Accueil Magazine La Presse Le cybermilitantisme comme forme d’organisation socionumérique: Peut-on passer du virtuel au réel ?

Le cybermilitantisme comme forme d’organisation socionumérique: Peut-on passer du virtuel au réel ?

Depuis la révolution tunisienne, et les autres mouvements sociaux qui ont suivi dans le cadre de ce qu’on appelle le printemps arabe, le cyber-militantisme commence à prendre un poids considérable. Tantôt réduit à une simple forme d’expression électronique, tantôt surévalué et considéré comme un facteur essentiel pour les différents mouvements sociaux contemporains, le cyber-militantisme prend de plus en plus de poids au sein des sociétés hautement médiatisées et digitalisées.


Appelées aussi activisme digital, ces formes d’organisation répandues notamment sur les réseaux socionumériques, Facebook et Twitter en l’occurrence, changent en effet l’action militante qui était, autrefois, purement physique. Aujourd’hui, elle se développe davantage sur le numérique où plusieurs millions de personnes s’organisent autour de thèmes, de campagnes, d’actions ou surtout de causes communes. Seulement, ne doit-on pas la convertir en événements concrets pour qu’elle soit réellement efficace ? L’activisme digital, ses avantages de taille et ses dérives, est une arme à double tranchant !

Les derniers évènements survenus brusquement en Palestine, à Gaza et dans les territoires occupés, rouvrent le dossier du cyber-militantisme. Il désigne toutes les actions numériques menées notamment sur les réseaux sociaux pour revendiquer des droits, combattre des dépassements, alimenter des campagnes et surtout défendre une cause commune. Ils sont comptés par centaines de milliers les jeunes arabes qui mènent actuellement une grande campagne sur les réseaux sociaux pour appeler à arrêter les agressions commises par l’entité sioniste à l’encontre de la Bande de Gaza et contre le peuple palestinien et les habitants du quartier Cheikh Jarrah à Al-Qods.

Munis simplement de leurs claviers et organisés autour de hashtag, ils envahissent les réseaux sociaux pour défendre les droits des Palestiniens face aux agressions sionistes.#PalestinianLivesMatter. Les vies des Palestiniens comptent. Le hashtag, inspiré par le #BlackLivesMatter pour dénoncer les crimes commis contre les Africains-Américains, se répandait comme une traînée de poudre sur les réseaux socionumériques dans une tentative d’interpeller l’opinion publique internationale sur ce qui se passe actuellement en Palestine et notamment à Gaza. « Les vies des Palestiniens comptent » : l’appel venu de plusieurs pays, dont notamment les pays arabes, repris par plusieurs stars et influenceurs, montre que la question du droit des Palestiniens gagne du terrain dans l’opinion internationale, malgré des gouvernements incapables d’agir.

#GazaUnderAttack, #Savesheikhjarrah, deux autres hashtag qui ont envahi également les réseaux sociaux témoignant de ces formes dans les plateformes de participation sociale, pour les internautes, c’est un atout majeur pour mener des actions communes au profit des droits des Palestiniens. Ce sont aussi des internautes tunisiens qui se sont inscrits à ce genre de campagnes de cyber-militantisme. Parmi eux Mahmoud Amdouni, étudiant en master à l’Université de La Manouba, qui a massivement contribué à cette campagne dans la Toile tunisienne. Pour lui, c’est une manière d’exercer «une pression sur les différents Etats responsables des massacres à Gaza», c’est une façon de «fédérer des communautés autour d’une cause commune dans l’objectif d’alerter l’opinion publique internationale sur les atrocités commises à l’encontre du peuple palestinien». Il explique que même s’il s’agit de gestes symboliques, ce genre d’organisations sur les réseaux sociaux permet de «mobiliser aussi la foule dans la rue et de faire rappeler aux prochaines générations la lutte du peuple palestinien».

Pour Arwa Jbali, lycéenne, participer à ces campagnes de Hashtagging sur les réseaux sociaux permet, en effet, de faire mobiliser les gens au profit de la cause palestinienne. Pour elle, il ne faut pas les considérer comme de simples gestes symboliques car ces campagnes parviennent dans la plupart du temps à se transformer en actions sur le terrain.

Quelle utilité ?

