Cinéma – «Noura rêve» de Hinde Boujemaa : Des intentions non abouties

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Film féministe, «Noura rêve» de Hinde Boujemaa défend la cause de la femme à travers une histoire basée sur des faits réels, mais sans aller jusqu’au bout de ses intentions. Appréciation critique.


Issue d’un milieu populaire et d’une catégorie sociale très modeste, mère de trois enfants, Noura (Hend Sabri) travaille dans la laverie d’un hôpital. Forte et courageuse, elle supporte seule le fardeau du quotidien et les charges de son foyer. Car son époux Jamel (Lotfi Abdelli), délinquant récidiviste, purge une peine de prison. Mais malgré tout, le film s’ouvre sur un espoir de jours meilleurs : Noura est amoureuse et rêve de vivre pleinement son bonheur avec son amant Lassaâd (Hakim Boumassaoudi) mécanicien de son état, tendre et protecteur. Cela d’autant qu’il ne reste plus que cinq jours avant que Noura ne divorce de Jamel. Mais cet ordre est fortement dérangé et cet espoir s’évanouit quand Jamel est libéré prématurément de prison suite à une grâce présidentielle.
Terrorisée par la peur de voir sa relation illégale découverte par son mari, Noura n’a pour seule alternative que le mensonge, car la loi punit sévèrement l’adultère. La figure centrale du film plonge, donc, dans une situation de désordre cahotique tant elle est tiraillée et ballottée entre un époux fripon en diable, possessif, violent et irresponsable et un amant pressé et nerveux.

La caméra se focalise sur les personnages de ce triangle amoureux, marqué par le mensonge, la possession, la jalousie, la vengeance et la violence.
Un triangle annoncé d’emblée dans l’affiche du film à travers un surcadrage où il aurait été plus logique de voir l’héroïne en second plan, plutôt qu’en avant-plan, tant dans le déroulé du récit elle s’avère emprisonnée et enserrée entre le mari et l’amant. En se focalisant quasi-exclusivement sur son trio de personnages, Hinde Boujemaa évacue tout environnement social — les quartiers populaires sont filmés toujours vides et déserts — et même familial, car ici les personnages des enfants, très peu développés, sont loin d’être actants. A part se chamailler, ils n’interférent pratiquement pas dans le conflit parental et n’ont pas de points de vue.

Certes, une piste est annoncée en guise de développement du personnage de la fille aînée (scène du maquillage et dans la rue), mais elle est vite abandonnée en cours de route.
Par ailleurs, le personnage du commissaire de police (Jamel Sassi) se révèle si mince, façon stéréotype du flic corrompu. Basé sur des faits réels, ce drame a, pour élément moteur, la peur qui habite Noura, dont le rêve se transforme en cauchemar. Cette peur, qui pétrifie Noura, la plonge dans le mensonge et le déni (scène du dîner). Mais, une fois démasquée par son mari et suite à la scène de la vengeance (climax du récit), on s’attendait à voir ce personnage évoluer et s’assumer enfin.
Or, dans le long plan séquence de l’interrogatoire, au commissariat, où les trois protagonistes sont confrontés, Noura sombre encore plus dans la dissimulation passive, n’affichant aucune volonté d’affronter la vérité, de s’affranchir ni de se libérer.
Ce qui est conforté par le parti pris de la réalisatrice qui filme de manière surcadrée Noura et Jamel en avant-plan et Lassad, en arrière-plan, n’osant pas franchir le pas de la libération de Noura.

Et l’évocation visuelle ?
Du coup, ce plan-séquence s’éternise mollement, malgré les cris et hurlements et tout le boucan ambiant, car la réalisatrice transfère notre attention sur la corruption plutôt que sur l’évolution des rapports entre les personnages de ce triangle amoureux. Alors qu’on escomptait un moment fort, entre dialogues et filmage, tout retombe comme un soufflé. Noura continue à subir sans s’affranchir. Et ce n’est pas le gros plan final sur le visage de l’héroïne, bouclant la boucle avec le premier plan du film, qu’on voit répondre au téléphone en esquissant un sourire qui arrange les choses. Car ce sourire, signe d’un probable espoir de renouer avec Lassad, qui l’a, entre-temps, lâchée, la maintient sous dépendance et soumission. Elle reste en plan sans capacité de choisir, d’autant que Lassad ne vaut pas mieux que Jamel, tout aussi égoïste et possessif, il fait, au final, preuve d’insensibilité et d’incompréhension.

Il est, donc, clair que Hinde Boujemaa, par manque d’audace peut-être, n’est pas allée jusqu’au bout de ses intentions et de son propos transmis beaucoup plus par les dialogues et les situations vécues par les personnages que par le langage cinématographique, ainsi que la variété de l’évocation visuelle qu’il suppose. Ainsi, outre les surcadrages, la réalisatrice multiplie surtout les plans rapprochés et les gros plans, dont certains sur le visage de Noura, référent au sublime «Les 3 singes» de Nuri Bilge Ceylan qui évoque avec une grande force esthétique et visuelle le thème de l’infidélité.

D’essence féministe, «Noura rêve» dénonce la législation obsolète, et l’ingérence du système judiciaire dans la vie privée, ainsi que les difficultés et obstacles rencontrés par la femme afin de vivre et d’aimer librement dans une société machiste, conservatrice et patriarcale. Les chemins de l’émancipation de la femme sont semés d’embûches, nous dit la réalisatrice.
Et le jeu? Dans un rôle à contre-emploi, Hend Sabri n’a pas totalement intériorisé le personnage de Noura, versant plutôt dans le mimétisme du personnage réel dont s’est inspiré le film (entre accent ampoulé et maintien corporel). Demeurant dans un jeu figuratif elle n’atteint pas cette dimension naturaliste qui génère l’émotion. Lotfi Abdelli, quoique dans son élément, verse, parfois, dans l’excès, tandis que Hakim Boumassaoudi, manque, franchement, d’épaisseur.
Enfin, Jamel Sassi interprète de manière assez subtile le rôle du commissaire ripoux et sournois.

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