Une enquête portant sur 2.500 entreprises privées dévoile la rude épreuve d’un secteur jusque-là autonome.
La pandémie du Covid-19 a effréné la relance économique dès les premiers mois de 2020. Une crise sanitaire mondiale —qui semble perdurer— avait mis en stand bye quasiment tous les secteurs, intriguant ainsi les décideurs, les professionnels tout comme la population. Les répercussions fâcheuses du Covid-19 sur l’économie nationale, en général, et sur les entreprises privées, en particulier sont indéniables.
Aussi, la Coopération internationale de finance (IFC) et Statistiques Tunisie, en étroite collaboration avec l’UE et La Confédération Suisse, se sont penchés sur l’impact de la crise du Covid-19 sur le secteur privé ; une question qui a fait l’objet de toute une enquête, réalisée en juillet 2020. Elle s’appuie, aussi, sur les résultats de l’enquête BPS, réalisée par la Banque mondiale et l’Institut national de la statistique (INS).
La présente enquête a été effectuée en mai-juin 2020. Elle porte sur un échantillon représentatif de 2.500 entreprises privées appartenant à plusieurs secteurs stratégiques ; des entreprises de différentes envergures, dont certaines sont exportatrices et d’autres non-exportatrices, et ce, dans l’optique de déceler les secteurs les plus fragilisés par la pandémie.
Il est intéressant de souligner que 44,1% des entreprises enquêtées relèvent du secteur du commerce, 18,4% de celui des services, 15% du transport et du stockage, 6,5% d’autres industries manufacturières, 5,9% des services d’hébergement, de restauration et de café, 2,8% de l’industrie du textile et du cuir et de 2,3% du secteur de la santé. En outre, 79,3% d’entre elles appartiennent à la catégorie des micro-entreprises, 14,9% sont des PME et 5,9% s’alignent parmi les grandes entreprises. Notons que seules 7,9% des entreprises enquêtées sont exportatrices.
Activité chamboulée
Faisant le tour du chamboulement apporté au bon déroulement des activités des entreprises privées durant la période de crise, les enquêteurs se sont intéressés d’abord sur la suspension provisoire et la reprise du travail.
Les données montrent qu’au 30 juin, 88,7% des entreprises ont été rouvertes dont 24,5% l’étaient sans interruption durant le confinement alors que 10,8% des entreprises étaient encore fermées dont 8,1% suite à une initiative de l’administration et 2,7%, sur instruction gouvernementale. Néanmoins, la fermeture définitive a été un mal nécessaire pour 0,4% des entreprises, et ce, ou en conséquence à la crise du Covid-19 ou pour d’autres raisons.
Notons que 27,7% des micro-entreprises et des PME ont été concernées par des fermetures temporaires et 58,9% des grandes entreprises ont perduré leur travail en avril. Cela dit, au 30 juin, 91% des entreprises exportatrices ont été ouvertes contre 86% pour les non-exportatrices. Le risque de fermeture définitive, lui, menace jusqu’à 54,3% des entreprises enquêtées.
Baisse des chiffres d’affaires
S’agissant de l’impact de la crise sur le rendement des entreprises, la présente enquête montre que 88,8% des entreprises ont enregistré une baisse au niveau de leurs chiffres d’affaires, à l’exception de 14,8% des entreprises relevant du secteur de l’industrie chimique et pharmaceutique. Ces dernières ont vu leurs chiffres d’affaires augmenter en conséquence de la forte demande en produits chimiques et pharmaceutiques indispensables à la lutte contre la prolifération du virus.
Par ailleurs, les entreprises exportatrices ont été plus touchées par la baisse de leurs ventes que celles, non exportatrices ; soit 93,3% contre 88,8%. L’enquête montre aussi que les activités des entreprises enquêtées ont été sensiblement affectées par la crise du Covid-19. Pour preuve : 78,2% des entreprises ont vu leur cashflow régresser, 70,1% ont vu les demandes baisser et 69,8% ont enregistré une baisse du nombre d’heures de travail.
Par ailleurs, 61,1% des entreprises ont montré du doigt les difficultés auxquelles elles ont dû faire face pour accéder aux services financiers. 50,6% des entreprises ont eu beaucoup de mal aussi à avoir accès à l’approvisionnement en matières premières.
