Si la prestation et le résultat de Ons Jabeur à Wimbledon ont compensé nos déboires actuels et aidé à remonter le moral des populations, aucun doute là-dessus, les Tunisiens ne s’enflamment et ne dépriment généralement que de football; là, néanmoins, il y avait urgence, extrême urgence. Ne fût-ce qu’au tennis dit «bourgeois», à un sport de peu de pratique et d’ audience, il fallait «quémander» secours, s’accrocher.
Nous procédons , d’ailleurs ainsi, de décades en décades. Comme le foot nous passionne encore et nous déçoit en continu, nous nous contentons d’exploits historiques de temps en temps. Nous célébrons un moment des champions pour nous contenter ensuite de les commémorer. Nous l’avons fait pour Gammoudi en 60-70, pour notre sélection d’Argentine 78, pour Oussama Mellouli années 2000, pour d’autres encore non moins doués et dotés. Nous en cultivons le souvenir, nous en honorons l’exemple, mais à part cela cherchons-nous à en faire école ou tradition, à les reproduire, à les perpétuer ?
Plus d’un demi-siècle que Gammoudi n’a pas de successeur. Plus de quatre décennies que l’équipe de 78 n’ pas eu de pareille. Dix années que la natation tunisienne n’a pas remplacé Mellouli. Ce qu’accomplit aujourd’hui Ons Jabeur réjouit les cœurs, emplit de fierté , suscite admiration, compense les déboires du pays, remonte le moral des Tunisiens, affirme la présence mondiale d’une championne par-dessus tout, mais n’échappe pas encore aux interrogations. Aux anciennes comme aux nouvelles. Rappelons d’abord que Ons Jabeur n’est pas le pur produit d’instances publiques.
Ni d’école, ni de tradition, ni de fédération. L’ initiation est familiale et la formation est d’un club de région. Sa carrière internationale a, certes, débuté sous l’égide fédérale avec la victoire de Roland-Garros junior, mais il y a eu coupure de quelques années depuis. A notre avis, à ce jour non encore rattrapée. Rappelons, aussi, que la reprise en charge actuelle, autant que la sponsorisation de Tunisie Télécom ne datent que d’après les grands succès internationaux et les meilleurs classements ATP. La conséquence est que comme pour les rares autres idoles historiques, Ons Jabeur n’est suivie et traitée que pour elle-même. Pour sa seule carrière, pour ses seuls résultats. De même que pour Gammoudi et Mellouli.
Quand elle en aura fini, elle n’aura ni inspiré ni engendré d’autres champions. La crainte pour finir (la principale interrogation) est d’ordre technique. Stratégique. Quelle suite après ce Wimbledon 21? Nos publics de fans, nos commentateurs sportifs, Ons, elle-même, à travers quelques déclarations, parlent de poursuivre «en progression et sur la même lancée». Comprendre que les quarts de finale atteints à Wimbledon étaient un nouveau challenge, et qu’il y en aura d’autres. En grand chelem, pourtant, Jabeur a déjà atteint les quarts l’année dernière en Australie. Curieuse omission. Manque de confiance, peut-être. Notre sentiment , à nous : elle surévalue un peu trop ses concurrentes du Top 20. Physique, vitesse, service, drop shot et retours, revers ou coups droits : elles ne lui sont en rien supérieures. Quand elle en aura la conviction, enfin, elle n’aura plus que des places, mais des titres à viser.