Nouvelles décisions au sein de l’Isie : Personnel pléthorique et dépenses astronomiques

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On se demande quelle est l’utilité de cette profusion de directions et de services en ce moment d’hibernation électorale.
Le président de l’Isie n’a pas trouvé mieux que d’alourdir davantage les charges de l’Etat qui plie sous l’effet d’une crise tous azimuts sans précédent, en recrutant à la pelle et en distribuant les privilèges très généreusement.
M. Baffoun exerce une mainmise sur les prérogatives du Conseil.

Bien que son mandat soit arrivé à terme depuis janvier 2020, le président de l’Isie se permet de promulguer deux mesures majeures dans le Jort. Il s’agit, d’une part, de la décision n°30 / 2020 du 24 octobre 2020, ayant trait à l’amendement et la finalisation de la décision n° 6 / 2014 du 30 avril 2014 portant fixation des méthodes d’organisation administrative, financière et technique de l’institution. D’autre part, de la décision n° 31 / 2020 du 24 octobre 2020 relative à la réglementation des conditions d’octroi des emplois fonctionnels et de la décharge de fonctions, ainsi qu’aux primes et avantages y afférents.

Des gratifications juteuses

Il importe de rappeler que la première décision découle de celle n° 27 / 2020 du 15 septembre 2020 inhérente à la modification et au parachèvement de la décision n° 6/2014 du 30 avril 2014 se rapportant aux méthodes d’organisation administrative, financière et technique de l’Isie. Celle-ci consiste en deux éléments essentiels : une modification terminologique importante et un changement profond dans l’organigramme. Ainsi, par exemple, les termes «unité», «président d’unité» et «président d’unité centrale» sont remplacés par les expressions «direction», «directeur», «directeur central», et les postes multipliés. Pour saisir l’étendue de ces amendements, il suffit de savoir que les structures centrales exécutives comprennent, désormais, six directions, et de jeter un coup d’œil sur la nouvelle configuration de la «direction centrale des affaires juridiques et du contrôle de la campagne», l’héritière de l’«unité des affaires juridiques et du contentieux». Ce département administratif, qui était rassemblé en une seule entité, est dorénavant composé de deux directions : la direction des affaires juridiques et du contentieux et la direction du contrôle de la campagne, comprenant chacune trois services qui sont respectivement le service du contentieux, le service des études et des consultations, le service de la réglementation, le service de contrôle du financement de la campagne électorale, le service de contrôle des activités électorales et le service de contrôle de la presse écrite et électronique. Décidément, l’oisiveté n’est pas seulement mère de tous les vices, elle est également créative. En cette période de désœuvrement, le président de l’Isie s’invente une activité et excelle dans l’art de subdiviser une entité administrative en plusieurs, créant, par là, une pluralité de postes. Et qui dit augmentation de personnel, dit alourdissement de la charge financière. Ce qui explique le fondement de la décision n° 31 qui est, donc, le corollaire de sa devancière, la décision n° 30. Grâce à la bienveillance et aux largesses de M. Nabil Baffoun, une foule de fonctionnaires inutiles et improductifs aura droit à des gratifications juteuses, puisque celles-ci sont équivalentes aux primes les plus élevées dans les établissements publics.

Faire cavalier seul

On se demande quelle est l’utilité de cette profusion de directions et de services en ce moment d’hibernation électorale. A quoi pourraient-ils bien servir ? Qu’est-ce qu’ils allaient contrôler et sur quelles affaires litigieuses allaient-ils statuer ? Ne serait-il pas plus judicieux de privilégier uniquement, en cette période d’inaction, les activités qui constituent l’ossature de l’opération électorale, à savoir la formation, la sensibilisation, la conscientisation et l’information ? Au-delà du manque d’efficacité et de rentabilité des entités créées, la procédure suivie par M. Bafoun est entachée d’irrégularités. Elle est viciée : il n’a pas fait participer les membres élus de l’Instance à la prise de décision, en omettant de recueillir leurs avis sur cette question extrêmement importante. De plus, il a fait fi des travaux des commissions et des décisions prises à propos de l’organisation structurelle, depuis 2017, et préféré privilégier des textes désuets, rédigés entre 2014 et 2017, c’est-à-dire avant la constitution du nouveau conseil. Pour mieux appréhender la gravité de la situation et l’ampleur des dépassements commis dans cette enceinte, il faut se rappeler que, d’une part, le départ du juge administratif Hasna Ben Slimane, promue ministre auprès du Chef du gouvernement, et qui n’est toujours pas remplacée, a créé un blocage au sein du conseil, étant donné qu’il y manque la voix prépondérante (la neuvième) pour trancher en cas d’égalité, et que, d’autre part, deux autres membres, en plus du président, ont déjà épuisé leur mandat depuis janvier 2020, conformément au délai prévu par la Constitution, à savoir le juge judiciaire Farouk Bouaskar, et l’universitaire Anis Jarboui.

Complicité des députés ?

