En accordant, dimanche, une interview aux médias, le Chef du gouvernement Elyes Fakhfakh a annoncé la couleur pour la prochaine période. Pas d’augmentations salariales, pas d’élargissement de la coalition gouvernementale et un plan de restructuration pour les entreprises publiques, un plan qui ressemble beaucoup plus à une politique d’austérité non annoncée. Economie, politique, relations extérieures et autres, les messages allaient dans tous les sens, mais ce que nous pouvons retenir, c’est que le gouvernement procédera les jours à venir à des décisions qui seraient pour certains douloureuses et qui risqueraient de provoquer une nouvelle crise sociale, mais aussi politique sur fond de profondes divergences au sein de la coalition gouvernementale. Au vu des prémices de ce blocage qui commence à apparaître à l’horizon, certaines voix font appel au président de la République afin qu’il organise un dialogue national permettant d’anticiper la crise.
«Nous n’avons pas besoin d’élargir la ceinture politique, si Ennahdha désire quelque chose, qu’il le fasse», a déclaré Elyes Fakhfakh en réponse à l’appel lancé par le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, pour inclure Qalb Tounès au sein du gouvernement. Mais pour le locataire de La Kasbah, si la coalition gouvernementale réalise jusque-là ce qu’il appelle des exploits, on ne change pas une équipe qui gagne. Un niet froid et sec qui semble dégrader davantage les relations entre Elyes Fakhfakh et le parti de Rached Ghannouchi qui pourrait même aller vers la présentation d’une motion de retrait de confiance à l’actuel gouvernement. Mais pour Samir Dilou, dirigeant au sein du parti de Montplaisir, c’est encore tôt d’évoquer ce genre d’option, d’autant plus que le dialogue avec le chef du gouvernement est toujours de mise. «C’était attendu, c’est un secret de Polichinelle, Elyes Fakhfakh n’allait pas accepter d’inclure Qalb Tounès dans le gouvernement, mais cela ne changera rien à la donne, le dialogue sera toujours de mise loin de la pression et des manœuvres politiques», nous a-t-il déclaré.
Outre ce nouveau rebondissement politique, l’interview d’Elyes Fakhfakh apportait un éclaircissement sur les relations que devra entretenir le gouvernement avec son partenaire social, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt). S’agit-il de menaces voilées visant la centrale syndicale, notamment en ce qui concerne la situation des entreprises publiques ? Si pour Fakhfakh «cette situation critique» ne pouvait plus durer «dans le sens où l’Etat pourrait être contraint de réduire les salaires de la fonction publique si l’hémorragie n’est pas stoppée», le partenaire social est appelé au dialogue et à la facilitation des décisions à prendre. En d’autres termes, le chef du gouvernement avertit que l’Etat ne pourra pas continuer indéfiniment de la sorte en mettant en péril les intérêts du pays, à savoir poursuivre une politique d’augmentations salariales et de distribution de primes en l’état actuel des choses.
Pour les dirigeants de l’Ugtt, il est encore tôt de commenter les déclarations du chef du gouvernement concernant les mesures sociales à prendre, d’autant plus que le bureau exécutif se réunira prochainement à cet effet, mais une chose est sûre, la centrale syndicale s’opposera à toute mesure qui dégradera davantage la situation financière du Tunisien, c’est en tout ce que nous apprenons de source fiable au sein de l’Union.
Prévenir l’explosion !
Pour l’ancien député à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) Sahbi Ben Fredj, Elyes Fakhfakh ne pourra pas ouvrir plusieurs fronts en même temps, pour lui c’est un suicide politique, selon ses dires. «Ce qui nous intéresse le plus dans cette interview ce sont les messages qui tracent les grandes lignes de la période à venir. Elyes Fakhfakh ne peut pas s’aventurer à entrer en confrontation directe avec l’Ugtt, Ennahdha et notamment avec les citoyens compte tenu des mesures d’austérité», a-t-il estimé, appelant à l’organisation d’un dialogue national pour prévenir ce qu’il appelle l’explosion sociale. «Nous avons tous les ingrédients pour voir une explosion de la situation, une crise économique, une effervescence sociale et un blocage politique, le président de la République est appelé à rassembler tout le monde pour prévenir la détérioration de la situation tant que cela est encore possible», a-t-il martelé.
Et c’est aussi cette nécessité d’organiser un dialogue national qui intéresse l’actuel député à l’ARP, Mabrouk Korchid, lui qui juge indispensable de prévenir la crise. «Dans sa dernière interview, le chef du gouvernement n’était pas fédérateur et ne cherchait pas à rassembler tout le monde sur la même table. Le chef du gouvernement a malheureusement fait peur aux Tunisiens, notamment en annonçant la possibilité de réduire les salaires mais aussi en ce qui concerne la question du contrôle des déplacements des citoyens par le biais des cartes cellulaires de leurs téléphones», a-t-il affirmé. Et d’ajouter que «Elyes Fakhfakh a choisi d’entrer en confrontation directe avec le parti Ennahdha et notamment avec Rached Ghannouchi, mais ceci ne fera qu’affaiblir davantage son gouvernement».
Le chef du gouvernement a accordé, dimanche dernier, une interview aux deux médias privés Attessia TV et Mosaïque FM, dans laquelle il a abordé plusieurs sujets brûlants. A commencer de ce qu’il appelle la situation critique des finances publiques, venant à ses relations avec le parti Ennahdha et son refus d’inclure Qalb Tounès au sein de son équipe gouvernementale, passant certainement par ses messages implicites à la centrale syndicale, le locataire de La Kasbah n’a pas omis de délimiter son territoire politique mais aussi réaffirmer qu’il tient toujours les commandes. En effet, si le chef du gouvernement a insisté sur l’application de la loi et la lutte contre la corruption et l’impunité, pour lui, il était essentiel également de démontrer à l’opinion publique sa personnalité et son autonomie politique par rapport aux partis politiques dominants. Mais en choisissant d’enter en confrontation directe notamment avec le parti Ennahdha, Elyes Fakhfakh semble se diriger vers un blocage politique sans issue.