Accueil A la une Guerre contre la corruption : Kaïs Saïed sur un terrain miné !

Guerre contre la corruption : Kaïs Saïed sur un terrain miné !

Les intentions du Président de la République sont bonnes, mais suffisent-elles pour mettre fin à un fléau aussi vieux que l’Etat tunisien ? Parviendra-t-il à mettre la main sur les lobbies et les cercles financiers corrompus? Sera-t-il en mesure de faire face à tous les barons de la corruption et de la contrebande? Aura-t-il le courage de donner un coup de pied dans la fourmilière? Tant de défis attendent le Président de la République qui jouit d’un soutien populaire inédit.

La guerre contre la corruption, longtemps évoquée par nos dirigeants, s’est malheureusement transformée en un simple discours politique. Aucun haut responsable ne prend ses fonctions sans évoquer une lutte sans merci contre la corruption, mais dix ans après la révolution, la Tunisie est presque au point mort. Il était question de mettre en place toute une instance de lutte contre ce fléau, de lui attribuer de larges prérogatives et de durcir le cadre légal, mais ce mal gangrène toujours et de plus en plus notre société.

Le Président, après avoir pris tous les pouvoirs, s’est lancé dans la guerre promise, celle de lutter contre la corruption, la malversation, la spéculation et tout autre phénomène qui pourrait nuire aux intérêts des Tunisiens. C’est en tout cas ce qu’il ne cesse de répéter : «Je vais les traquer tous», «aucune place pour les corrompus en Tunisie», «l’argent du peuple ou une main de fer», etc.

Certes, les intentions du Président de la République sont bonnes, mais suffisent-elles pour mettre fin à un fléau aussi vieux que l’Etat tunisien ? Parviendra-t-il à mettre la main sur les lobbies et sur les cercles financiers corrompus ? Sera-t-il en mesure de faire face à tous les barons de la corruption et de la contrebande ? Aura-t-il le courage de donner un coup de pied dans la fourmilière ? Tant de défis attendent le Président de la République qui jouit d’un soutien populaire inédit.

Au début, le Président de la République s’est attaqué aux circuits de distribution et aux entrepôts de spéculation dans une tentative de préserver le pouvoir d’achat des Tunisiens et de faire baisser les prix. Ensuite, c’est au tour des descentes spectaculaires dans les usines et entrepôts de stockage du fer de construction. D’ailleurs, il y a quelques jours, 31 tonnes de fer ont été saisies dans une usine à Zaghouan, son propriétaire est accusé de pratiquer la spéculation.

Le Président de la République, par le biais du chargé du ministère de l’Intérieur, s’est également attaqué à l’Instance nationale de lutte contre la corruption elle-même. Résultat : limogeage du secrétaire général de l’instance, son ancien président en résidence surveillée et son local à Tunis fermé par la force publique.

Les premiers ennemis

Sauf qu’en dépit de toutes ces mesures et décisions, et bien qu’il semble aller jusqu’au bout dans cette guerre, Kaïs Saïed marche sur un terrain miné. Les premiers ennemis de cette guerre ne sont autres que les barons de la corruption eux-mêmes. Kaïs Saïed, qui affirmait à chaque apparition médiatique qu’il les connaissait tous, doit en effet s’attendre à une résistance inédite de la part de certains lobbies et barons de la corruption. De la contrebande au marché parallèle, en passant par les cercles financiers corrompus, certains groupes de pression aux ramifications politiques et économiques pourraient s’allier pour contrecarrer cette manœuvre présidentielle. Leur stratégie repose, s’accordent les observateurs, sur une seule pratique : mettre des bâtons dans les roues et paralyser les rouages de l’Etat en instrumentalisant les crises sociales.

Kaïs Saïed et son cabinet sont-ils en mesure de prévoir de tels mouvements suspects ? Le ministère de l’Intérieur pourra-t-il faire face à ces agissements, notamment par le biais des renseignements ? La guerre n’est pas gagnée d’avance, à vrai dire.

Quelles armes pour cette guerre ?

Chaque guerre nécessite des outils et des armes et une stratégie. Si pour l’instant les armes du Président sont assez connues : un soutien populaire inconditionnel, une persévérance et une main de fer contre les corrompus, pour l’instant sa stratégie est manquante, ou du moins pas claire. Comment compte-t-il procéder ? Par où commencer alors que la corruption gangrène pratiquement tous les secteurs et frappe toutes les articulations de l’Etat ? Est-il plus judicieux de se pencher sur la corruption dans l’administration tunisienne qui pourrait affaiblir les actions présidentielles par le biais de la bureaucratie ? Rien n’est encore sûr. Mais ce qui est assez clair, c’est que l’une des armes les plus importantes de cette guerre n’est pas entre les mains du Président de la République : une justice forte, impartiale et équitable. En effet, cette lutte contre la corruption doit être menée en premier rang par une justice équidistante de toutes les couleurs politiques pour pouvoir s’attaquer à ce fléau. Or, en annonçant qu’il a pris aussi la présidence du parquet, le Chef de l’Etat avait été confronté à une opposition de la part du pouvoir judiciaire et notamment de la part du Haut conseil de la magistrature. Que faire maintenant ? L’exécutif, sous le contrôle du président, va-t-il prendre le dessus ? C’est la possibilité la plus plausible pour l’instant et notamment si on revient sur la stratégie communicationnelle du Président articulée autour des visites inopinées et des discours sur terrain.

La lutte contre la corruption en Tunisie est régie par un ensemble de textes de loi et par la Constitution de 2014. Ces dispositions interviennent notamment dans le cadre de la loi promulguant l’instauration de l’Inlucc. Les initiatives législatives et institutionnelles, entreprises jusqu’à présent sur la base de la Constitution très favorable aux réformes, sont assez encourageantes, mais elles devraient être consolidées et soutenues dans le temps, indiquent plusieurs rapports internationaux.

Lutter contre la corruption renvoie à un combat de longue haleine, qui nécessite l’implication de toutes les parties prenantes en Tunisie, la volonté du Président de la République n’est pas malheureusement une condition suffisante pour aboutir à quelques exploits et acquis en la matière.

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