Le président du Parlement assure que sa visite en Turquie s’inscrit dans ce qu’il appelle «la diplomatie populaire».
«Son timing avec le rejet du gouvernement Jemli relève d’une pure coïncidence», soutient-il
Ce n’était pas à l’ordre du jour de la séance plénière tenue hier à l’Assemblée des représentants du peuple, mais une pression exercée par certains députés a conduit, après le passage au vote, à l’audition du président du Parlement, Rached Ghannouchi, au sujet de sa récente visite polémique en Turquie où il a rencontré le président turc Recep Tayyip Erdogan. En effet, les élus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont voté, hier, à la majorité, la modification de l’ordre du jour de la séance plénière d’hier, pour ajouter un point relatif à l’audition de Rached Ghannouchi sur sa dernière visite en Turquie. 122 députés ont voté pour ladite audition, alors que vingt ont voté contre et huit autres se sont abstenus. En fait, dès le début, la plénière a démarré sous tension en raison des altercations devenues habituelles entre les députés des blocs parlementaires du Parti destourien libre et Ennahdha. Pour cause, les députés du PDL, conduits par leur présidente Abir Moussi, ont scandé des affiches hostiles à Rached Ghannouchi, appelant à sa destitution. Les députés de ce bloc parlementaire ont d’ailleurs quitté l’hémicycle lors de la récitation de la Fatiha à la mémoire des martyrs de la Révolution.
Mais Rached Ghannouchi s’est trouvé ensuite obligé de faire face aux innombrables critiques et accusations des députés au sujet de cette visite polémique en Turquie qui a largement ouvert le débat en Tunisie sur les relations du parti Ennahdha et notamment de Rached Ghannouchi avec le président turc. Et c’est notamment l’intervention de la présidente du bloc parlementaire Abir Moussi qui a rendu l’ambiance encore plus tendue sous le dôme de l’ARP, provoquant de nouvelles altercations avec les députés d’Ennahdha. En effet, prenant la parole, Moussi a estimé que cette «séance n’a pas pour but de questionner le président de l’ARP». Pour elle, «c’était une occasion de faire les louanges de Rached Ghannouchi». Ce dernier a rapidement réagi en appelant Abir Moussi à montrer plus de respect et à s’adresser à lui en sa qualité de «président de l’Assemblée». Pour sa part, le député du bloc démocratique Mongi Rahoui a accusé Rached Ghannouchi «de faire partie du réseau des frères musulmans dont le centre est en Turquie». « Avez-vous discuté avec Erdogan de la question de Daech ou des réseaux d’envoi des jeunes dans les zones de tension ?», s’est-il adressé à Ghannouchi, appelant le Conseil de sécurité nationale à intervenir.
Diplomatie parallèle
De nombreux députés ont également accusé le président de l’ARP de mener une sorte de diplomatie parallèle en l’absence d’une politique diplomatique claire en Tunisie. Dans ce sens, Hatem Mliki, député d’Au cœur de la Tunisie, a demandé aux députés de réviser le règlement intérieur en matière de diplomatie parlementaire. «Il faut que la personne concernée par une visite à l’étranger effectuée en sa qualité partisane notifie le bureau de l’Assemblée», a-t-il appelé. En réponse aux accusations contre Rached Ghannouchi, les députés d’Ennahdha ont pris la défense du président de leur parti, estimant qu’aucune loi n’interdit aux personnalités politiques de cumuler deux qualités. C’est dans ce sens que le député d’Ennahdha Mohamed Goumani a nié toute relation entre la visite de Rached Ghannouchi en Turquie et le vote de confiance au gouvernement. Pour sa part, l’autre député d’Ennahdha Noureddine Arbaoui a affirmé «qu’il y a des personnes qui veulent entraver le travail parlementaire. Ils ont un problème personnel avec le président de l’ARP». Face à ces accusations, le président de l’Assemblée des représentants du peuple Rached Gannouchi s’est contenté d’expliquer que la qualité officielle de tout responsable n’annule pas sa vie privée ou son activité partisane, assurant qu’il n’a pas utilisé les moyens de l’ARP pour son déplacement en Turquie. «Il faut tirer profit de cette expérience pour corriger les lacunes concernant le règlement intérieur de l’ARP», a-t-il expliqué, affirmant qu’il a toujours exercé ce qu’il a appelé la «diplomatie populaire». Ghannouchi a expliqué qu’il a informé le chef de l’Etat Kaïs Saïed de cette visite en Turquie et de sa rencontre avec Erdogan. «Les relations tuniso-turques ont commencé depuis la révolution car les Turcs ont cru et continuent à croire à l’expérience démocratique tunisienne, pourquoi nous voulons aujourd’hui en créer un problème ?», s’est-il interrogé. Concernant le timing de cette rencontre qui a coïncidé avec la chute du gouvernement Jemli, Ghannouchi considère qu’il s’agit d’une simple coïncidence.
Rappelons qu’au lendemain du rejet du gouvernement proposé par Habib Jemli, le chef du mouvement Ennahdha Rached Ghannouchi s’est rendu en Turquie pour rencontrer le président Recep Tayyip Erdogan. Selon l’agence turque Anadolu, la réunion était fermée et s’est déroulée dans le bureau présidentiel du palais de Dolmabahçe. Le responsable du bureau d’information d’Ennahdha, Khalil Barhoumi, a expliqué à l’agence TAP qu’il s’agit d’un voyage «à titre personnel». « Rached Ghannouchi a entrepris ce voyage au nom du parti et sur la base d’un engagement pris à une date antérieure», a-t-il ajouté.