Stratégie et Traitement sécuritaires des mouvements sociaux : La violence n’engendre que la violence !  

C’est contre les pratiques de répression et de violence policière que le peuple s’est révolté en 2011. Après dix ans, les scènes sont toujours les mêmes.
Pis encore, on a dépassé toutes les limites en portant atteinte à la dignité d’un adolescent à Sidi Hassine dans des images choquantes. 

La violence et les abus policiers sont un phénomène mondial touchant même les pays aux plus anciennes démocraties. Sauf qu’en Tunisie, il s’agit d’un contexte de démocratisation de la société, où ce genre de pratiques n’ont plus de place. La récente affaire du mineur dénudé par les forces de l’ordre à Sidi Hassine à Tunis a rouvert le grand débat autour de la violence, des abus et du traitement réservé par les policiers aux mouvements protestataires. Si pour les deux têtes de l’exécutif, qui se disputent la direction des forces intérieures, il s’agit d’un cas isolé qui ne représente en aucun cas l’institution sécuritaire, les composantes de la société civile s’inquiètent quant à la dégradation de la situation des libertés et des droits humains en Tunisie.

Dans un communiqué rendu public, le Bureau du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (Hcdh) en Tunisie a affirmé avoir reçu des informations circonstanciées relatives à plusieurs incidents graves impliquant des membres des forces de sécurité intérieure et exprime sa préoccupation à cet égard. «Le 8 juin, un jeune homme est mort dans des circonstances encore non élucidées à la suite d’une arrestation par la police à Sidi Hassine (gouvernorat de Tunis). Dans le contexte des protestations qui ont éclaté suite à ce décès, des vidéos troublantes ont circulé sur les réseaux sociaux le 9 juin montrant des membres des forces de sécurité intérieure dont l’un est cagoulé et équipé d’un fusil automatique, en plein jour, dans la rue et devant témoins, qui semblent être en train de déshabiller de force et molester un mineur à terre, qu’ils emmènent après dans un fourgon. Ces violations graves et répétées depuis le début de l’année révèlent des dysfonctionnements continus au sein des services de sécurité intérieure dont la résolution exige une volonté infaillible tant des pouvoirs exécutif et judiciaire aux fins de la redevabilité en conformité avec la loi qui est attendue par les Tunisiens, que de chacun des membres des forces de sécurité intérieure qui souhaitent et œuvrent à l’ancrage de leur corps dans l’Etat de droit et des pratiques respectueuses de la loi et des droits de chaque citoyen», a-t-on communiqué, appelant le ministère de l’Intérieur à mettre fin à ce genre de pratiques.

Pourquoi un tel traitement sécuritaire ?

Il est indéniable que depuis 2011, conformément à sa Constitution et à ses engagements internationaux, la Tunisie s’est engagée de façon volontariste dans un processus de démocratisation, de réformes législatives et de renforcement des capacités initiales et continues visant à ancrer l’Etat de droit et la promotion et la protection des droits de l’homme au sein des institutions tunisiennes, sauf que durant cette dernière période et notamment depuis les émeutes de décembre et janvier derniers, plusieurs incidents ont eu lieu pour rappeler la précarité de la situation sécuritaire, notamment en matière de confrontation de la foule. En effet, durant cette dernière période, les manifestations sociales, même les plus pacifiques, ont été confrontées à une main de fer de la part des agents sécuritaires massivement déployés notamment dans les quartiers dits chauds et au centre-ville de Tunis. Le moindre mouvement social est en effet réprimé d’une manière sévère et même sauvage comme en témoignent les différents rapports des organisations et associations de la société civile.

Samedi dernier, alors que des dizaines de jeunes sont descendus pour manifester contre la violence policière, ils ont été ciblés par une intervention musclée de la part des agents de police déployés à l’avenue Habib-Bourguiba. Le député du bloc démocratique, Hichem Ajbouni, a d’ailleurs publié un statut sur les réseaux sociaux pour «dénoncer la violence exercée par les sécuritaires contre les manifestants à l’avenue Habib-Bourguiba». Il a, dans ce statut, fustigé le recours à cette violence excessive, notamment contre une jeune manifestante inoffensive, affirmant que cela dénote «l’échec cuisant du gouvernement dans la résolution des crises économiques, financières, sociales et sanitaires du pays».

La stratégie du ministère de l’Intérieur en matière de traitement de ces mouvements sociaux est-elle à revoir ? Sous le couvert de l’anonymat, un ancien porte-parole du département de l’Intérieur pense que le traitement sécuritaire de certains mouvements sociaux, notamment dans la capitale et ses quartiers populaires, n’est pas à la hauteur des attentes des citoyens, encore moins des principes de la «sûreté républicaine». Il explique à notre journal que plusieurs stratégies sécuritaires sont à revoir d’autant plus que la violence policière, qui «est une violence légitime dans certains cas, doit intervenir comme un dernier recours». «Dans certaines situations, la violence n’engendre que la violence comme cela a été le cas à Sidi Hassine. Dans certains quartiers, une simple présence de la police provoque d’ores et déjà une tension et des altercations, nous avons l’impression que le fossé entre citoyens et police ne cesse de se creuser à la lumière de ces incidents», soutient-il, rappelant que sur le terrain, les forces de l’ordre sont confrontées à des actes de provocation inimaginables.

Équilibrer le discours politique

Certes sur le terrain, la tension est toujours palpable. Sauf que dans leurs bureaux, nos politiques et nos responsables doivent équilibrer leurs discours pour épargner aux forces de l’ordre ces contextes d’effervescence sociale. En effet, pour certaines déclarations et propos politiques, c’est comme si on jetait de l’huile sur le feu. Nos responsables politiques n’ont pas encore réalisé la délicatesse du moment par lequel passe le pays, alors que leurs propos ne cessent de susciter une tension sociale interminable. Récemment, c’est le président du Parlement, Rached Ghannouchi, qui, à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire du mouvement Ennahdha, a accusé certaines parties de vouloir «tenter un putsch contre la démocratie et les libertés».

«Vous voulez que nous revenions comme nous étions avant ? Où étiez-vous lorsque nous nous apprêtions à mourir à chaque manifestation ? Aujourd’hui, j’appelle les putschistes à s’en remettre à Dieu !», a-t-il encore déclaré, suscitant une polémique sur les réseaux sociaux.

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