Peut-on imaginer la Tunisie, dans cette conjoncture politique et économique assez délicate, organiser de nouvelles élections législatives ? La classe politique n’est-elle pas capable de trouver un consensus en vue de mettre en place un gouvernement puissant et compétent pour faire face aux innombrables crises et problèmes auxquels est confronté le pays ? Le scénario de refaire les élections législatives est-il bien réel ou se présente-t-il comme une simple manœuvre politique exercée par certains partis pour forcer la main et faire passer leurs agendas ? Si ces questions s’imposent aujourd’hui, c’est parce que le pays traverse une crise politique inédite et sans précédent marquée par des divergences qui émergent de toutes parts et par une classe politique dont les intérêts sont inconciliables.
C’est le parti Ennahdha, qui ne cesse de faire pression sur le chef du gouvernement désigné Elyes Fakhfakh pour faire participer Qalb Tounès au prochain gouvernement, qui a affirmé être prêt au scénario des élections législatives anticipées et à une éventuelle dissolution du Parlement. C’est dans ce sens que ses leaders ne ratent aucune apparition médiatique pour rappeler à toute la classe politique qu’Ennahdha ne craint guère la tenue d’élections anticipées et qu’il bénéficie toujours d’un «réservoir électoral» lui permettant d’assurer une majorité parlementaire.
D’ailleurs, le président du Conseil de la choura d’Ennahdha, Abdelkarim Harouni, avait affirmé que le bureau exécutif d’Ennahdha préconise de se préparer à toutes les éventualités, dont celle de la tenue d’élections législatives comme indiqué dans un communiqué publié par le Conseil de la choura. « Si le chef du gouvernement désigné refuse d’élargir les concertations, plusieurs éventualités pourraient être étudiées, dont la tenue d’élections législatives anticipées, avait laissé entendre Harouni.
Plus récemment, c’est le président d’Ennahdha lui-même, Rached Ghannouchi, qui a haussé le ton en annonçant littéralement que le gouvernement Elyes Fakhfakh ne passera pas sans la participation de Qalb Tounès. Une position inflexible adoptée par le parti Ennahdha qui menace en effet toute la classe politique et laisse le scénario de refaire les élections législatives hanter les esprits des partis politiques.
L’actuelle conjoncture politique, qui ressemble plus à un bras de fer engagé entre différents partis, marque en effet un tournant dans l’histoire récente du pays, dans la mesure où le spectre des élections anticipées plane au-dessus de la vie politique.
Qalb Tounès se prépare déjà
Le parti de Nabil Karoui, qui tient le chef du gouvernement désigné Elyes Fakhfakh pour responsable des écueils que connaît le processus de formation de la prochaine équipe gouvernementale, a appelé ses différentes structures politiques à se préparer à des élections législatives anticipées au vu de l’actuel blocage qui marque les négociations portant sur la formation du gouvernement. Le parti, représenté au Parlement par 38 députés et exclu des consultations sur la formation du gouvernement, a mis en garde contre la gravité de la «note contractuelle pour la coalition gouvernementale» qui a été présentée par Elyes Fakhfakh aux partis qu’il a convoquées pour des consultations. Selon la déclaration de Qalb Tounès, « le bureau politique a décidé, en prévision de toutes les éventualités, d’activer la commission chargée de préparer les élections, de l’inviter à se réunir et d’inviter les dirigeants et les bases régionales à se préparer à toute urgence », en allusion à de possibles élections anticipées.
En tout cas, face à l’éventualité de nouvelles élections, pratiquement tous les partis politiques ont affirmé qu’ils ne craignent pas un tel scénario et se sont montrés prêts à relever un tel défi de taille. C’est le cas du Courant démocratique, du Mouvement du peuple et du Parti destourien libre qui ont tous affirmé leur disposition à entamer un nouveau processus électoral. Mais qui payera les frais de l’échec de toute la classe politique à trouver le consensus et faire émerger une puissante équipe gouvernementale capable de prendre les rênes du pouvoir exécutif ?
C’est sans aucun doute l’Instance supérieure pour les élections (Isie) qui, même si elle affirme être prête à organiser un tel événement, qui payera une lourde facture financière. Le vice-président de l’Isie, Farouk Bouasker, a assuré dans ce sens que l’instance est prête à organiser des élections législatives anticipées en cas de dissolution du Parlement. Il a ajouté qu’il est du devoir de l’instance de tenir des élections dans les délais légaux, notant que le plus grand exemple en est l’organisation de l’élection présidentielle de 2019 dans les délais constitutionnels. Il est utile de rappeler que le coût total des élections — présidentielle et législatives de 2019 — est estimé à 140 millions de dinars. Les plus importantes dépenses concerneraient les élections à l’étranger.
Le chef du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, Youssef Chahed, avait mis en garde contre l’éventualité d’organiser des élections législatives anticipées, car pour lui, c’est un scénario catastrophique pour la Tunisie, notamment dans cette période délicate. « La période intérimaire a beaucoup trop duré, nous avons organisé des élections il y a quatre mois et nous n’avons pas encore mis en place un gouvernement, il me semble que la classe politique n’est pas consciente de la délicatesse de la période actuelle », a-t-il noté.
Si Elyes Fakhfakh échoue, au même titre que Habib Jemli, l’article 89 de la Constitution stipule que le Président de la République peut dissoudre l’ARP et appeler à l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins 45 jours. Dans ce cas précis qui reste toujours une hypothèse, l’Instance supérieure indépendante des élections doit se préparer à organiser des élections législatives anticipées qui pourraient avoir lieu entre le 1er mai et le 15 juin prochains.