Le rejet du gouvernement Jemli par le Parlement constitue en premier lieu une sérieuse alerte pour le mouvement Ennahdha, quasiment présent au pouvoir depuis la révolution. Une débauche qui a finalement un prix : le pouvoir use, surtout si on en abuse.
A chaque fois qu’il gouverne, le mouvement islamiste ne cesse d’alimenter un climat de tension et une forte hostilité contre toute opposition. La gestion arbitraire, parfois même autoritaire, fait partie de la «logique hégémonique», mais n’assure que si peu, souvent jamais, un dynamisme électoral. Le pouvoir a fait son œuvre, mais il n’explique pas à lui seul le coup de tonnerre que le paysage politique vient de connaître. D’autres considérations entrent en jeu, notamment un contexte économique et social critique, marqué par des indicateurs loin d’être rassurants : un taux de chômage estimé à 15,1%, une inflation qui reste très élevée et qui impacte directement le pouvoir d’achat du citoyen, lequel s’est dégradé de 88% entre 2010 et 2018 et, enfin, un taux de pression fiscale, sans égal en Afrique et qui s’élève à 35,5%.
Le citoyen ne fait pas la différence : la classe politique assume la responsabilité des déboires économiques. Ennahdha en tête de liste. Le discours de la plupart des ses dirigeants ne fait qu’accentuer le phénomène. Et comme toute action politique, il y a évidemment l’envers du décor. L’envers du pouvoir, c’est l’hégémonisme d’Ennahdha et l’omniprésence d’un mouvement qui veut tout faire et tout obtenir par lui-même et pour les autres. C’est assurément la conséquence de la personnalisation du pouvoir. Au bout, c’est l’usure, l’affaiblissement. Une issue logique liée à l’accumulation des responsabilités, mais aussi des soucis quotidiens. Ce qu’Ennahdha n’est plus en mesure de réaliser, encore moins d’atteindre, met à nu l’incapacité de ses leaders à évoluer. A travers ce qu’on ne cesse de proclamer, en public ou en privé, et bien sûr à celui qui veut bien l’entendre, à travers le discours et les arguments avancés, il n’y avait pas dans les discours ou encore dans les prises de position une piste à creuser, une vision et un projet pour l’avenir. On est aujourd’hui en droit de douter du bien-fondé de ce qui peut être encore entrepris. Le mouvement islamiste n’a plus la même crédibilité. Il n’est plus à l’abri des dérives.