Vient de paraitre « Les costumes traditionnels féminins de Tunisie » : Un ouvrage de référence

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Les enquêteurs ratissaient villes et villages à la recherche de costumes traditionnels et accessoires. Avec des moyens limités et  de la passion à revendre, ils sont à l’origine d’une véritable « épopée ».

Un beau livre au titre riche de mille dimensions historique, traditionnelle, culturelle et esthétique, «Les costumes traditionnels féminins de Tunisie », vient d’être réédité par la Bibliothèque nationale en deux versions arabe et fançaise. Un ouvrage collectif publié par le Centre des arts et traditions populaires et initialement édité en 1978 par la Maison tunisienne de l’édition. Sa réédition, il y a quelques semaines par l’institution dirigée par la professeure Raja Ben Slama, est un hommage à une équipe pionnière dans son domaine et « un hymne à la diversité du patrimoine vestimentaire tunisien », écrit la directrice de la BN. C’est aussi un bel et utile ouvrage qui vient garnir les rayons de notre conscience collective. Rien de moins !

Ce Beau-Livre a une histoire intéressante qui commence en 1966. Le directeur du Centre des arts et traditions populaires de l’époque, Mohamed Masmoudi, réunit une petite équipe de jeunes fraîchement diplômés d’histoire pour en faire le premier noyau actif du Centre. Il leur expose le projet qu’il cultive secrètement, de collecter les tenues traditionnelles de toutes les régions que compte la Tunisie.

Samira Sethom est la première à rejoindre le Centre, alors qu’elle était encore étudiante à la faculté 9-Avril. Arrivent ensuite Aziza Ben Tanfous, Fethia Skhiri, Neziha Mahjoub et Ali Zouari. Tous des camarades de promotion. Plus tard, le groupe est renforcé par Aliya Beyrem, professeur d’anglais, Clémence Sugier, professeur de français et le père André Louis qui donnait des cours de sociologie à la faculté 9-Avril.

Les enquêtes avaient démarré en 1966. C’est le début d’un périple qui aura duré quatre ans. Les enquêteurs ratissaient villes et villages à la recherche de costumes traditionnels et accessoires. Avec des moyens limités et  de la passion à revendre, ils sont à l’origine d’une véritable « épopée » qui a donné lieu à l’ouvrage. 5.000 exemplaires avaient été tirés sur plusieurs fois et épuisés depuis longtemps.

Des témoignages émouvants

Contactée par La Presse, Samira Sethom se souvient et raconte : « Nous étions partis avec l’idée de réaliser un inventaire des pièces de vêtements et de costumes de femmes sur l’ensemble du territoire. Nous avons découvert, au fil de nos investigations, la place exceptionnelle qu’occupe le costume dans la culture traditionnelle. Le vêtement, le bijou, la coiffe véhiculent des valeurs sociales, des croyances et des faits culturels profonds », analyse-t-elle.

Le Centre des arts et traditions populaires a pris le relais d’une structure qui s’appelait alors, au temps du protectorat, les Centres des arts tunisiens. Les Français avaient réuni des collections de costumes et des pièces du patrimoine. « Nous avons complété la collection faite par les Français», précise Samira Sethom.

« L’administration de la post-indépendance nous avait fait confiance. Nous disposions de peu de moyens. Mais quand on trouvait des pièces intéressantes, on les essayait avant de les acquérir. Les collections nationales avaient été constituées de cette manière là ».

L’historien et directeur du Centre, Mohamed Masmoudi, est le concepteur du projet au temps où le Centre des arts, tout modeste, dépendait du prestigieux Institut national d’archéologie. « On était les parents pauvres, poursuit Mme Sithom, personne, à part nous, ne croyait aux arts traditionnels. Nous sommes partis de rien. » Le succès de l’ouvrage a tôt fait de propulser le Centre et les Arts traditionnels sur le devant d’une scène culturelle et artistique, alors en pleine effervescence.

Samira Sethom, apprenant la réédition du livre par la Bibliothèque nationale, n’a pu cacher son émotion. Enfin, une reconnaissance, tardive, mais elle est là. « Je suis très contente.

Cet ouvrage est un monument pour la Tunisie ». Elle poursuit pensive, « notre travail a été beaucoup exploité. Qui ne connaît pas le costume traditionnel aujourd’hui? Mais c’est notre travail qui est à l’origine de tout.» Elle poursuit avec une pointe de regret : «  Les arts et traditions populaires sont nés avec une équipe et sont morts quand cette équipe est partie à la retraite ».

Au départ, c’était une petite brigade, « nous étions des soldats », investie d’une mission, trouver la pièce rare. Autre temps, autres mœurs ; « où que nous allions, les autorités locales nous aidaient», se souvient Mme Sethom, «les antennes de l’Union nationale des  femmes tunisiennes étaient implantées partout et la population nous recevait à bras ouverts.

C’était la belle époque. Je vous plains vous autres», finit-elle par lâcher, nostalgique.

Samira Sethom révèle que cet ouvrage est associé chez elle à une expérience plus intime. « J’ai pris la relève des Français.

Je suis allée vers la découverte de ma propre culture. Vous ne pouvez pas savoir le bien que cela m’a fait. Mon travail m’a construite. Nous étions entre deux cultures. Et là, je découvre la mienne avec sa diversité et ses richesses. J’avais un sentiment de fierté.» 

Au retour, les jeunes historiens remettaient leurs belles trouvailles, assorties de textes et de commentaires. Clémence Sugier, professeur de français au lycée de la Rue du Pacha, procédait, elle, à l’harmonisation des textes.

Passé et avenir

Aziza Ben Tanfous, militante du groupe, évoque, plutôt dans la joie, des souvenirs qu’elle a gardés intacts : «  chacun de nous avait une région à couvrir. Une voiture  4 L, un photographe, un chauffeur et un petit budget. Chaque fois que nous trouvions une pièce, on la prenait.

Nous avons enrichi progressivement et patiemment les collections qui préexistaient ». Les collections ont été transférées de Dar Ben Abdallah au Musée de Ksar Saïd où elles y sont actuellement.

Mme Ben Tanfous considère que leur travail avait réhabilité le costume traditionnel et les arts d’une manière générale. « L’archéologie avait le vent en poupe. Tout le reste était marginalisé », se souvient-elle encore. Même émotion chez Ali Zouari : «On travaillait dans l’entente, on était comme une famille », se souvient-il.  

 «Le fait que les gens découvrent notre travail, tient à faire remarquer Aziza Ben Tanfous, est une réhabilitation du patrimoine et une reconnaissance du travail accompli par notre équipe».

De cette équipe, certains membres sont décédés et d’autres perdus de vue. Nous avons pu recueillir les témoignages, notamment de Samira Sethom, de Aziza Ben Tanfous et de Ali Zouari. Beaucoup de souvenirs, d’émotions et une pointe de regret se dégageaient du récit, notamment de celui des deux dames. Elles et ils sont fiers d’avoir produit un ouvrage de référence, au temps de l’édification d’une Tunisie moderne, fière de ses racines, de son histoire, de son patrimoine et regardant vers l’avenir.

« Les costumes traditionnels féminins de Tunisie » est, in fine, un travail utile, à la confluence de plusieurs sciences sociales. Mais qui nous rappelle, à raison, que la tradition a été une modernité un jour.

Que ces photos qui illustrent le Beau-Livre ne sont donc pas des modèles seulement à recopier, mais une source d’inspiration pour créer. C’est bien de regarder vers le passé. Mais la vraie valeur d’une nation, c’est de créer. En créant, elle se projette vers l’avenir, s’invente et se renouvelle.

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