Plutôt que de donner l’exemple en tant que vétéran de l’Instance, en participant à instaurer l’alternance dans la fonction, le principe démocratique qui sous-tend le fonctionnement de cette dernière, le président de l’Isie s’agrippe encore à son poste après plus de six ans d’exercice, dépassant largement la durée légale allouée. Comment se fait-il que les députés ne bronchent pas face à ces cas d’irrégularité et à l’inobservance du texte suprême ? Par leur silence, ne donnent-ils pas l’impression qu’ils sont en train de piétiner ce dernier et de participer délibérément à envenimer la situation ? Qu’ils en tirent profit ? En tout cas, celle-ci s’avère une aubaine pour M. Bafoun, vu qu’il exerce une mainmise sur les prérogatives du Conseil, en signant les décisions seul, violant, ainsi, la loi 123 portant création de l’Isie, qui stipule que seul ce dernier est habilité à prendre des décisions réglementaires et que la tâche du président se limite à les publier. Il se substitue, donc, au Conseil auquel il laisse un simple pouvoir consultatif, comme le montrent l’article 2 et l’article 10 de la décision n° 31 qui énoncent que l’octroi d’un emploi fonctionnel et la décharge de fonctions se font sur décision du président, en s’appuyant sur l’avis du Conseil et une proposition émanant du directeur exécutif. Comme on le voit, M. Baffoun se donne toute latitude pour prendre les mesures qu’il désire. Il est aidé en cela, il faut le dire, par la nonchalance de certains membres qui brillent par leur absentéisme et qui savourent pleinement leur séjour tranquille et continu dans leurs villes natales, loin des désagréments occasionnés par l’exercice des responsabilités, grâce à leurs salaires et leurs primes colossaux.

Compromission

Pourquoi le président de l’Isie impose-t-il ses points de vue et ses conceptions à tout le monde ? Quelle est cette urgence qui l’a poussé à prendre des mesures aussi rapidement ? Le choix de la date est-il innocent ? Y aurait-il un agenda politique derrière ? Quels seraient les partis dont il servirait les intérêts ? La prorogation tacite et illicite de son mandat serait-elle l’objet du deal conclu avec ces derniers ? Aurait-il choisi cette période d’hibernation, où l’Instance est à l’abri des regards du public, pour installer une structure qui siérait parfaitement à ces derniers  et mettre, ainsi, tout le monde devant le fait accompli le jour J, lors des prochaines échéances électorales ? Ou bien aurait-il agi de la sorte juste pour offrir des sinécures à des affidés dans l’intention de les instrumentaliser ? Serait-il encouragé dans sa démarche par les 40 milliards de millimes, le reste du montant des fonds s’élevant à 103 milliards de millimes, versés à l’Isie pour l’organisation des dernières élections et qu’il n’a toujours pas restitués à l’Etat ? Néanmoins, ce qui est plus grave encore, c’est que tout ce chamboulement au niveau de l’organigramme laisse entendre que l’ancienne organisation comprenait des défaillances. Et si c’était le cas, on serait tenté de douter du bon déroulement des échéances précédentes et de leurs résultats. Serait-ce l’avis de M. Baffoun et la raison qui a motivé ses décisions ? Mais, pourquoi s’est-il tu sur une question aussi cruciale tout ce temps-là ? D’ailleurs, plusieurs partis politiques viennent de dénoncer une fraude électorale et menacent de saisir la justice suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’élection présidentielle. A propos de cette dernière, rappelons que dans son rapport préliminaire, elle a fait état de graves violations dans le travail de l’Isie, ce qui se recoupe avec la dénonciation d’une mauvaise gestion des membres du Conseil, Adel Brinsi et Nabil Azizi, il y a quelques mois, et pourtant aucun audit n’a été réalisé. En témoigne le procès intenté par un citoyen qui comptait se porter candidat devant le Tribunal administratif, à l’encontre de l’Instance pour suspicion autour du concours de recrutement du président de l’Unité des opérations.

Atteinte au processus démocratique

Au lieu de s’acquitter des tâches primordiales pour lesquelles cette institution a été créée, telles que la rédaction du rapport final sur les élections législatives et présidentielles qui n’est pas encore parachevé, le président de l’Isie s’occupe de questions superflues. Il n’a pas trouvé mieux que d’alourdir davantage les charges de l’Etat qui plie sous l’effet d’une crise tous azimuts sans précédent, en recrutant à la pelle et en distribuant les privilèges très généreusement, passant outre la circulaire gouvernementale du 14 mai 2020 qui gèle le recrutement dans la fonction publique et rationalise la prime attribuée aux fonctionnaires. Pour bien se représenter la situation chaotique prévalant dans le pays, nous citons le témoignage du président de la Commission parlementaire des finances, de la planification et du développement, Heykel Mekki, qui affirme que les finances publiques se trouvent dans une impasse et que les chiffres sont alarmants pour des raisons structurelles, ce qui représente une menace pour la sûreté nationale. Cet argent distribué à tout-va ne devrait-il pas être investi dans l’infrastructure hospitalière défaillante et profiter au personnel médical et paramédical qui consent de grands sacrifices en ces temps de crise sanitaire ? Par ses décisions hasardeuses et infondées, M. Baffoun dénature la vocation de l’Instance, altère la qualité de son travail et reproduit une piètre copie des institutions publiques sclérosées par la bureaucratie et paralysées par la mauvaise gouvernance. Dans des pays comme la Corée du Sud, l’Inde et le Mexique, par exemple, les instances chargées de l’organisation des élections gardent un personnel extrêmement réduit, pendant la période d’hibernation électorale, et lors des échéances, elles recrutent un grand nombre d’agents qui sont pour la plupart des bénévoles.

Le président de notre instance a-t-il oublié ces exemples célèbres et notoires d’expériences comparées, lui qui a sillonné le monde pour en apprendre et nous en faire profiter ? Dans ces conditions, ne serait-il pas plus judicieux de charger le ministère de l’Intérieur de l’organisation des élections comme auparavant ? Cela aurait au moins le mérite de nous épargner des dépenses supplémentaires et inutiles. Une instance perdant son indépendance et sa vocation première est-elle en mesure d’assurer la transition démocratique ? Et celle-ci n’est-elle pas viciée, depuis un certain moment, à cause des différentes tares qui rongent le socle sur lequel elle repose ? 

Faouzi KSIBI

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