Il s’agit du premier déplacement officiel du Président de la République dans un pays occidental. Kaïs Saïed entame, aujourd’hui, une «visite d’amitié et de travail» de deux jours en France pour aborder des dossiers clés et même brûlants au vu de la situation régionale impliquant les deux pays du bassin méditerranéen. Libye, appui financier à la Tunisie pour sortir de la crise du Covid-19 et investissement, le président de la République ne rentrera certainement pas les mains vides. Une visite attendue mais qui semble être anticipée par une invitation urgente et insistante de la part du Président français, car selon nos informations, les premières visites à l’étranger du Président de la République après la crise du coronavirus étaient programmées pour l’Algérie, l’Arabie Saoudite et la Belgique.
Si le Président de la République a choisi la France comme sa première destination à l’étranger après la crise du Covid-19 et comme premier pays européen à visiter dans le cadre d’un déplacement officiel, c’est que cette visite revêt une importance particulière pour principalement deux raisons. C’est un secret de Polichinelle, la première étant certainement le dossier libyen où la situation risque d’exploser à tout moment et où les deux pays, la Tunisie comme la France, travaillent d’arrache-pied pour préserver leurs intérêts à cet effet. La deuxième raison qui explique l’importance et la particularité de cette visite n’est autre que le contexte économique en Tunisie, notamment après la crise du coronavirus qui impacté les deux pays à degrés différents que ce soit au niveau économique ou sanitaire.
Cette visite attendue intervient, effectivement, dans un contexte régional marqué par le lourd dossier libyen, un pays où la situation ne cesse de se dégrader tant que les interventions étrangères directes et même annoncées se multiplient davantage. Dans ce pays voisin de la Tunisie, la situation est carrément explosive, et selon un dernier rebondissement de taille, Le Caire, qui soutient le maréchal Haftar, appuyé également par la Russie, envisage d’intervenir si le Gouvernement d’union nationale de Fayez Al-Sarraj, soutenu par la Turquie, avance vers la ville stratégique de Syrte, le risque d’un grand conflit impliquant plusieurs acteurs pourrait éclater à tout moment.
A l’invitation apparemment urgente et insistante du Président français, Emmanuel Macron, Kaïs Saïed se rend donc à l’Hexagone avec une seule idée en tête : préserver les intérêts tunisiens dans un échiquier géopolitique épineux et éviter tout choix stratégique regrettable. Au-delà du soutien français à la Tunisie et de la panoplie traditionnelle d’accords de coopération, le thème principal de la visite sera donc ce lourd dossier libyen. Pour les deux pays des deux rives de la Méditerranée, le temps est venu de mettre les pendules à l’heure, mais sauront-ils croiser leurs intérêts ?
Utile de rappeler qu’au début de son offensive en Libye, le maréchal Haftar avait bénéficié d’un soutien de la part du gouvernement français, qui reconnaît et entretient, en même temps, des relations avec le Gouvernement d’union nationale de Fayez Al-Sarraj. D’ailleurs, Paris a été toujours accusé de double jeu dans ce pays livré depuis près de 10 ans à la guerre civile. Pour sa part, la Tunisie a toujours opté pour une neutralité diplomatique pour traiter ce dossier, appelant à maintes reprises à faire privilégier le dialogique et le consensus comme alternatives aux armes et au conflit militaire.
La nécessité de soutenir l’économie tunisienne
A Paris, si beaucoup de dossiers sont ainsi abordés, deux auront la priorité. Il s’agit, comme souligné, du dossier libyen, mais aussi la nécessité de soutenir l’économie tunisienne dans cette période de crise. Cela explique pourquoi les deux ministres des Affaires étrangères, Noureddine Erray, et des Finances, Nizar Yaïche, ainsi que les conseillers du Président, feront le voyage avec Kais Saïed. Nous apprenons dans ce sens que le gouvernement Macron proposerait une aide financière importante à la Tunisie, notamment sous forme d’investissements pour soutenir son économie déjà en berne, même avant la crise du coronavirus. Des engagements seront pris, donc, par la France en faveur de l’économie tunisienne, mais ceci sera-t-il le prix d’un rapprochement des positions concernant le dossier libyen ? Nul ne peut savoir ce que prévoit l’avenir, mais selon les premiers éléments qui commencent à apparaître, le Président de la République optera toujours pour une solution pacifique libo-libyenne pour sortir de cette crise.
A l’occasion de cette visite, plusieurs dossiers sensibles seront, donc, mis sur la table de l’Elysée. Entre le dossier libyen, mais aussi les excuses de la France remontant à l’époque coloniale, l’aide française, les finances tunisiennes, les dossiers brûlants ne manqueront pas lors de la rencontre entre les deux chefs d’Etat. Depuis son investiture en octobre dernier, Kaïs Saïed n’avait effectué que deux déplacements à l’étranger, le premier était au Sultanat de Oman, le 12 janvier 2020, pour présenter ses condoléances à la suite du décès du sultan Kabous, le second, c’était pour se rendre à Alger, le 2 février 2020, et évoquer avec son homologue Abdelmadjid Tebboune le dossier libyen.
Le programme de la visite en détail
Kais Saïed se rend aujourd’hui à l’Elysée pour une réunion élargie entre la délégation tunisienne et celle française. Cette réunion sera suivie par un entretien en tête-à-tête, entre le chef de l’Etat et son homologue français. A l’issue de cet entretien, les deux présidents tiendront un point de presse. Au programme de cette visite, également, un dîner d’Etat offert ce soir par le Président français en l’honneur du Président Saïed et la délégation qui l’accompagne. Demain, il effectuera une visite à l’Institut du monde arabe et une rencontrera après la communauté tunisienne en France.
Il convient de rappeler, à cet égard, que la France est le premier partenaire économique de la Tunisie avec des investissements directs étrangers (IDE), de plus de 4 milliards de dinars en 2019. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont, malgré la crise Covid-19, dépassé, durant les cinq premiers mois de l’année 2020, les 6 milliards de dinars, avec plus de 3,5 milliards de dinars d’exportations tunisiennes vers la France. Les autorités françaises ont, en outre, annoncé un engagement financier de 1,7 milliard d’euros en Tunisie, pour la période 2016-2022, soit de 250 à 300 millions d’euros par an.