«Entre la Tunisie et la Libye, il existe des liens noués par le voisinage, l’histoire, la lutte contre le colonialisme. Leur unité est plus concevable que celle d’autres pays arabes… Nos peuples ont davantage de chances de s’intégrer à plus ou moins longue échéance», disait le président tunisien Habib Bourguiba, en décembre 1972.
Un demi-siècle plus tard, ce souhait ou cette projection semble être un choix incontournable, compte tenu d’une conjoncture mondiale, marquée par une recrudescence des prédations : commerciale, industrielle, financière, mais aussi politique.
S’attardant sur la récente visite du Président Kaïs Saïed en Libye (17 mars dernier), le président du conseil libyen, Mohamed El-Menfi, l’a qualifiée d’«historique». Si bien que l’habitant du palais de Carthage a été le premier Chef d’Etat à se rendre à Tripoli pour féliciter les autorités par intérim fraîchement élues.
Précédée par la troisième édition du forum économique tuniso-libyen tenue le 11 mars 2021 à Sfax, cette visite peut être considérée comme le déclencheur d’une vraie reprise de la coopération bilatérale entre deux pays faisant face à mille et un défis.
Le forum économique précité, organisé par Tunisa-Africa Business Council (Tabc), a réuni plus de 120 personnalités libyennes, principalement des officiels, des chefs d’entreprise, un grand nombre d’hommes d’affaires et des experts économistes.
L’adage : «Qui veut aller loin, doit ménager sa monture», une première édition d’une grande foire commerciale tuniso-libyenne baptisée «Le forum du jumelage économique pour l’Afrique» se tiendra les 23,24 et 25 mai 2021 à la foire internationale de Tripoli.
Toute cette dynamique ne peut être qu’annonciatrice de lendemains radieux pour les deux pays frères, forts d’une continuité géographique et ethnique.
Oui à la concrétisation, non à l’inertie
Les recommandations du Forum économique tuniso-libyen ont porté sur tous les domaines ou presque :
– Faciliter le mouvement de transit via les postes frontaliers reliant la Tunisie à la Libye, notamment Ras Jedir et Dhiba-Wazen, et œuvrer à l’ouverture de nouveaux passages comme celui de Mashhad Salih-Tiji pour développer les échanges avec la région de Jebel Gharbi.
– Etudier la possibilité d’ouvrir un quatrième passage entre Borj Al Khadra et Ghadamès, qui permettra de créer une dynamique dans la région et qui sera un portail vers l’Afrique subsaharienne via la Libye.
– Réouverture des financements du côté libyen pour un commerce terrestre et ne plus se contenter des échanges maritimes.
– Réouverture des lignes aériennes de Tunisair reliant Tripoli et Benghazi.
– Installer des lignes maritimes permanentes reliant les deux pays, à des prix préférentiels.
– Achever les travaux de l’autoroute Médenine-Ben Guerdane-Libye.
– Lancement de la zone logistique frontalière, dont les travaux sont presque achevés
– Permettre aux entreprises tunisiennes de réactiver les contrats signés depuis 2001 avec une révision financière adaptée à l’évolution des prix sur le marché
– Permettre aux entreprises tunisiennes et libyennes de recevoir leurs dûs, dans le cadre d’un règlement global.
– Mettre en place un partenariat public-privé (PPP) pour la réalisation de projets immobiliers à l’arrêt à cause des événements survenus en Libye.
– Faciliter les mesures administratives et financières pour que les entrepreneurs tunisiens investissent en Libye, tout en leur accordant des avantages spéciaux et des facilités pour l’hébergement par exemple.
– Faciliter les opérations financières et bancaires et permettre l’ouverture de comptes en devises pour les investisseurs libyens.
– Lancer une initiative législative pour permettre aux entreprises tunisiennes et libyennes de participer aux appels d’offres avec les mêmes avantages en Tunisie ou en Libye.
– Réutiliser le dinar tunisien et le dinar libyen dans les transactions entre les deux pays et ne plus recourir à l’usage de monnaies étrangères.
– Revenir aux anciens échanges avec la Libye des matières premières et marchandises tunisiennes contre de l’énergie libyenne.
– Activer l’accord de libre-échange entre les deux pays (2001), le réviser et l’améliorer.
Conjuguées à une volonté commune d’établir une politique africaine, en procédant dans un premier temps à la création d’une zone logistique tunisienne à Sebha (à 660 km au sud de Tripoli) pour pénétrer les marchés de l’Afrique subsaharienne, ces recommandations sont, à bien des égards, salutaires. Reste à dire que le facteur temps a de tout temps été décisif, s’agissant de relations internationales et d’intelligence stratégique.
Agir ou périr
Fini donc le temps des parades, fini le temps de s’égosiller devant les caméras ! Les gouvernants de la Tunisie nouvelle n’auraient désormais qu’un seul choix, qu’une équation unique : agir ou périr. La faiblesse des pouvoirs centraux, la morosité économique et la récurrence des remous politiques et sociaux ne jouent pas en faveur d’un pays épuisé face à des puissances régionales et internationales déterminées à bien peser sur l’échiquier libyen.
Les Européens, les Américains, les Asiatiques, les Turcs et les Egyptiens sont là, tous les projecteurs sont braqués sur la Libye. Toutes ces convoitises ne peuvent que peser sur l’espoir d’une vraie union tuniso-libyenne. Laquelle union s’annonce aujourd’hui plus que jamais utile et protectrice contre les dangers qui guettent de toutes parts la région maghrébine.
De l’avis des géopoliticiens et spécialistes des relations internationales les plus avérés, «le retour des prédateurs» est un fait. Il serait, donc, imprudent, voire aventureux de jouer seul face à des superpuissances si ambitieuses et si gourmandes.
Pour la Tunisie et la Libye que tout semble réunir : géographie, histoire, langue, culture, etc, il ne reste que la puissance des alliances comme échappatoire.
En analysant les options qui se présentent aux deux peuples, ils n’ont plus que penser à deux, stratégiquement. Les deux pays doivent désormais agir en tant qu’union géopolitique, intégrant au plus haut niveau toutes les dimensions d’une approche stratégique : sécuritaire, économique, diplomatique, mais surtout avec une bonne capacité de synthèse et d’arbitrage. Car l’avenir se construit.