Alors qu’il est actuellement extrêmement dangereux et hasardeux de sortir sur les marchés internationaux, vu les notations souveraines de la Tunisie, l’Etat est de nouveau au cœur d’une crise financière étouffante. La Banque centrale de Tunisie refuse toujours de financer le budget de l’Etat sans autorisation législative exceptionnelle.
La Tunisie n’aura jamais connu pareilles circonstances économiques et financières. Voilà maintenant plusieurs semaines que la polémique enfle toujours autour de la loi de Finances complémentaire pour l’année 2020. Et pour cause, un déficit budgétaire que l’Etat peine à combler pour clôturer son budget pour l’année en cours. La situation ressemble de plus en plus à un bras de fer non annoncé engagé entre le gouvernement et la Banque centrale, qui refuse toujours de financer le budget de l’Etat au détriment des risques d’aggravation de l’inflation. Résultat: à quelques semaines de la fin de l’année, l’Etat n’arrive toujours pas à assurer ses équilibres budgétaires.
Refusé une première fois par la Commission des finances, de la planification et du développement de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le projet de loi de Finances complémentaire ne fait toujours pas l’unanimité au Bardo, mais surtout du côté de la Banque centrale de Tunisie (BCT). En effet, même s’il a été adopté par ladite commission il y a quelques jours avant sa soumission à une plénière pour vote, ce projet de la loi pose toujours problème pour la BCT. Le président de la Commission parlementaire des finances, Haykel Mekki, a affirmé, dans ce sens, que la Banque centrale «refuse toujours de financer le déficit du budget de l’Etat». Il pointe du doigt des «choix impardonnables» adoptés par le gouvernement et assure, en effet, qu’il n’y a pas eu d’entente avec la BCT pour financer le budget. «Le gouverneur de la Banque centrale l’a signalé à plusieurs reprises, la BCT ne financera le budget que si elle obtient une procuration officielle de l’Assemblée», a-t-il ajouté. En effet, en réponse à la demande des membres de cette commission pour avoir son avis sur la rectification de ce projet de loi dans sa deuxième version, Abassi a réclamé ce qu’il a appelé une «couverture légale», pour envisager la solution si risquée de recourir au financement interne pour boucler le budget. Selon ses affirmations, la mobilisation des ressources prévues dans ce projet de loi de Finances complémentaire rectifié par le biais de l’endettement interne, reste directement tributaire de la capacité des banques à injecter ces montants, chose qui n’est pas garantie dans ces conditions économiques.
Réitérant l’idée que la BCT tient à soutenir le gouvernement pour faire face aux répercussions sans précédent de la pandémie du Covid-19, le gouverneur a indiqué que le financement du déficit budgétaire par l’achat de bons du trésor assimilables (BTA), à long terme, dans le cadre des opérations du marché ouvert, sera en contradiction avec le cadre opérationnel et stratégique de la politique monétaire. «Ces opérations relatives à l’achat de BTA à long terme, s’inscrivent dans le cadre de la réalisation des objectifs de la politique monétaire et le rétablissement des équilibres sur le marché monétaire. Avec l’achat de ces BTA, le montant dû à la BCT, dans le cadre du marché ouvert, passera à 6,4 milliards de dinars, contre 3,6 milliards de dinars, actuellement, ce qui représente plus de 60% de l’ensemble des opérations de la politique monétaire et 18% du budget de la Banque centrale, limitant, ainsi, l’efficacité de la politique monétaire en termes de maintien de la stabilité des prix».
Il est à noter que la loi n° 35 pour l’année 2016 du 25 avril 2016, fixant le statut de la Banque centrale de Tunisie, interdit le financement direct du trésor par la BCT.
Une autorisation législative
En fait, ce que cherche le chef de la banque des banques n’est autre qu’une garantie sous forme d’autorisation législative exceptionnelle de la part de l’ARP pour que l’appui de la BCT au budget de l’Etat soit conforme aux différents cadres législatifs et surtout à la politique monétaire prônée par la BCT.
Pour l’année actuelle, le déficit budgétaire attendu est estimé à 11,4% du PIB, ce qui nécessite la mobilisation de fonds supplémentaires. Selon le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’Investissement, Ali Kooli, l’Etat a déjà obtenu des emprunts d’une valeur de près de 800 millions de dinars auprès des banques locales, avec un taux d’intérêt de 9,4%, mais on est encore loin du compte. En effet, alors qu’il est actuellement extrêmement dangereux et hasardeux de sortir sur les marchés internationaux, vu les notations souveraines de la Tunisie, l’Etat est à nouveau au cœur d’une crise financière étouffante. Au juste, la Tunisie est appelée à mobiliser 3,5 milliards de dinars d’ici la fin de 2020 pour faire face à ce déficit budgétaire qui atteindra, selon certaines estimations, 11 milliards de dinars durant cette année. La Tunisie recourra aussi à des emprunts extérieurs s’élevant à 2,7 milliards de dinars, et ce, outre les financements qui seront obtenus par la Banque centrale de Tunisie, à hauteur de 3,5 milliards de dinars.
Au début de ce mois, Marouen Abassi avait laissé entendre que la BCT pourrait financer la loi de finances complémentaire pour 2020 quand le législateur l’aura autorisé à le faire.
«Nous sommes véritablement dans un cas de figure où les lois de finances 2020 et 2021 doivent être combinées et posées sur la table afin que nous puissions penser les réformes importantes qu’il faudra engager. Là, la BCT pourra intervenir. Nous sommes là pour financer, mais il est temps de discuter de solutions efficaces dont nous pourrons observer les résultats, de solutions permanentes et non conjoncturelles» avait-il expliqué. Rappelons aussi que la Commission des finances, de la planification et du développement à l’Assemblée des représentants du peuple a adopté, récemment, le projet de loi des finances complémentaire rectificatif pour l’année 2020. La Banque centrale de Tunisie a, rappelons-le, signifié, fin octobre, qu’elle était dans l’incapacité de combler la totalité du déficit budgétaire de l’Etat qui s’élève actuellement à près de 11 milliards de dinars.