Parti pour revenir immédiatement à la tête du Courant démocratique, Ghazi Chaouachi accuse une absence de discipline partisane au sein de sa structure politique. Sauf que l’heure est à l’unité. L’ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières décide de revenir sur sa décision en vue de poursuivre sa mission comme secrétaire général d’Attayar. Les agitations au sein de son parti ne l’empêchent pas cependant de se concentrer sur les rebondissements de la scène nationale, en appelant à la mise en place d’un gouvernement de salut national. Entretien.
Un départ surprenant et un retour qui l’est encore plus. Comment expliquez-vous ces deux décisions ?
Mon départ était surprenant pour les parties extérieures du Courant démocratique. Pour être franc, au sein du Courant démocratique, il existe certaines divergences liées essentiellement à une perte de la discipline partisane. Quand j’ai senti que je ne pouvais pas imposer cette discipline, qui est une question fondamentale pour un parti politique, j’ai décidé de démissionner. Sans cette discipline, il y aura une sorte de chaos au sein du parti, j’évoque certaines déclarations des leaders du parti, alors que le pays ne peut supporter ce genre d’agissements. Nous ne voulons pas que notre parti contribue à cette situation de chaos qui prévaut dans le pays, car le Courant démocratique est un parti de principes. Quand j’ai senti que j’avais perdu tout contrôle je me suis retiré, mais depuis les choses ont changé. A l’issue d’une réunion élargie au sein du parti, le bureau politique a décidé de surmonter ces divergences en essayant d’imposer l’ordre et la discipline et d’ouvrir une nouvelle page pour un parti qui tient à sa crédibilité. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est de sauver notre pays de cette situation critique.
Pensez-vous que les conversations fuitées de Mohamed Ammar ont porté atteinte à l’image du parti?
Ce ne sont pas des conversations fuitées, mais plutôt des actes d’espionnage à dénoncer. Il a tendu un piège à son collègue et il s’est invité dans son domicile pour l’enregistrer de cette manière minable. Rached Khiari est un mercenaire qui travaille pour le compte de certaines parties, dont notamment le parti Ennahdha, dans l’objectif de semer le chaos au sein du paysage politique visant notamment le Courant démocratique, le Mouvement du peuple et même la cheffe du cabinet présidentiel. C’est un acte immoral dont a été victime Mohamed Ammar qui a reconnu son erreur. On ne peut pas recevoir de telles personnes dans notre domicile. Il a aussi commis une erreur en parlant spontanément à ce député. Le chef du bloc parlementaire aurait pu éviter d’évoquer certains sujets. Je ne pense pas que cette affaire a porté atteinte à l’image du parti, mais elle a plutôt porté atteinte à celle de Mohamed Ammar.
Rached Khiari mène une campagne de dénigrement contre votre personne. Pourquoi agit-il de la sorte ?
Malheureusement, nous sommes dans une ère de médiocrité en Tunisie. C’est même une course vers la médiocrité et les discours populistes. Rached Khiari mène une campagne d’apostasie contre moi, une campagne infondée et qui s’appuie sur des rumeurs quant à ma position concernant l’égalité des genres en Tunisie. Ce sont des mensonges. J’ai décidé de porter plainte contre ce député, car il s’agit d’une incitation à la haine et à l’agression contre moi. Nous avons déjà connu cette situation en 2012 et 2013, aujourd’hui la Tunisie ne peut pas supporter une telle situation. Nous devons tous s’opposer à ce genre de discours.
Jusqu’où pourrait mener cette guerre entre Ennahdha et le Courant démocratique, deux partis qui étaient alliés dans le gouvernement Fakhfakh ?
