• Dr Slim Ben Salah, président du Conseil national de l’Ordre des médecins : « Si cela continue, les médecins ne pourront plus exercer! »
• Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins a exprimé son ras-le-bol face à l’insécurité qui règne dans les hôpitaux publics. Pour lui, la situation est tellement alarmante que les médecins ne pourront plus exercer.
Comme si un seul malheur ne suffisait pas ! Outre les risques de contamination au coronavirus auxquels ils sont exposés quotidiennement, les staffs médicaux et paramédicaux des hôpitaux tunisiens font face à l’insécurité, aux agressions et au manque de protection.
Dernièrement, c’est l’Organisation tunisienne des jeunes médecins qui a émis un cri d’alerte pour mettre en garde contre la détérioration de la situation sécuritaire dans les établissements hospitaliers.
Elle cite en particulier, un incident survenu dans la nuit du vendredi dernier lorsque «un groupe d’individus armés de couteaux a pris d’assaut le service des urgences de La Rabta» suite au décès de leur proche contaminé par le coronavirus. « Ils ont terrorisé les patients, détruit le matériel de la salle de réanimation et agressé le cadre médical et paramédical », a indiqué l’Organisation dans un communiqué rendu public.
Elle a appelé, dans ce sens, le ministère de la Santé à « assumer ses responsabilités en matière de sécurisation des services des urgences, notamment dans les circonstances actuelles à travers la garantie des ressources humaines et matérielles suffisantes et ce en coordination avec le ministère de l’Intérieur ». D’après l’Organisation, la sécurisation des Urgences s’impose afin d’assurer leur bon fonctionnement et protéger le cadre médical et paramédical ainsi que les ouvriers contre d’éventuelles agressions.
Agressé par la famille du défunt, le médecin du service des urgences de La Rabta a expliqué, pourtant, que le patient décédé avait 94 ans et souffrait de maladies chroniques, et que les efforts des médecins du service de réanimation n’ont pas réussi à le sauver en raison de la détérioration de son état de santé.
Le médecin témoigne qu’après avoir annoncé le décès à sa famille, il a été attaqué par plus de dix personnes, hommes et femmes, qui ont refusé de soumettre le défunt à un test de coronavirus avant la remise de son corps. Les membres de la famille du défunt ont agressé le médecin avant d’entrer de force dans le service de réanimation, de détruire le matériel médical et de sortir le corps du défunt par la force, malgré les tentatives du staff médical et paramédical.
Contacté par La Presse pour revenir sur la question de la violence contre les cadres médicaux, le président du Conseil national de l’Ordre des médecins, Dr Slim Ben Salah, a exprimé son ras-le-bol face à ce qui se passe dans les hôpitaux publics. Pour lui, la situation est tellement alarmante que les médecins ne pourront plus exercer. « Nous avons préparé tout un programme de coordination entre les ministères de la Santé, de l’Intérieur et de la Justice pour faire face à ces agressions depuis plus de deux ans, mais il a été bloqué. Nous avons également élaboré un projet de loi que le ministère de la Justice a également refusé », a-t-il déploré, appelant à durcir les sentences contre les agresseurs des Blouses Blanches. « On ne peut plus continuer d’exercer dans ces conditions, si cela continue de la sorte, les médecins pourront ne plus aller exercer dans les hôpitaux, car ils sont exposés à tous les risques épidémiologiques et sécuritaires. Nous ne sommes pas en train de tuer les gens ! », s’est-il indigné.
Ça ne date pas d’aujourd’hui !
Au fait, ces agressions commises contre les staffs médicaux et paramédicaux sont devenues malheureusement récurrentes en Tunisie. Cela ne date pas d’aujourd’hui et les agressions en question ne sont pas liées à l’actuelle crise sanitaire mais ces circonstances ont enfoncé le clou. En effet, les Blouses Blanches opérant dans le service public ont été toujours exposées aux risques sécuritaires et aux agressions commises par les familles des personnes décédées. En effet, les agressions contre le personnel soignant sont, malheureusement, devenues monnaie courante ces dernières années. Les actes de violence et de vandalisme dans les différentes structures sanitaires du pays se sont multipliés en l’absence d’une stratégie nationale visant à protéger les structures hospitalières de première ligne.
Face à ce phénomène qui prend de l’ampleur, les autorités peinent à assurer la protection des médecins des urgences qui font face à plusieurs risques notamment pendant les gardes de nuit. Ces conditions de travail expliquent en partie «l’exode» des médecins tunisiens vers les pays européens et du Golfe. D’ailleurs, l’ancien ministre de la Santé, Abderaouf Cherif avait révélé en janvier dernier qu’environ 200 médecins avaient formulé une demande pour quitter les hôpitaux publics pour manque de sécurité. Ces demandes intervenaient, insistait-il, en raison des agressions contre les cadres médicaux, dans les établissements hospitaliers, notamment pendant les gardes de nuit.
Rappelons dans ce contexte que suite à l’agression d’un staff médical de l’hôpital Sahloul à Sousse en octobre 2017, le département de la Santé avait promis de prendre une série de mesures pour sécuriser les institutions de santé publique contre les agressions successives perpétrées à l’encontre de ses cadres et agents. Il s’agissait notamment de l’élaboration d’une loi pour la protection des cadres et agents de la santé publique au cours de l’exercice de leurs fonctions, le renforcement de la présence sécuritaire dans les hôpitaux et le réaménagement des urgences, mais depuis rien n’a été fait et les médecins continuent d’exercer dans les mêmes conditions, en l’absence de toute mesure de sécurisation des hôpitaux à l’exception de quelques agents de sécurité qui ne parviennent souvent pas à repousser les risques d’agressions des staffs médicaux.