Que se passe-t-il au sein d’Ennahdha ? A quoi pense Rached Ghannouchi, leader historique du parti islamiste? Peut-il maîtriser la situation au sein de son parti alors qu’il est submergé de problèmes au Bardo? En tout cas, à Ennahdha, nous sommes loin de ce parti soudé et solidaire que nous avons connu depuis toujours.
Alors qu’il est en pleine tourmente au Parlement, notamment à cause de son conflit avec le Parti destourien libre (PDL) et de sa gestion des affaires de l’Assemblée des représentants du peuple, Rached Ghannouchi a surpris plus qu’un après avoir dissous le bureau exécutif de son parti. Un coup de maître pour certains, une décision insignifiante et unilatérale pour d’autres, mais pour Ghannouchi rien n’est fait au hasard et tout est calculé. Une manœuvre politique qui intervient au cœur d’une crise sanitaire et qui crée polémique et divergences au sein de ce parti longtemps connu pour sa discipline partisane.
L’annonce a été officialisée par Mohamed Khalil Barhoumi, membre du bureau exécutif et responsable du bureau d’information d’Ennahdha, qui a annoncé que Rached Ghannouchi, président du parti, a bel et bien décidé de dissoudre le bureau exécutif, qui devient, selon le règlement interne du parti, un bureau chargé d’expédier les affaires courantes. Bahoumi a expliqué que cette annonce fait suite à la réunion du bureau exécutif, signalant que Ghannouchi est en train d’examiner la composition du prochain bureau qui sera soumise au Conseil de la choura selon les procédures du règlement intérieur du parti. Cette décision s’inscrit dans le cadre de «l’évaluation du travail de ce bureau et l’interaction avec la conjoncture actuelle», affirme la même source.
Dans la continuité de ces idées, peu après, le mouvement Ennahdha a annoncé dans un communiqué que le président du parti, Rached Ghannouch, envisage «d’apporter des changements au niveau de la composition du bureau exécutif d’Ennahdha pour répondre aux exigences de la prochaine étape». Le communiqué indique également que l’actuel bureau exécutif se chargera de la gestion des affaires courantes.
Du coup, l’information a été partagée comme une traînée de poudre d’autant plus que le timing de la décision était inattendu et surprenant. En tout cas, cette manœuvre politique opérée par le leader historique du parti Ennahdha ne fait qu’approfondir les divergences au sein de cette structure qui s’apprêtait à organiser son congrès qui devrait mettre fin au règne de Rached Ghannouchi en tant que président du parti. Mais nous sommes encore loin, la crise du coronavirus devait retarder la tenue de ce congrès initialement prévu cet été.
Divergences et risques d’implosion
Ennahdha n’aura connu pareille situation et autant de problèmes en interne depuis sa fondation. Le constat est sans appel, le parti n’est plus à l’abri de grandes fissures en son sein. C’est en tout cas ce que redoute l’un de ses dirigeants, Samir Dilou, qui n’est pas allé par quatre chemins pour l’avouer: Ennahdha ne connaît pas ses meilleurs jours. En effet, intervenant sur les ondes d’une radio privée, il a affirmé que la décision de dissoudre l’actuel bureau politique, dont il est membre, «est unilatérale et n’émane pas d’un vote ou du moins d’une discussion». «La décision unilatérale prise par Rached Ghannouchi a été annoncée aux membres du bureau sans la tenue d’un vote, ni de concertations», a-t-il ajouté, écartant la tenue du congrès d’Ennahdha dans les délais impartis. «Vu l’actuelle situation sanitaire, la tenue du congrès d’Ennahdha est devenue impossible. Ceci revient à la situation sanitaire, en plus de l’existence de controverses au sein d’Ennahdha concernant les compositions et les formations des commissions organisant ce congrès», a-t-il reconnu, ajoutant : «Si le congrès a lieu, le président du mouvement sera certainement remplacé». Lui, qui assure que son parti «se bat depuis sa fondation contre la présidence à vie et contre la modification des lois fondamentales selon les contraintes et l’analogie».
L’actuel bureau exécutif d’Ennahdha se compose de 28 membres dont des dirigeants connus par le grand public comme notamment Ali Laârayedh, ancien chef du gouvernement, Abdelfattah Mourou, Zied Laâdhari, Noureddine Bhiri, Maherzia Laâbidi et autres. En décidant de le dissoudre, Ghannouchi a pris tout le monde de court, y compris ses membres, qui n’ont pas, selon certaines indiscrétions, digéré cette décision unilatérale.
Mais pourquoi opérer une telle décision à l’heure actuelle d’autant plus que cette structure ne jouit pas de grandes prérogatives au sein du parti, inutile de rappeler que tout passe par le Conseil de la choura?
Pour certains observateurs, cette manœuvre politique qui a bouleversé d’une manière ou d’une autre le temple bleu de Montplaisir, vise à régler certains comptes politiques en interne, mais aussi à rappeler à tout le monde que seul Ghannouchi, le leader historique d’Ennahdha, tient les commandes du parti en dépit de ses engagements au Parlement. Les évènements qui s’enchaînent à un rythme effréné du côté de Montplaisir font en tout cas craindre aux sympathisants du parti de le voir au bord de l’implosion.