Accueil A la une Mabrouk Korchid, député de Tahya Tounès et ancien ministre des Domaines de l’État, à La Presse : «Le seul projet d’Ennahdha est de s’emparer de l’Etat»

Mabrouk Korchid, député de Tahya Tounès et ancien ministre des Domaines de l’État, à La Presse : «Le seul projet d’Ennahdha est de s’emparer de l’Etat»

Alors que la situation politique actuelle est fortement marquée par un blocage persistant et par un processus de formation du nouveau gouvernement qui reste tributaire des compromis et des concessions de dernière minute, les avis divergent autour de toute la conjoncture politique et notamment en ce qui concerne le rendement de toute la classe politique qui a émergé après les élections législatives. C’est dans ce contexte que nous avons été reçus, mercredi dernier, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) par le député du parti Tahya Tounès et ancien ministre des Domaines de l’Etat Mabrouk Korchid. Pour lui, il ne s’agit pas d’une simple crise politique qui frappe actuellement le pays mais la question est encore plus profonde dans la mesure où il s’agit de problèmes structurels et d’une défaillance de tout le système de gouvernement. Entretien.

Comment suivez-vous l’actuel processus de formation du gouvernement? Comment expliquez-vous que quatre mois après les législatives on peine toujours à mettre en place le nouveau gouvernement même s’il s’agit d’une période assez difficile pour le pays ?

Je pense fortement qu’il s’agit d’un problème structurel en Tunisie dans la mesure où nous commençons à sentir les retombées et les conséquences d’un régime politique défaillant. Il s’agit également des résultats de la loi et du système électoral bâtis sur un mode de scrutin aux plus forts restes, ce qui ne pourrait en aucun cas faire émerger une majorité assez puissante capable de gouverner et de prendre les rênes du pouvoir en vue d’appliquer ses propres visions et politiques. Nous vivons malheureusement dans une situation d’effritement parlementaire, ce qui a rendu difficile de mettre en place une coalition gouvernementale capable de conduire le pays. C’est ce qui explique la lenteur enregistrée dans ce processus et c’est ce qui fait que quatre mois après les législatives on se retrouve toujours dans cette situation marquée par un blocage. Ceci explique également la situation de désespoir et même de colère observée chez les Tunisiens.

A qui la faute ? Qui peut-on blâmer ?

Il faut dire qu’en Tunisie, il existe un parti politique qui veut accaparer l’Etat, je parle certainement du parti Ennahdha. Ce dernier n’a d’autre projet que de s’emparer de l’Etat et de ses appareils, il ne cesse de compliquer cette période transitoire à travers ses mauvais choix, à commencer par le gouvernement Jemli jusqu’à l’actuel blocage. En effet, même s’il était conscient de la faiblesse du gouvernement Jemli et du fait qu’il ne bénéficiait pas du consensus, il a fait un passage en force et s’est aventuré à solliciter la confiance à ce gouvernement qui a lui seul tracé ses grandes lignes. Ennahdha était presque sûr que ce gouvernement allait passer et que les autres partis allaient voter pour lui pour ne pas céder la main au président de la République en vue de désigner son propre chef de gouvernement, mais tous ses calculs sont tombés à l’eau. D’ailleurs, Ennahdha aurait pu opter dès le début pour le consensus, il aurait pu inviter Qalb Tounès aux concertations de la formation du gouvernement et faire un gouvernement d’union nationale, mais il a voulu exploiter cette situation de dispersion pour se tailler la part du lion et s’emparer de l’Etat. Heureusement pour la Tunisie, les calculs de ce parti sont tombés à l’eau avec la chute du gouvernement Jemli. Aujourd’hui, Ennahdha appelle Fakhfakh à opter pour des choix que lui-même a refusé de faire lors de la constitution du gouvernement Jemli.

Que faire face à cette situation de blocage ?

J’ai dès le début appelé à choisir une personnalité qui puisse rassembler toutes les forces politiques. Il fallait opter pour l’union nationale en attendant le changement du régime politique. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un profil qui ressemble plus à un père fondateur qu’à un sénior de la vie politique face à l’actuelle situation de blocage.

Qui, selon vous, pourrait rassembler aujourd’hui les Tunisiens ? 

Comme je l’ai dit, il nous faut un père qui rassemble toute la classe politique déjà dispersée. C’est dans ce sens que j’ai appelé à désigner dès le début Ahmed Nejib Chebbi, président du mouvement démocratique, comme nouveau chef du gouvernement notamment dans cette période assez difficile. Malheureusement, les partis politiques dont Tahya  Tounès n’ont pas emprunté ce chemin et ont privilégié leurs propres intérêts politiques.

Compte tenu de toutes ces données, le gouvernement Fakhfakh passera-t-il ?