Le point commun entre ces mouvements, au-delà du caractère essentiel de leur lutte, c’est la façon dont ils sont nés en ligne. Ils ont tous vu le jour via une campagne de sensibilisation digitale. Ils ont été principalement gérés derrière des écrans, et ont pris une envergure colossale, garante d’actions concrètes grâce au soutien de millions de personnes sur les réseaux sociaux. Ils ont prouvé que l’activisme avait avancé avec son temps. Désormais, c’est via son smartphone qu’on milite, qu’on (s’)informe. Mais qu’a l’activisme digital de plus qu’un mouvement qui démarre dans la rue ? Comment cette nouvelle façon de protester qui se base sur le virtuel peut faire bouger les choses dans la vie quotidienne ? Et quelles sont ses dérives ?

Pour Sadok Hammami, maître de conférences à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), ces actions ne dépassent pas le geste symbolique dans la mesure où elles sont soumises aux contraintes du réseau Facebook qui se conforme aux orientations de l’administration américaine. Il soutient qu’il ne faut pas considérer Facebook comme un espace de libre expression car il dispose aussi de mécanismes de censure et est soumis uniquement à ses intérêts financiers.

«Facebook est avant tout une entreprise lucrative, il vend les données des utilisateurs et est soumis aux orientations et aux lois américaines. Si, par exemple, nous soutenons les actions du Hamas, pour Facebook il s’agit d’une organisation terroriste, ce réseau n’est pas un espace de libre expression, et ces campagnes acquièrent seulement une valeur symbolique, il ne faut pas rêver qu’on puisse libérer la Palestine par le biais de Facebook», note-t-il.

Le commentaire, une arme !

Cette forme d’usage, ou du moins cette représentation d’usage de la fonctionnalité de commentaire, comme principale arme de cyber-militantisme, acquiert de ce fait un sens d’engagement politique, citoyen, culturel ou autre. Ainsi, l’usage de la fonctionnalité du commentaire prend la forme d’un moyen de dissuasion destinée notamment au pouvoir politique, mais aussi aux médias et à leurs stratégies et choix. C’est d’ailleurs le cas des campagnes de hashtag contestataires que mènent un nombre d’internautes sur les réseaux socionumériques. Comme le montrent certaines études notamment dans le contexte occidental, les campagnes de hashtag sur les réseaux socionumériques commencent à prendre des formes d’organisation citoyenne à dimension politique conformément à des structurations qui naissent par le biais des interactions socionumériques.

Dans ce sens, le commentaire ne correspond plus à une simple fonctionnalité permettant d’exprimer une opinion, un avis ou une position, mais prend la forme d’un moyen d’émancipation, voire d’un engagement politique ou citoyen.

La Tunisie : un exemple ?

Les réseaux socionumériques, qui mettent en avant des mécanismes communicationnels centrés surtout sur le partage, l’implication sociale et la participation citoyenne, permettent le rassemblement de millions d’internautes sous forme de communautés connectées, d’où la naissance de ces campagnes de hashtagging.

Celles-ci incluent des manifestants potentiels supplémentaires qui s’ajoutent aux militants d’autrefois et qui en constituent parfois le prolongement. Cette forme nouvelle de militantisme prend une dimension socionumérique puisqu’elle repose sur l’implication et l’engagement sociaux, d’une part, et, d’autre part, sur les interactions et les usages et pratiques numériques. Ce phénomène a tout d’abord été observé aux Etats-Unis, mais se rapporte peu à peu à tous les pays d’Europe, et du monde entier.

D’ailleurs, la «révolution tunisienne» de 2011 s’est présentée comme l’un des cas où l’implication de ces plateformes dans l’engagement social et politique a fait l’engouement des chercheurs et de la communauté scientifique.

Dans ce contexte, et notamment avant et durant les événements du 14 janvier 2011, les TIC ont joué un rôle important dans la circulation de l’information et dans la formation d’espace public alternatif, pour se substituer aux médias traditionnels offrant liberté d’expression et relais de voix dissidentes et opposantes en dépit de la censure. Pendant ce temps, les médias ont perdu tout contrôle sur les mécanismes d’information des publics, et ont été en perpétuelle dépendance aux contenus amateurs diffusés sur ces réseaux.

Si Internet, Facebook et Youtube notamment ont joué un rôle remarquable dans l’évolution du militantisme en Tunisie en donnant un espace d’expression à ceux qui en étaient privés, en permettant à d’autres de se sentir citoyens et acteurs impliqués dans les vie politique, le rôle des médias traditionnels, longtemps évoluant sous l’emprise du pouvoir, était marginalisé, ils n’étaient plus au-devant de la scène nationale.

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