Aujourd’hui, ouvrir le dossier des opérations d’envoi de jeunes dans ces zones de conflits, en étroite liaison avec des affaires terroristes, relève d’une question de sécurité nationale. La Tunisie, qui s’est engagée dans une longue guerre contre le terrorisme, doit avant tout se pencher sur ce dossier et en trouver les solutions sécuritaires pour prévenir de nouvelles opérations de ce genre qui mettent en péril la sécurité des Tunisiens.
Le dossier a été rouvert récemment par le Parti Destourien Libre. La commission d’enquête parlementaire de la première législature portant sur les réseaux d’envoi de jeunes Tunisiens dans les zones de conflits, notamment en Syrie, en Irak et en Libye, semble avoir échoué à faire preuve de son efficacité et son utilité.
Pour cause, depuis son lancement en février 2017, elle a fait objet de tiraillements politiques, de polémique médiatique et de pressions exercées par certaines parties. Aujourd’hui, deux ans après sa mise en place et alors que ses travaux ont pris fin avec l’achèvement du travail parlementaire de la première législature et l’élection d’un nouveau parlement, aucun résultat, rapport ou communication n’ont vu le jour pour éclairer l’opinion publique sur l’un des dossiers post-révolution, les plus lourds, d’autant plus qu’on parle d’un grand nombre, jusqu’à présent inconnu, de jeunes Tunisiens qui ont été envoyés dans ces zones de conflit et de guerre.
Récemment, les députés du bloc parlementaire du PDL, dont notamment Majdi Boudhina, ont affirmé que leur parti a soumis une demande officielle au bureau de l’ARP lui demandant de lui livrer les résultats auxquels a abouti la commission d’enquête parlementaire et lui permettre de prendre connaissance des rapports d’enquêtes, rouvrant ainsi le débat autour de cette commission d’enquête entourée de flou, d’interrogations et même d’accusations.
«Le bloc parlementaire du parti destourien libre a déposé une demande officielle pour avoir accès aux rapports de la commission chargée d’enquêter sur les réseaux d’envoi des jeunes dans les zones de conflits. La demande concerne également les auditions réalisées par la commission», a-t-il expliqué dans des déclarations médiatiques. Et d’ajouter, dans ce sens, que l’opinion publique n’a pris connaissance d’aucun résultat de cette commission d’enquête ni des auditions qu’elle a pu faire dans le cadre de son travail.
Évoquée depuis les élections législatives de 2014, cette commission d’enquête a été lancée officiellement en février 2017 suite à un vote au parlement. Elle a été présidée, au début, par la députée de Nida Tounès, Leïla Chettaoui, qui s’est retirée suite à des conflits internes au sein de son parti, et c’est Hela Omrane, ancienne membre de ce parti, qui l’a remplacée.
Cette commission parlementaire a auditionné, rappelons-le, les parents des jeunes détenus en Syrie, de façon anonyme, et ce en coordination avec le ministère de la Justice. Elle a également organisé une visite en Syrie où elle a rencontré les autorités locales, et quelques jeunes Tunisiens détenus dans les prisons syriennes. Mais aucun résultat n’a été, en effet, communiqué au grand public qui attend de connaître toutes les vérités sur ce dossier.
Tiraillements politiques
Poursuivant son travail tout au long de plus de deux ans, la commission d’enquête a vu sa mission d’enquêter sur les réseaux locaux, régionaux et internationaux, qui ont contribué aux opérations d’envoi massif de jeunes Tunisiens dans les zones de guerre notamment en Syrie, entravée, à plusieurs reprises, à cause des tiraillements politiques.
Et ce sont justement ces raisons portant sur la politisation de cette commission qui ont poussé la députée Fatma Messedi à présenter sa démission en janvier dernier et à dévoiler des manquements au niveau de son fonctionnement. Cette décision intervenait en raison de ce qu’elle appelle le «blocage délibéré des travaux de la commission».