Si Fakhfakh présente son gouvernement au Parlement, il va obtenir sa confiance, mais il peut jeter l’éponge avant même de solliciter la confiance du gouvernement. Si j’étais à sa place, je jetterais l’éponge, car même si le gouvernement passait, il ne trouverait pas une ceinture politique pour pouvoir opérer ses choix. Il nous faut un véritable gouvernement de salut national, sinon si on va continuer dans cette logique des quotas partisans on n’aura rien fait. La situation en Tunisie nécessite une véritable opération de sauvetage à tous les niveaux politique, économique et social. Mais je dirais qu’il doit revoir ses choix, mieux vaut tard que jamais.

Entre-temps, le président de la République continue à éviter de s’ingérer dans cette crise. Pensez-vous qu’il va proposer sa propre initiative ?

Ce que je pourrais dire ou ce que je pourrais conseiller au président de la République que j’aime et je respecte et qui était mon enseignant, c’est qu’il doit choisir des personnes sages pour les intégrer dans son cabinet. Je le conseille d’opter pour   de nouveaux conseillers. Les hommes d’Etat ne manquent pas en Tunisie, il doit forcément améliorer son staff.

Votre parti vous a suggéré pour un portefeuille ministériel mais vous avez refusé. Pourquoi donc ?

J’ai refusé cette proposition pour deux raisons. Primo, je refuse d’adhérer à ce processus entravé et défaillant. J’ai constaté qu’il s’agit d’un processus qui ne va pas faire avancer la situation dans le pays et je me suis dès le début opposé au choix d’Elyes Fakhfakh et je l’ai dit haut et fort au sein de Tahya Tounès. D’ailleurs, Fakhfakh ne fait pas le consensus au sein de Tahya Tounès et c’est un courant bien particulier qui l’a imposé. C’est un courant qui est proche du parti Ennahdha, pour dire les choses comme elles sont. Secundo, je n’étais pas d’accord en ce qui concerne la proposition de 12 noms ministrables issus de Tahya Tounès, on aurait dû se contenter seulement de trois ou quatre noms, c’est assez suffisant. Je dis cela tout en soulignant que je n’ai pas de problème pour travailler avec Elyes Fakhfakh si sa méthode était différente, c’est une personne respectueuse, mais il faut dire que l’actuelle conjoncture est extrêmement difficile.  

Confirmez-vous qu’au sein de Tahya Tounès, il existe un courant proche d’Ennahdha?

Oui je confirme. Au sein de Tahya Tounès il y a un courant influent qui est proche du parti Ennahdha, et qui a poussé vers la désignation d’Elyes Fakhfakh.

Pourquoi restez-vous au sein de Tahya Tounès alors que toutes vos positons sont contraires à celles de votre parti?

Tahya Tounès est un parti toujours en cours de formation. J’ai intégré ce parti sur la base de compromis faits avec le président de ce parti. Le projet que je cherche c’est un parti qui rassemble la famille centriste. Malheureusement auj-ourd’hui le parti n’est pas sorti des calculs politiques. Tahya Tounès n’a pas prévu son échec électoral. Il nous faut un courant de réforme au sein de ce parti. Je suis là pour travailler pour ma patrie, si cela change, on verra ce qui va se passer, je n’hésiterais pas à partir en tout cas.

Après quatre mois, comment évaluez-vous le rendement du nouveau parlement?

Contrairement à ce que les gens disent, je pense que ce parlement a réalisé un grand exploit en faisant chuter le gouvernement Jemli qui a cherché à s’emparer de l’Etat. Il s’est également opposé à certaines lois que je qualifie de dangereuses à l’instar de la loi sur la Zakat. C’est un parlement qui renferme des personnalités qui ont leur poids dans la scène politique. Néanmoins, il se compose également de certaines personnalités qui sont toujours dans l’enfantillage politique, ce qui porte atteinte à l’image de l’ARP et à son fonctionnement, mais ce sont les choix du peuple tunisien. 

Avec tous les conflits qui l’entourent, pensez-vous que le président de l’ARP conservera son poste?

Je suis tout à fait contre l’atteinte à la personne du président de l’ARP, je l’ai toujours critiqué, mais je suis contre les insultes. J’étais contre la candidature de Rached Ghannouchi à la présidence du parlement mais il faut respecter au moins son âge. Toutefois il faut dire que même certains dirigeants au sein d’Ennahdha ne peuvent plus supporter cette situation et cette pression, s’il est maintenu à la tête de l’Assemblée.

En fait il faut jouer le jeu démocratique, je dirais qu’aujourd’hui en Tunisie il existe une véritable démocratie, et nous devons combattre l’islam politique par les urnes, comme l’a fait Beji Caid Essebsi. Et c’est dans ce sens que je considère que je suis prêt à jouer un rôle dans la lutte contre l’islam politique.

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Un commentaire

  1. Liberte

    17 février 2020 à 11:44

    Mais pourquoi ne peut dire la vérité c’est l’état qui veut s’emparer du mouvement ENNAHDHA et ainsi les vaches seront bien gardées.

    Répondre

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