Accueil Actualités Interférence entre pouvoirs judiciaire et exécutif : Le long chemin de l’indépendance de la justice !

Interférence entre pouvoirs judiciaire et exécutif : Le long chemin de l’indépendance de la justice !

Encore une fois, l’indépendance des magistrats est mise en jeu dans un pays en construction démocratique. On dit toujours qu’une justice parfaitement indépendante est meilleure que mille constitutions, sauf que depuis la révolution, la polémique autour de l’indépendance des magistrats ne désenfle pas.

Cela fait plusieurs années qu’on évoque une justice tunisienne sous l’emprise de la main politique sans que des décisions et des mesures ne soient prises pour mettre fin à ces accusations. Récemment, l’affaire du limogeage du président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, le juge Imed Boukhris, a alimenté davantage cette polémique, mais cette fois, c’est au Conseil de l’Ordre judiciaire, organe relevant du Conseil supérieur de la magistrature, d’agir. Dans un communiqué rendu public, il annonce avoir décidé de mettre fin au détachement des juges affectés à la présidence de la République et à la présidence du gouvernement.

Cette décision concerne également les ministères, les organismes et les instances dans lesquels la loi n’impose pas la présence de juges judiciaires. Ainsi, les juges concernés sont appelés à abandonner leurs responsabilités dans ces organes, des mandats de nomination provisoire vont leur être délivrés. On explique avoir agi par ambition de préserver l’indépendance et l’intégrité des juges loin de toute instrumentalisation politique. On apprend également que dorénavant, tout juge appelé à assumer des responsabilités dans ces organes sera obligé de démissionner avant de rejoindre son nouveau poste.

Les magistrats de l’Ordre judiciaire en détachement auprès des institutions de la présidence de la République, la présidence du gouvernement ou encore les instances publiques indépendantes qui souhaitent poursuivre leurs missions d’affectation ont le droit de démissionner du corps de la magistrature, a indiqué, dans ce sens Walid Melki, magistrat et membre du Conseil de l’Ordre judiciaire. Il a fait observer que les magistrats concernés par la décision mettant fin au détachement de magistrats auprès des institutions précitées bénéficient de délais «raisonnables» pour prendre leurs décisions. 

Melki a affirmé que cette décision prise, mardi, par le Conseil de l’Ordre judiciaire relevant du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s’inscrit dans le cadre d’une orientation visant à mettre un terme aux interférences entre le politique et la fonction juridictionnelle. Et d’ajouter: le pouvoir judiciaire doit être en mesure d’ouvrir des perspectives et de répondre aux ambitions et objectifs des magistrats au sein même du système judiciaire. L’objectif, selon lui, est de renoncer à la nomination de juges aux postes en dehors du pouvoir judiciaire et de tenir les magistrats à l’écart des tiraillements politiques pouvant nuire à leur crédibilité.

Cette décision, qualifiée de scission entre le pouvoir judiciaire et exécutif, intervient alors que les critiques ciblant le rendement de certains juges et leur éventuelle implication dans des affaires politiques sont devenues nombreuses. Elle intervient surtout, sur fond du limogeage du juge Imed Boukhris, président de l’Inlucc, et son remplacement par un autre juge, Imed Ben Taleb.  

Soupçons de corruption

Dans un communiqué rendu public, l’ONG I Watch a fustigé la nomination du juge Imed Ben Taleb à la tête de l’Inlucc appelant le Chef du gouvernement à revoir sa décision. I Watch rappelle dans ce sens qu’elle avait porté plainte contre ce juge pour atteinte à l’administration, corruption et infraction aux dispositions en vigueur. Elle l’accuse d’avoir servi les intérêts de l’homme d’affaires Marouane Mabrouk alors qu’il était président de la commission nationale de confiscation.

Si Imed Ben Taleb a décidé de garder le silence face à de telles accusations, Imed Boukhris a quant à lui décidé de tout déballer. En effet, limogé, il a accusé le gouvernement de vouloir normaliser la corruption en Tunisie, faisant état de fortes connexions entre le pouvoir et les cercles de corruption. « L’Inlucc ne sera pas une machine de blanchiment de l’image de qui que ce soit et je ne serai pas le témoin fallacieux d’un système corrompu dirigé par des politiciens qui prennent des décisions arbitraires contre l’intérêt du peuple tunisien », a-t-il martelé dans une déclaration médiatique.

Imed Boukhris a affirmé « la présence au sein du gouvernement de conseillers du mal» dont une partie importante est active au sein du pouvoir et liée à ce qu’il appelle «la pieuvre de la corruption ». Et d’exprimer ses craintes pour le pays en raison « des décisions irresponsables prises » qui auront des conséquences désastreuses sur l’image de la Tunisie.

Un pas vers l’indépendance de la justice ?

La présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), Amira Amir, est revenue sur la décision prise par le Conseil de la justice judiciaire sur fond de cette affaire. Pour elle, il s’agit d’un pas de plus sur le chemin de l’indépendance de la justice tunisienne. « Nous félicitons cette décision mettant fin au détachement des juges aux postes politiques, car ce genre de nomination a considérablement nui à la magistrature », a-t-elle affirmé, rappelant que le syndicat avait mis en garde contre les nominations des juges dans des postes politiques. « Nous avons constaté une forte interférence entre la justice et la politique en Tunisie, ce qui est à l’origine de campagnes contre les juges pour appartenance politique, nous devons arrêter cette hémorragie », a-t-elle ajouté. 

Pour sa part, Lamia Mejri, membre de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), considère que cette décision est à féliciter même si elle est prise en retard. La juge a mis en garde contre le détachement des magistrats aux postes politiques, appelant à mettre fin définitivement à ces liaisons entre la justice et la branche exécutive du pouvoir. Cependant, elle considère que cette décision a été prise dans un contexte bien précis, sauf qu’elle doit intervenir dans l’objectif de préserver l’indépendance de la justice dans une approche globale.

En tout cas, cette situation devra servir de moyen pour se pencher sur les réalités de ce pouvoir qui semble en pleine crise à multiples dimensions. Mais une chose est sûre, tout doit être fait de manière à garantir l’indépendance de la justice, une des revendications de la révolution. Car à la moindre crise, la question de l’indépendance des juges et leur impartialité à l’égard des différentes couleurs politiques sont remises en cause. Il faut rappeler dans ce contexte le conflit qui oppose le premier président de la Cour de cassation, Taïeb Rached, à l’ancien procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi. Ces deux derniers se sont échangé les accusations de corruption et de liaisons avec certains partis politiques dans une situation inédite dans l’histoire contemporaine du pays.

Tout cela pour dire que les tentations politiques et les postes ministériels et au sein de l’administration tunisienne proposés à certains juges ont conduit à la construction de certains liens et même relations entre des magistrats et des partis politiques. Rappelons dans ce contexte que le gouvernement Habib Jemli avait proposé quatre magistrats pour des portefeuilles ministériels, dont des ministères régaliens.

La présidence du gouvernement a annoncé la nomination de Imed Ben Taleb Ali à la tête de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), succédant ainsi à Imed Boukhris. Rappelons que la nomination du magistrat Imed Boukhris au poste de président de l’Instance de lutte contre la corruption (Inlucc) était parue au Journal officiel de la République Tunisienne (Jort) en août dernier.

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