En 2013, l’Assemblée nationale constituante a adopté une loi relative à l’Instance nationale pour la prévention de la torture, perçue comme une avancée en matière de protection des droits des détenus en Tunisie. Dix ans après la révolution, le spectre de la maltraitance, de la torture et des pratiques dégradantes à l’égard des détenus rôde toujours. La mort d’un jeune diabétique incarcéré à Sfax rouvre le débat autour de la protection de leurs droits en Tunisie.
Encore une mort suspecte dans nos prisons et centres de détention qui rouvre le débat autour des conditions de détention en Tunisie. Ce n’est pas un premier cas et ça ne sera pas, malheureusement, le dernier, tant que l’Etat peine à garantir les droits des détenus et des prisonniers.
A elle seule, la société civile ne pourra pas faire face à ce genre d’incidents qui relèvent certainement d’un laisser-aller et d’un manque de conscience vis-à-vis des droits des citoyens en dépit des explications des autorités.
Un jeune diabétique ayant transgressé les dispositions du couvre-feu à Sfax a été arrêté et emprisonné, sauf qu’après avoir passé une nuit en détention, il est décédé dans des circonstances absurdes. Le jeune homme a rendu l’âme alors qu’il était en route vers l’hôpital à cause de la dégradation de son état de santé en prison, vu qu’il n’a pas pu prendre ses médicaments selon la version donnée par sa famille, confirmée par la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme. Le jeune était accompagné de son frère et tous deux ont été accusés d’avoir agressé verbalement un fonctionnaire public lors de l’exercice de ses fonctions.
Le bureau régional de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme à Sfax confirme dans ce sens que le jeune Abdessalam Zayen a été privé de ses doses d’insuline depuis son arrestation, ce qui a provoqué une nette dégradation de son état de santé. En effet, selon le récit de la Ltdh Sfax, les deux frères rentraient tard à la maison suite à une visite familiale, arrêtés par les forces de l’ordre, un conflit a éclaté, et les deux jeunes, accusés de mauvaise conduite, ont été conduits vers le commissariat où ils ont été mis en garde à vue avant d’être conduits vers la prison. Sauf que l’état de santé de Abdessalam Zayen s’est nettement dégradé après quelques heures de détention, il est décédé alors qu’il était transporté à l’hôpital.
Dans un communiqué rendu public, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme a tenu les ministères de l’Intérieur et de la Justice pour responsables de la mort du jeune souffrant de diabète. La Ligue s’est engagée également à poursuivre en justice les auteurs de ce «crime» au nom de la famille de la victime, affirmant qu’elle ferait «tout son possible pour éclairer l’opinion publique».
Un scandale ?
«Suite aux enquêtes, et en discutant avec le frère du défunt, il s’agit bel et bien d’une mort causée par les agents de justice, les agents de l’administration pénitentiaire et le procureur de la République au tribunal de première instance de Sfax 1», a déclaré pour sa part l’avocat et vice-président de la Ltdh, Bassem Trifi. Pour lui, «c’est une honte pour l’Etat tunisien et pour le ministère de l’Intérieur. Nous avons atteint un état de chaos sans précédent en Tunisie», tout en criant au scandale.
Apportant des explications dans le cadre de cette affaire, le porte-parole officiel de la direction nationale des prisons et de la rééducation, Sofiène Mezghich, a démenti tout soupçon de négligence de la part de la direction de la prison civile de Sfax, affirmant que le jeune «avait été pris en charge par un infirmier qui lui a administré les doses d’insuline nécessaires». «Son état de santé s’est nettement détérioré mercredi, il a été transporté à l’hôpital, mais il est décédé. Une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances de sa mort», explique-t-il.
Le spectre de la maltraitance
Dix ans après le renversement d’un régime politique ayant érigé la torture des prisonniers et des personnes en état d’arrestation en système pour assurer sa stabilité et sa légitimité, qu’est-ce qui a changé de ces pratiques cauchemardesques qui faisaient longtemps régner souffrance et silence dans les prisons et les centres de détention ? Une décennie après la révolution, les différentes composantes de la société civile et les avocats alertent toujours contre des cas de maltraitance et même de torture dans nos prisons et centres de détention. Même si on ne peut plus parler de torture comme système, le spectre de la maltraitance, de la violence illégale et de l’humiliation plane toujours sur nos prisions.
Récemment, une enquête judiciaire a été ouverte suite à des accusations de torture contre un jeune détenu à Monastir, ayant entraîné la perte d’un organe. Son avocat affirmait que le jeune a été torturé et a perdu «l’un de ses testicules». Il ajoute qu’il a été arrêté dans le cadre d’une affaire de pillage et a été sauvagement torturé par des agents de la sécurité intérieure à Monastir alors qu’il était en garde à vue.
Le dernier rapport de l’Instance nationale pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Inpt), principale source institutionnelle portant sur cette question, fait observer que 104 cas de torture ou de maltraitance ont été signalés durant 2016 et 2017. La majorité de ces cas ont été enregistrés dans des prisons (65) des centres de correction (15) et des centres de détention (6).
Les associations qui s’activent pour dénoncer ces pratiques abusives s’accordent toutes sur ce fait : la poursuite du phénomène de la torture s’explique essentiellement par l’impunité et la violation des droits humains. En 2013, l’Assemblée nationale constituante a adopté la loi organique n° 2013-43 du 21 octobre 2013, relative à l’Instance nationale pour la prévention de la torture.
Cette instance est notamment chargée de s’assurer de l’inexistence de la pratique de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention et contrôler la compatibilité des conditions de détention et d’exécution de la peine avec les normes internationales des droits de l’homme ainsi que la législation nationale.