On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, disent les Français, et ceux (les œufs) ayant servi à préparer l’omelette, appelée « Révolution tunisienne », ont coûté au pays les yeux de la tête. Et le plat était tellement pimenté et disputé que la majorité des Tunisiens n’ont eu droit qu’à des miettes et parfois rien que du piment. La chute du régime, le 14 janvier 2011 et jours suivants, a, en effet, ouvert l’appétit général et chacun voulait prendre sa part du butin et le cirque continue. Un événement majeur, fruit d’énormes et pernicieuses contradictions qui se sont accumulées depuis l’indépendance politique du pays et même avant. Après la déroute qu’a connue le régime, le pays est devenu ingouvernable. Et les gouvernements qui se sont succédé à la barre n’avaient chacun aucun soutien populaire notable, aucune vision à long terme et ils se sont contentés de naviguer à vue, par une vie publique houleuse. Instabilité fortement souhaitée par certains qui, par ailleurs et pour la plupart d’entre eux, ont participé à la faire perdurer chacun pour servir ses intérêts particuliers. Le pays tout entier a été hélas victime de cette réalité. Et le peuple a été puni pour avoir osé dire non. Pour faire avorter le processus révolutionnaire et éviter à bon nombre de grosses têtes de devoir rendre des comptes, puis provoquer la même chose pour celui de la transition démocratique, il fallait abattre l’économie, affamer le peuple et instaurer l’instabilité chronique. Le peuple doit vomir la démocratie et s’en méfier comme l’on doit se méfier d’un chien enragé. L’euphorie provoquée par la chute de la dictature mafieuse a, hélas, laissé la place à une amère déception, pire, une énième blessure narcissique qui fait aussi planer le risque du retour de la dictature, à l’image de ce que l’histoire des révolutions nous a enseigné, et sape toute tentative pour le sauvetage du pays. A part une tentative de refonte de la vie politique ayant donné naissance à un régime bâtard pour la construction d’une démocratie qui se voulait participative mais est restée de façade, aucune réforme économique sérieuse n’a pu, ainsi, être entreprise, ni même celle du pouvoir judiciaire. Ce dernier reste encore dépourvu des mécanismes et des outils pouvant favoriser la résorption des conflits et inciter les investisseurs à choisir la Tunisie. Pire, le pays est devenu l’otage des mafias, des traîtres (au service du capital étranger, des services des renseignements étrangers et leurs formations terroristes, du clan Ben Ali, des idéologies importées…), des lobbies d’affairistes, de l’argent sale, des corporations professionnelles et autres syndicats, des contestataires, des ambitieux en politique, y compris ceux ayant été à la solde de l’ancien régime, etc. Avec comme grand perdant, l’économie et l’accélération de la paupérisation du pays.
Mais l’on a rapidement fait oublier aux Tunisiens le « parachute doré » offert à Ben Ali et à sa famille et la fuite arrangée de ses gendres. Oui, fait oublier cette donne incongrue, grâce à certains médias et autres manipulateurs de l’opinion publique, par ailleurs très fragile. Ces derniers se sont, en effet, acharnés, dès le début contre la « Révolution », ont tout fait pour redorer le blason du clan Ben Ali et continuent de le faire.De grosses et ignobles impostures se sont petit à petit imposées au sein de l’opinion publique pour s’ériger en véritables dogmes. La révolution est une erreur fatale, l’ère Bourguiba est l’idéale, l’ère Ben Ali rimait avec prospérité et sécurité, le bon peuple vivait bien et «la famille royale» n’inquiétait que les grosses fortunes. Il fallait faire mordre ses doigts au peuple pour avoir osé relever la tête. « Pain et eau, Ben Ali Non » ? Eh bien ils vont vous manquer tous, …y compris Ben Ali. Pourquoi l’on ne parle jamais des crimes de l’ancien régime, sauf en filigrane pour annoncer le report de procès à son encontre ? Pourquoi il n’ y a jamais eu aucun effort sérieux pour extrader Ben Ali (de son vivant) et sa bande ? Combien a déboursé ledit clan pour infecter la vie politique, sociale et économique de notre pays et qui a reçu cet argent ? Pourquoi l’on amplifie considérablement chaque petit couac, chaque petite hésitation de la classe politique actuelle ? Autant de questions qui mériteraient réponses. Résultat, la Tunisie est hélas aujourd’hui au bord de la faillite généralisée, économique, politique, sociale, culturelle et morale et beaucoup d’entre nous n’ont pas encore compris que c’est cette dernière qui est la cause première de toutes les autres et que c’est à cause d’elle que nous risquons bientôt de nous retrouver tous dans la jungle. Faiblesse du sentiment d’appartenance, faiblesse du sentiment patriotique, opportunisme flagrant et prononcé, individualisme, arrivisme, banditisme politique, économique, social et culturel, parasitisme, violence généralisée, etc. Pire, bon nombre de Tunisiens s’adonnent aux horreurs de la trahison, souvent sans en être conscients. Sur le plan géostratégique, la Tunisie reste un pays sous le giron de la France, pour ce qui est de l’économie et surtout la culture et pour les Etats-Unis, un régime pro-sioniste dans les coulisses et un allié, côté sécurité (contrôle des systèmes de défense). Pour plusieurs puissances occidentales, la terre de Carthage doit rester fortement dépendante d’elles, surtout culturellement. La révolution tunisienne n’a donc pas eu lieu. Ce qui s’est passé n’a été en fait qu’une énième blessure narcissique, après celles survenues tout au long de ces 60 dernières années, caractérisées par l’instauration du mal –développement, l’avortement du processus de construction du citoyen qui a démarré vers les années 1920 et l’avortement de la première transition démocratique qui a démarré en 1956.