Ennahdha ne se bat plus seulement contre les autres, mais aussi contre lui-même. Contre ses tendances à dominer la scène politique, et notamment les institutions clés du pays. Contre sa tendance aussi à gouverner seul, à reconstituer à sa façon le modèle politique, économique et social de la Tunisie. Le parti islamiste a toujours su profiter d’un avantage de circonstance. Jusqu’ici, cela paraissait simple et les convictions idéologiques de ses principaux dirigeants sont restées inchangées. Mais ils ne peuvent plus agir aujourd’hui comme avant, parce que tout simplement le contexte et le poids des adversaires ne sont plus les mêmes. Longtemps divisés, ces derniers s’offrent désormais l’opportunité, mais surtout la force de s’unir.
Ennahdha passe par des moments chargés et contraignants. Pour ses premiers responsables, comme pour son président, qui ont commis l’énorme erreur de subir les effets conjugués de connaissances insuffisantes de la scène politique et les modalités et les stratégies mal pensées, l’heure est venue de se poser des questions. De bonnes questions. Il est temps de se demander en effet les raisons qui ont amené le parti à s’isoler et à perdre de plus en plus ses alliés. De tenter d’en comprendre les ressorts internes.
Cela nous amène aussi à constater que les insignifiances et les dérives ne sont plus une affaire marginale au sein du parti, mais qu’elles concernent aussi des dirigeants qui n’arrivent plus à se rendre utiles, et dont le mode de pensée et le comportement ne sont plus aussi mobilisateurs et aussi stimulants que lors des premières années de la révolution. Difficilement identifiables, le discours et la méthode des responsables nahdhaouis sont devenus pour la plupart des observatoires désagréables, même intrigants pour certains de ses membres, à l’instar de Samir Dilou et Mohamed Ben Salem, qui estiment que la situation difficile du pays nécessite un esprit et un dialogue sages. Les approches préconisées offrent rarement le registre dans lequel les Tunisiens peuvent vraiment se retrouver. Le manque d’évolution du parti ne réside-t-il pas justement dans la transformation des idéaux et des objectifs de la révolution dans des revendications marquées par l’abandon progressif des grands principes et des grandes orientations auxquels aspire la Tunisie ?. En l’absence de discernement, le risque d’égarement sur un terrain glissant est bien réel. Faut-il rappeler à ce propos que lorsque les dérives et les dépassements se succèdent, c’est la crédibilité et la fiabilité du parti qui prennent un coup. Ennahdha est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il passe par une étape compliquée dont l’issue est incertaine et surtout difficile à cerner.
Il y a une question dont la réponse a de fortes chances de donner une meilleure compréhension à ce qui se passe actuellement sur la scène politique : Ennahdha est-il toujours le parti le moins exposé aux secousses ? Une chose est sûre : le parti qui a le plus de sièges au Parlement n’est plus épargné. Il a quelque part pris le mauvais chemin. L’invisibilité dans les rouages est extrêmement significative. Tout ce qui paraissait un manquement ailleurs, commence à prendre forme au sein même du parti.