En effet, Messedi avait indiqué que «la commission était appelée à présenter son rapport à peu près deux mois après le démarrage de la session parlementaire en octobre 2018, chose qui n’a pas eu lieu. En raison de la politisation de son travail, la commission n’était pas en mesure de parachever ses travaux et rédiger son rapport», a-t-elle expliqué.
En juin dernier, cette même députée avait déclaré que 80% des rapports et des auditions de cette commission prouvent l’implication de dirigeants du parti Ennahdha dans ces réseaux d’envoi de jeunes dans les zones de conflit. «Le rapport définitif de cette commission devait être publié en mars dernier, chose qui n’a pas eu lieu, suie aux pressions du parti Ennahadha», a-t-elle accusé.
Voilà une législature qui s’achève, une autre qui commence, mais les résultats de cette commission d’enquête, dont la mise en place était, pour certains observateurs, un simple moyen pour calmer l’opinion publique dans une difficile conjoncture sécuritaire, n’ont pas vu le jour, à cause, vraisemblablement des tiraillements politiques.
Le PDL peut-il, seul, rouvrir ce lourd dossier et aller dans le sens de la révélation des rapports de cette commission ?
Doit-il convaincre d’autres blocs parlementaires d’adhérer à sa cause pour faire pression et dévoiler les vérités ?
Quel sort sera-t-il réservé aux rapports et résultats d’enquête de cette commission ? Comment les nouveaux élus vont-ils traiter ce sujet ?
Va-t-on proposer une nouvelle commission d’enquête similaire pour assurer la continuité du travail de la commission en question ?
Tant de questions, mais très peu de réponses, alors que l’opinion publique exige la vérité.
Réseaux d’envoi, embrigadement et terrorisme
A l’issue des événements de 2011, un mouvement massif d’envoi de jeunes Tunisiens dans les zones de conflit et notamment en Syrie a été enregistré. Ces opérations d’envoi impliquaient même des réseaux terroristes et des associations religieuses qui ont convaincu un grand nombre de jeunes de rejoindre les rangs des terroristes dans ce pays, notamment l’organisation terroriste Daech.
Certains de ces jeunes Tunisiens se sont transformés en chefs de groupes terroristes menaçant même la sécurité nationale, selon plusieurs rapports sécuritaires. Inutile de rappeler qu’un certains nombre d’entre eux, partis faire ce qu’ils appellent le «Jihad», sont impliqués dans les attaques terroristes qui ont ciblé la Tunisie en 2016.
Quelque 2929 terroristes tunisiens se trouvaient dans les zones de conflit, a confirmé en mai 2018, le porte-parole du pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, Sofiène Sliti. Parmi eux, seulement 160 environ sont revenus de ces zones de conflits, et 90% de ceux qui sont revenus en Tunisie ont été incarcérés, avait-il expliqué. Pourtant, plus récemment, le président de la commission nationale de lutte contre le terrorisme, Mokhtar Ben Nasr, avait déclaré que le nombre des terroristes tunisiens de retour des zones de conflit a atteint les 1.000 jusqu’au mois d’octobre 2018.
Selon des données fournies par le ministère de l’Intérieur, seulement en 2017, 29.450 jeunes ont été interdits de voyager vers les zones de conflit.
Le ministère précise qu’en 2017, plus de 122.000 descentes ont été effectuées et 1.509 personnes recherchées pour des affaires terroristes ont été arrêtées.
Aujourd’hui, ouvrir le dossier des opérations d’envoi de jeunes dans ces zones de conflits, en étroite liaison avec des affaires terroristes, relève d’une question de sécurité nationale.
La Tunisie, qui s’est engagée dans une longue guerre contre le terrorisme, doit, avant tout, se pencher sur ce dossier et en trouver les solutions sécuritaires pour prévenir de nouvelles opérations de ce genre qui mettent en péril la sécurité des Tunisiens.