Visiblement, tout devient source de polémique et de controverse en Tunisie. Ce projet de loi, présenté par ses initiateurs comme un cadre juridique révolutionnaire, est aujourd’hui au cœur des tiraillements politiques.
La loi sur la relance économique et l’amnistie de change a été votée lundi 12 juillet au Parlement, avec 110 voix pour, 7 voix contre et 5 abstentions. Comportant 20 articles portant notamment sur l’intégration des activités de l’économie parallèle et des devises qui en proviennent dans le circuit économique, l’appui aux entreprises touchées par la crise Covid, le traitement des infractions douanières et de change, la facilitation d’accès au logement et l’autorisation de l’ouverture d’un compte en devises, ladite loi fait l’objet actuellement d’une grande polémique. Et pour cause, certains partis politiques, comme Attayar et Echaâb, pointent certains articles qui pourraient, selon leurs dires, porter atteinte aux principes d’équité et d’égalité entre les citoyens tunisiens. Entre autres, la loi qui a pour objectif d’inclure le secteur parallèle dans les cercles financiers légaux confère, en outre, aux entreprises opérant en Tunisie des facilités pour obtenir des prêts bancaires, afin de faire face aux dommages causés par la pandémie de Covid-19, avec des conditions faciles. Elle réduira également le recours à l’argent en espèce via des étapes allant jusqu’à -5 % sur les paiements électroniques ou numériques
Elle contribuera également à l’acquisition du premier logement pour tout Tunisien, permettant l’octroi de crédits plafonnés à 500 mille dinars, remboursables sur 40 ans, avec un taux bonifié et sans autofinancement
Sauf qu’en dépit de cette batterie de nouvelles mesures populaires que prévoit ce cadre légal, la loi sur la relance économique n’est pas exempte de critiques. Le député du Front populaire Mongi Rahoui, celui qui s’est fortement opposé à cette loi en pleine plénière, pense qu’un tel texte sert uniquement les intérêts des lobbies et des contrebandiers. Lui qui rappelle, dans de multiples apparitions médiatiques, que cette loi avait été proposée par Béji Caïd Essebsi dans le cadre de la loi de réconciliation nationale, puis par la commission des finances à l’occasion de la loi de finances de 2016, ensuite la commission des finances l’a rejetée à deux reprises en 2017 et 2019, affirmant qu’elle sert uniquement les intérêts des lobbies financiers en Tunisie et à l’étranger. «Cette loi sert les intérêts des contrebandiers et du marché parallèle de devises, ces derniers auraient fait pression pour faire passer la loi», a-t-il affirmé, ajoutant que cette loi est bénéfique pour les personnes ayant transféré leurs fortunes à l’étranger ou détenant des biens non-déclarés.
Risque de blanchiment d’argent ?
Au fait, ce qui dérange le plus dans ce cadre légal, ce sont notamment les articles relatifs aux infractions douanières et de change. En effet, la loi comporte un volet consacré au traitement des infractions douanières et de change, visant principalement à soutenir l’intégration du secteur informel dans l’économie. Sauf que certaines dispositions vont à l’encontre des articles du présent code de change en Tunisie. Il est notamment question de l’amnistie fiscale sur les avoirs en liquide, qui, selon les détracteurs de ladite loi, bénéficie aux contrebandiers, aux commerces parallèles et à ceux qui n’effectuent pas les déclarations d’employeur auprès des caisses sociales.
L’expert-comptable Walid Ben Salah est du même avis. Exposant les risques que pourrait provoquer une telle loi, il a expliqué que ce cadre adopté en plénière «permet chaque année à un contrebandier, un commerçant de devises ou un vendeur de drogue, de bénéficier de cette amnistie et verser l’argent qu’il a amassé dans son compte en devises après avoir payé les 10% exigés, sans aucune poursuite d’aucune nature». Il ajoute que cette loi deviendra la source de blanchiment d’argent dans la mesure où l’argent blanchi «pourra être utilisé dans leurs dépenses à l’étranger».
Même le rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Fayçal Derbal, a estimé que ce projet de loi risque de nous remettre sur la liste noire du Gafi, au vu des risques de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale.
Explications
Face à la polémique, le ministre de l’Economie, des Finances et du Soutien à l’investissement, Ali Koôli, était contraint de s’expliquer. Lui qui rappelle que ce projet de loi sera activé seulement s’il est publié au Jort et promulgué par le Président de la République, estimant qu’au-delà de la controverse, il renferme de «nombreuses bonnes idées et de mesures courageuses».
Koôli rappelle aussi que ce projet avait été présenté par le gouvernement Fakhfakh et que «certains partis qui s’opposent audit cadre faisaient partie de cette coalition au pouvoir l’ayant présenté». «Parmi les dispositions adoptées, une mesure révolutionnaire, dont je suis fier, et qui permettra à tous les Tunisiens et à toutes les familles tunisiennes d’avoir un logement, à des conditions très avantageuses, avec un taux fixe», a-t-il poursuivi.
Evoquant les risques de blanchiment d’argent, le ministre a indiqué que «tous les pays permettaient une régularisation des situations illégales, avant de commencer l’échange d’informations sur les comptes bancaires de leurs citoyens dans les autres pays», et d’insister que cette loi vise à donner une porte de sortie pour régulariser la situation de certaines personnes.
La position du ministre a été appuyée par l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) qui a qualifié la nouvelle loi sur la relance économique et l’amnistie de change adoptée par l’Assemblée de «renouveau législatif». Elle estime que cette loi assurera le sauvetage économique du pays à travers cette évolution législative qui garantira les droits économiques et sociaux dans tous les secteurs sans exception.
Il faut rappeler que cette loi, même si elle a été adoptée par le Parlement, devra être promulguée par le Chef de l’Etat qui ne s’est pas encore exprimé sur son contenu. Son application reste également tributaire des textes d’application et de l’intégration des différentes structures concernées dont notamment les banques qui devraient financer certaines lignes de crédits prévues par la loi.