Stabilité des employés ébranlée…
Pour ce qui est de l’emploi formel dans le secteur privé, il est bon de rappeler que des ajustements ont été apportés par les entreprises qui sont restées actives en avril 2020 ; des ajustements qu’imposait la crise et qui consistaient en la réduction des salaires ou encore en l’attribution de congés temporaires.
Cependant, et contre toute attente, 50,1% desdites entreprises n’ont pas eu recours aux ajustements. Pour les autres entreprises, l’on note que 18,7% d’entre elles ont accordé des congés payés alors que 9,6% ont eu recours à des congés non payés pour certains employés. D’un autre côté, 11,5% des entreprises ont diminué les salaires au détriment des employés et 4,3% ont opté pour des horaires limités. Le licenciement des employés a été, pour 4,5% des entreprises enquêtées, une solution ; une solution inhumaine mais qui dénote de la fragilité budgétaire de bon nombre d’entreprises sinon de l’absence de règlementations à même de protéger les droits des employés dans le secteur privé.
Appui aux entreprises : le grand écart !
Pour soutenir les entreprises privées durant la crise du Covid-19, le gouvernement tunisien a mis en place une panoplie de mesures d’appui à même d’éviter le pire. Des mesures qui n’ont pas laissé les entreprises indifférentes. En effet, 43,7% d’entre elles ont jugé salutaires l’exonération et la réduction des impôts.
40,7% des entreprises trouvaient que le meilleur appui que puisse leur apporter l’Etat n’était autre que l’injection de liquidités alors que pour 36,6%, leur seul souci se limitait à l’impératif du report des impôts. Cela dit, les industries du bâtiment et les entreprises exportatrices avaient mis l’accent sur l’importance des prêts à taux subventionnés comme étant une mesure d’appui salvatrice.
Finalement, moins de 10% des entreprises enquêtées ont déclaré avoir pu bénéficier des mesures gouvernementales d’appui durant la période de crise ! La présente enquête montre que cette « faveur » concerne 48,8% des grandes entreprises, 9,2% des micro-entreprises, 28% des entreprises exportatrices et 9,4% pour les non-exportatrices. Le secteur du bâtiment a, quant à lui, décroché le gros lot en matière de mesures d’appui puisqu’il accapare à lui seul 23,6% desdites mesures. La «chance» n’a pas été au rendez-vous pour 37,9% des entreprises enquêtées, lesquelles ont déclaré avoir sollicité de l’appui de la part du gouvernement sans avoir eu de réponses favorables.
Initiation au travail digitalisé
Pour surmonter le cap et perdurer leurs activités, 12,5% des entreprises ont eu recours à la digitalisation de leurs services. Manifestement, le recours aux TIC a été l’unique alternative et probablement une bonne initiation —quoique imposée par un contexte exceptionnel— à un mode de travail futuriste et au diapason des normes internationales les plus avancées…
La digitalisation des services a été, en effet, axée essentiellement sur les tâches administratives (60,9%), le travail à distance (44,5%), le paiement (19,5%) ainsi que sur les ventes en ligne (10,1%). Encore faut-il souligner que la digitalisation des tâches administratives a été quasi optimale pour le secteur de la santé (90,1%) et pour l’industrie pharmaceutique et chimique (86,2%). Le e-commerce a été considéré comme la meilleure alternative pour 20% des entreprises enquêtées.
Rester optimiste
S’agissant de la résilience et de la durabilité des activités, seules 13,3% des entreprises disposent d’un plan B dont 25,4% des grandes entreprises. Le télétravail est considéré comme le meilleur moyen de perdurer l’activité durant la crise, et ce, pour 26% des entreprises enquêtées.
En dépit de cette rude épreuve et des incertitudes sanitaires et économiques, les professionnels demeurent optimistes. Les responsables des 64,8% des entreprises enquêtées sont rassurés quant au devenir de leurs entreprises en terme de recettes, 64,2% des entreprises anticipent sur des perspectives en matière d’emploi et 58,8% des entreprises aspirent à une croissance en matière d’investissement, et ce, pour les quelques mois à venir.