Dans un paysage politique démocratique, il existe toujours des divergences et des adversités entre les partis au pouvoir et les autres partis. Sauf que ces divergences doivent être autour des programmes et des visions pour le pays. Malheureusement, actuellement l’image est très dégradée en Tunisie, les adversaires sont devenus des ennemis, ce sont des batailles populistes et de règlements de comptes et qui font fi du processus démocratique en Tunisie. Ceci envoie un mauvais message à l’étranger. Ennahdha et le Courant démocratique étaient, en effet, alliés dans le cadre du gouvernement Fakhfakh, mais malheureusement aujourd’hui ces guerres politiques nuisent énormément aux intérêts du pays. Nous devons tous dépasser ce genre de querelles politiques. J’appelle tout le monde à éviter ces problèmes collatéraux qui sont en train de nous dévier de l’enjeu principal, celui du sauvetage du pays. Notre vrai combat devra être contre la pauvreté, le chômage et la corruption et surtout contre la faillite de l’Etat.
Justement, pensez-vous que la Tunisie est menacée par une faillite ?
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les experts et économistes. Ils sont unanimes à cet effet que le mois d’avril sera décisif pour la Tunisie sur le plan économique car notre pays est appelé à régler certaines dettes. La Tunisie est appelée aussi à assurer les ressources financières nécessaires pour appuyer son budget et répondre à sa masse salariale dans le cadre d’un projet de loi de finances complémentaire que nous attendons toujours.
Je rappelle aussi qu’avant le 15 avril prochain, la Tunisie est appelée à entamer de nouvelles discussions avec le Fonds Monétaire International (FMI), pour accéder à un nouveau plan de financement. Je pense que toutes ces questions sont extrêmement difficiles au vu du rendement du plus faible gouvernement depuis la révolution. D’ici fin avril, si la situation persiste, la Tunisie sera dans un état de cessation de paiement, et c’est le début de la déclaration de la faillite du pays et la libanisation de l’économie nationale. C’est pour cela que le Courant démocratique appelle à accélérer la tenue du dialogue social et économique.
En effet, le Président de la République s’est dit prêt à superviser un tel dialogue. Le Courant démocarique émet-il certaines réserves compte tenu des partis participants ?
Je vous rappelle qu’Attayar a appelé depuis octobre 2020, à l’organisation d’un dialogue économique et social. Nous avons présenté notre propre initiative au Président de la République, puis nous avons adhéré à celle présentée par l’Ugtt. Le Président de la République a donné son accord de principe pour superviser ce dialogue, mais depuis, le dossier traîne.
Le Chef de l’Etat a pris beaucoup de temps pour agir. Nous pensons que tout le monde doit prendre part à cette occasion car nous avons une véritable crise politique, économique et sociale. Organisations nationales, partis politiques, experts et autres, nous devons tous réussir ce dialogue national pour mettre en place un plan de route en vue de sortir de cette crise. Il nous faut aussi une stratégie économique claire à moyen terme.
Quel avenir politique pour le gouvernement Hichem Mechichi ?
Le gouvernement Mechichi est fini. Il s’est enlisé dans une dispute politique avec le Chef de l’Etat, alors que les deux têtes de l’Exécutif doivent être sur la même longueur d’onde. Du côté de Carthage, ce gouvernement a perdu toute légitimité. Ce gouvernement a perdu sa légitimité, car il n’est pas parvenu à faire face à l’actuelle crise sanitaire, notamment en ce qui concerne le retard accusé au niveau de l’arrivée des vaccins contre le coronavirus. Hichem Mechichi n’a aucun programme, il a accentué la crise en faisant des accords avec El-Kamour, mais aussi avec les magistrats qu’il n’est même pas capable d’appliquer. C’est un gouvernement fini.
C’est un gouvernement d’expédition des affaires courantes, en attendant la mise en place d’un gouvernement de salut national composé de technocrates ou de compétences politiques jouissant d’une ceinture politique confortable. Celui qui dirigera ce gouvernement doit faire l’objet du consensus de la majorité, c’est-à-dire celui du Chef de l’Etat et des partis qui le soutiennent, du Parlement et de la centrale syndicale et des autres organisations nationales. C’est un gouvernement qui doit sauver la Tunisie jusqu’à la tenue des élections de 2024.