Oublié des agendas des pouvoirs publics, le secteur médiatique est livré à lui-même. Géré aléatoirement sans stratégie ni politiques publiques, le secteur de l’information et de la communication évolue sans repères ni gouvernance. Alors que la nouvelle Instance de régulation du paysage audiovisuel tarde toujours à se mettre en place, le gouvernement peine à concevoir une nouvelle approche pour améliorer la situation des médias et des médias publics.
La situation des journalistes n’est pas meilleure, pire encore ils font toujours face à des situations de précarité en l’absence d’un modèle médiatique et économique puissant qui pourrait leur offrir de meilleures conditions d’exercice. C’est dans ce contexte de crise que la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) a décidé de briser le silence pour attaquer frontalement le gouvernement Mechichi l’accusant «de vouloir entraver carrément la réforme des médias publics et de tout le secteur de l’information. L’exécutif s’oppose à toute initiative de réforme des médias», s’est indignée l’Instance de régulation, mettant en garde contre l’argent dépensé par des lobbys pour influencer le pouvoir.
En effet, l’Instance de régulation de l’audiovisuel tient le gouvernement pour «responsable du blocage constaté dans le processus de réforme des médias publics», appelant, dans ce sens, à hâter la nomination d’un président- directeur général à la tête de l’établissement de la Radio tunisienne, selon un contrat d’objectifs et en concertation avec l’Instance de régulation de l’audiovisuel.
La Haica met en garde contre les dangers pouvant découler de cette vacance, citant en particulier l’efficacité des médias publics et l’échec de leur mission principale.
Rupture entre la Haica et La Kasbah ?
Par ailleurs, la Haica a évoqué le dossier des médias confisqués, précisant que ce dossier «montre à l’évidence la volonté du gouvernement de privilégier des intérêts politiques étriqués au détriment de l’intérêt général».
Contacté par La Presse, Hichem Snoussi, membre de l’Instance de la régulation, affirme que le gouvernement est sous l’emprise de sa ceinture politique et que tous les canaux sont coupés avec la présidence du gouvernement. «Le Chef du gouvernement n’a jamais convoqué le président de l’instance», a-t-il rappelé.
Pour Hichem Snoussi, c’est la ceinture politique du Chef du gouvernement qui oriente ses choix en matière de gouvernance des médias et du paysage politique. Lui qui explique que le gouvernement tente de mettre la main sur les médias audiovisuels, rappelle que La Kasbah a retiré le projet de loi sur l’audiovisuel pour plus de concertations alors qu’il faisait le consensus de tous les professionnels du secteur.
Il a estimé que la situation est actuellement dangereuse, et que le gouvernement a tenté d’accorder des aides étatiques à des chaînes illégales. «La situation est extrêmement dangereuse, nous estimons que des chaînes illégales prennent actuellement les commandes du paysage médiatique bénéficiant du soutien et de la protection de la ceinture politique du Chef du gouvernement», a-t-il expliqué. Et d’alerter contre certaines intentions visant à ouvrir la porte aux parties étrangères pour détenir de grandes parts dans les sociétés qui gèrent les médias en Tunisie.
Absence de politiques publiques
Cette rupture entre l’Instance de régulation et le gouvernement témoigne d’une situation critique du paysage audiovisuel et médiatique et de l’absence de politiques publiques visant à instaurer une gouvernance du secteur de l’information et de la communication. Abdelkarim Hizaoui, chercheur académicien et enseignant à l’Institut de presse et des Sciences de l’information (Ipsi), pense que depuis l’autodissolution de l’Instance indépendante chargée de réformer l’information et la communication (Inric) en 2012, il n’y a pas eu de réflexion autour de la gouvernance des médias publics, confisqués ou autres. Il pointe d’ailleurs le défaut de politiques publiques autour de la gouvernance des médias en Tunisie, rappelant qu’il n’existe aujourd’hui aucun responsable chargé de ce dossier. « Depuis 2011, la tutelle des médias publics n’a pas été supprimée, mais retirée au défunt ministère de la Communication pour être confiée à la présidence du gouvernement, sans préciser le département qui en est responsable », a-t-il souligné à La Presse. Lui qui suggère de mettre en place une instance politique qui sera chargée du secteur de l’information et de la communication.
Evoquant le cas de la Haica, Hizaoui juge nécessaire le renouvellement de sa structure d’autant plus que le mandat de la majorité de ses membres a pris fin depuis mai 2019. «Pour s’assurer de la légalité de la Haica et en attendant la mise en place de la nouvelle instance qui, au vu du paysage parlementaire, devrait tarder encore plus, il est nécessaire de renouveler la structure de la Haica conformément aux dispositions légales», a-t-il expliqué.
Pour ce qui est du rendement de Hichem Mechichi dans la gestion de ce secteur, il a expliqué que jusqu’à maintenant aucune avancée sur ce volet n’a été observée et que le Chef du gouvernement doit sortir du déni de gouvernement du secteur de l’information et de la communication.