Tunisie, notamment à travers l’octroi de crédits. Mais n’oublions pas l’autre face de la médaille, cet organisme financier a pu également imposer ses exigences en matière de gestion des politiques financières publiques aux différents gouvernement qui se sont succédé depuis la révolution. D’ailleurs, une délégation d’experts du FMI était en visite à Tunis en octobre dernier pour une mission de quatre jours. Cette visite entrait dans le cadre du suivi du programme des réformes économiques, avait indiqué le ministre chargé des Grandes réformes, Taoufik Rajhi. Il a souligné que «la sixième revue pourrait contenir des engagements signés par le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur les choix et réformes à entreprendre» soulignant que «cette sixième revue est nécessaire pour assurer le financement du budget de 2020».
L’accord relatif au mécanisme élargi de crédit assuré par le FMI au profit de la Tunisie prévoit plusieurs tranches, sur une période de quatre ans, jusqu’au mois d’avril 2020. La Tunisie a jusque-là reçu cinq tranches d’un montant global de 1,8 milliard de dollars, sur un total de 2,8 milliards de dollars.
Il n’y a pas que le FMI qui a apporté son assistance financière à la Tunisie pour protéger son expérience démocratique naissante, combattre le terrorisme et restructurer son économie. L’Union européenne, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Canada et certains pays du Golfe, outre des pays asiatiques comme le Japon et la Chine, revendiquent tous avoir assisté considérablement la Tunisie après la révolution.
D’ailleurs, l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, avait indiqué en octobre dernier que la Tunisie avait reçu 10 milliards d’euros de l’UE depuis 2011 en dons et en prêts. «Le point en commun entre soutien, aide, encouragement et ingérence ou interférence est toujours délicat mais au-delà de cet équilibre fondamental, il existe un élément simple à retenir : la Tunisie a reçu de la part des Européens depuis 2011, 10 milliards d’euros en dons et en prêts. La Tunisie avait reçu aussi de la part des bailleurs de fonds plus que ce qu’on lui avait promis», a-t-il expliqué.
Donc l’Union européenne et le FMI ont, à eux seuls, mobilisé au profit de la Tunisie des fonds estimés à plus de 12 milliards de dollars, ce qui correspond à peu près à un peu moins de son budget annuel estimé à 40 milliard de dinars. D’énormes fonds qui n’ont pas été malheureusement utilisés dans le cadre de projets d’investissement et de développement mais plutôt pour répondre à une masse salariale grandissante. Aujourd’hui, alors que l’opinion publique se montre perplexe et perdue face à ces innombrables chiffres et données et les informations presque quotidiennes de l’octroi de nouveaux crédits à la Tunisie, n’est-il pas est grand temps de faire les comptes nécessaires et dresser le bilan de ces fonds octroyés à la Tunisie tout au long de ces neuf dernières années ? A suivre.