Affaire du limogeage de Chawki Tabib, président de l’Inlucc : Blocage au plus haut niveau de l’Etat !

Encore un blocage au plus haut niveau de l’Etat, celui qui oppose deux institutions dont l’activité devait être complémentaire. Le limogeage du président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) Chawki Tabib fait couler beaucoup d’encre. Pour certains, il s’agit même d’un précédent dans les rouages de l’Etat, mais, pour d’autres, ce dossier a pris la tournure d’une affaire personnelle opposant le Chef du gouvernement démissionnaire Elyes Fakhfakh à Chawki Tabib.

Tout a commencé par une décision surprenante et sans préavis : Chawki Tabib a été démis de ses fonctions en tant que président de l’Inlucc, il sera remplacé par le juge Imed Boukhris, parue récemment dans le Journal Officiel de la République Tunisienne. Une décision qui est tombée comme un couperet et sans explications précises, provoquant une large polémique dans les médias. Après avoir pris connaissance de cette décision par le biais de journalistes, comme il le confirmait, Chawki Tabib a annoncé qu’il ne se conformerait pas à la décision de son limogeage prise par le Chef du gouvernement Elyes Fakhfakh, qu’il juge d’ailleurs anticonstitutionnelle, et qu’il continuerait ses fonctions à la tête de ladite instance. Un rebondissement qui va donner encore du volume à cette affaire, d’autant plus que le juge nommé à ce poste n’a pas pu prendre ses fonctions. En effet, Imed Boukhris, nommé lundi en tant que président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, a indiqué qu’il n’avait pas pu prendre ses fonctions, jeudi, à la tête de l’Inlucc, du fait du refus de Chawki Tabib de la décision de son limogeage, et a ainsi demandé un report de la passation, le temps que le recours soit tranché.

Dans un post Facebook publié jeudi dernier, Tabib a fait savoir qu’un recours contre cette décision a été déposé et qu’il ne quitterait pas son poste avant d’avoir parachevé toutes les procédures légales qui lui permettent de défendre ses droits. «Au nom d’un groupe d’avocats, le bâtonnier de l’Ordre national des avocats, Ibrahim Bouderbala, a déposé un recours auprès du Tribunal administratif contre la décision de limogeage avec demande de report et d’arrêt d’exécution de la décision», a-t-il affirmé. Il a insisté sur le fait que cette décision a pris une tournure personnelle, ajoutant que «cette confrontation constitue une menace pour l’indépendance de toutes les institutions publiques ainsi que pour l’indépendance de la Justice».

La Kasbah réagit

Face à ce blocage inédit, la Présidence du gouvernement a décidé de briser le silence pour donner sa version des faits. Dans un communiqué publié jeudi, elle a fait savoir que l’Instance nationale de lutte contre la corruption est temporaire et son président est nommé par le Chef du gouvernement. Elle a ajouté que la nomination de Imed Boukhris, le 25 août dernier, est parfaitement légale émanant des prérogatives du Chef du gouvernement, rappelant que la même procédure avait été suivie lors de la nomination de Chawki Tabib en 2016.

La Kasbah appelle, dans le même communiqué, à l’application immédiate de la décision de nomination, invitant à élire au plus vite une instance constitutionnelle pour éviter les diverses interprétations. Certaines sources évoquent même que la force publique pourrait intervenir pour évacuer Tabib de l’Instance.

Selon le Conseil de l’Inlucc, cette décision intervient aussi dans le cadre d’une mission d’inspection et de contrôle financier et administratif de la gestion financière qui serait recommandée par le ministre d’Etat auprès du Chef du gouvernement, chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Mohamed Abbou. Mais pour Chawki Tabib, le contrôle financier et administratif de la gestion financière et administrative de l’Inlucc relevait des prérogatives de la Cour des comptes, du Conseil de l’instance et du contrôleur des comptes en son sein. Il a imputé son refus de cette mission-inspection des services de contrôle sous l’égide de la Présidence du gouvernement à des «raisons purement légales». Nous noterons, dans ce sens, que la Présidence du gouvernement n’a pas fait mention de ladite mission évoquée par le Conseil de l’Inlucc.

Mais encore faut-il rappeler que Chawki Tabib est visé par une plainte déposée à son encontre par la société Vivan, dont le Chef du gouvernement démissionnaire Elyes Fakhfakh détenait 66% des parts. En effet, la société Vivan avait déposé auprès du procureur de la République du tribunal de première instance de Tunis une plainte contre Chawki Tabib «pour faux, usage de faux, fausse identité, divulgation de secrets d’instruction et contrefaçon de documents» dans le cadre de l’affaire de soupçons de corruption impliquant le Chef du gouvernement démissionnaire. Cette décision serait donc en relation avec ces poursuites judiciaires contre le président de ladite instance qui jouit de l’immunité contre les poursuites se rapportant à l’exercice de ses fonctions. 

Des organisations et associations entrent en scène

Sur fond de cette affaire, plus de 20 présidents d’organisations et d’associations ont exprimé leur rejet catégorique de « la décision illégale prise par le Chef du gouvernement intérimaire de limoger Chawki Tabib de la présidence de l’instance anticorruption ». Les signataires de ce communiqué commun dénoncent le fait que cette décision résulte « d’une réaction de vengeance après que l’instance a dévoilé l’affaire des soupçons de conflit d’intérêts concernant Elyes Fakhfakh».

Les signataires ont affirmé leur condamnation de la décision du Chef du gouvernement démissionnaire et leur rejet de la logique de vengeance et d’abus de pouvoir pour régler des comptes personnels.

Contacté par La Presse, le juge administratif à la retraite Ahmed Souab explique que cette décision de démettre Chawki Tabib viole la loi et la Constitution. Pour lui, le décret-loi-cadre numéro 120 portant création de l’instance en question octroie un mandat au président de l’Inlucc qu’on ne peut pas interrompre sauf en cas de faute ou dépassement majeur ou en situation de dysfonctionnement manifeste comme cela a été le cas avec l’ancien président de l’instance.

Il a expliqué, également, que cette décision constitue une violation pour les dispositions de la Constitution qui garantissent les principes d’indépendance des instances nationales et de la séparation des pouvoirs. Ahmed Souab est allé jusqu’à dire que le Chef du gouvernement démissionnaire a spolié les prérogatives de la Cour des comptes en ce qui concerne la mission de contrôle de la gestion financières et administrative de l’Instance.

Concernant le refus de Chawki Tabib d’appliquer la décision de la Présidence du gouvernement, notre interlocuteur pense que ce dernier «doit se défendre par tous les moyens face à une décision qui viole la loi et la Constitution et face à un détournement manifeste des prérogatives du Chef du gouvernement démissionnaire». «Faut-il se demander si quelqu’un doit se défendre ou non lorsque, par exemple, un ministre de l’Enseignement émet une décision d’interdire un étudiant d’accéder à tous les établissements universitaires ? C’est son plein droit de se défendre face à une telle décision», a-t-il expliqué.  

Chawki Tabib, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats tunisiens, a été nommé en janvier 2016 au poste de président de l’Inlucc par Habib Essid, Chef du gouvernement à l’époque, il devait poursuivre son mandat jusqu’à la mise en place de la nouvelle instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption créée par la Constitution de 2014 et qui doit remplacer l’Inlucc. Sa mise en place traîne toujours du fait que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) n’a pas encore élu son conseil.

Conformément à la Constitution, «l’Instance est composée de membres indépendants, choisis parmi les personnes compétentes et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses membres est renouvelé tous les deux ans».

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