
Croisons les doigts, comme disent les Français, et prions pour que le gouvernement que Saïed nous a offert, lundi, puisse résoudre les énormes et épineux problèmes auxquels est confronté notre pays. Croisons les doigts car nous sommes à deux doigts ou presque de la faillite générale.
Espérons que ce gouvernement d’exception, qui n’est autre que celui de Saïed, puisque ce dernier s’est adjugé le pouvoir exclusif de le nommer et de le révoquer et fait qu’il n’est responsable que devant lui, puisse faire avancer le pays, c’est-à-dire l’éloigner un tant soi peu du précipice.
Près de 80 jours sans gouvernement pour un pays fortement lié à l’économie et aux finances mondiales, gérées par les grandes Bourses où chaque minute compte, ne sont, hélas rien pour le Président. Celui-ci nous donne l’impression qu’il passe son temps à couper en quatre un à un les cheveux de bon nombre de concepts politiques et juridiques, à construire des fusées à lancer sur « ses ennemis » et à collectionner les photos servant à appuyer ses discours.
Pire, il n’a daigné donner aucune conférence de presse, ni se soumettre à un débat devant un amphi, pour se confronter à un auditoire averti et expliquer ce qu’il a fait et ce qu’il compte faire. Il s’est contenté à chaque fois de lancer des fusées contre « eux » (ses ennemis) et à alimenter la polémique autour des mesure qu’il a prises le 25 juillet puis le 22 septembre 2021 (Le fameux décret n°117) et à les accuser sans distinction de comploter et parfois de traîtrise.
Expliquant parfois que le pays n’avait pas de gouvernement selon la première version de la Constitution du 1er juin 1959, parfois que l’essentiel n’est pas d’avoir un gouvernement mais un programme, Saïed semble perdu dans les méandres de la théorie des régimes politiques, en se limitant à réitérer sa ferme volonté de changer le système politique et à lutter contre la corruption.
Aucun mot sur l’économie ni sur les finances publiques. Sa réflexion à propos des agences de notation a démontré encore une fois qu’il n’a aucune idée des mécanismes gérant les finances au niveau mondial puisque l’appréciation de ces agences est décisive pour convaincre bailleurs de fonds et autres institutions de prêt et investisseurs de tous bords de délier leurs bourses, ou non.
Qu’il soit appelé gouvernement ou administration (régime américain, calqué par Bourguiba de 1959 à 1970), l’exécutif qui gère les affaires publiques est fondamental pour chaque Etat. Le droit international définit d’ailleurs ce dernier selon trois critères essentiels: un territoire, un peuple et un gouvernement. Le peuple tunisien est d’ailleurs sorti en masse en avril 1938 pour revendiquer, entre autres, un gouvernement national comme pas décisif pour reconquérir sa souveraineté.
Et voilà que Saïed nomme, le 29 septembre dernier, Najla Bouden, une savante à la tête de son gouvernement (géologue). Dame qui force le respect et qui illustre à merveille le haut niveau de progrès auquel la femme tunisienne s’est haussée.
Depuis ce jour-là et jusqu’à lundi, la vénérable dame, qui n’a aucune expérience politique mais une petite expérience administrative, n’a livré aucune déclaration aux médias, renforçant ainsi et, à cause aussi de sa gestuelle, l’impression qu’elle pourrait n’être qu’une simple chargée du secrétariat du gouvernement de Saïed. C’est d’ailleurs ce que lui semble vouloir.
Son choix par Saïed a été interprété, par ceux qui ont pris une distance par rapport à la démagogie régnante, comme étant un acte lui ayant permis de faire d’une pierre au moins deux coups. Provoquer l’admiration intérieure et extérieure et aussi désarçonner ses détracteurs (femmes) et garantir sa mainmise sur l’équipe (manque d’expérience). Vouloir, à tout prix, rester seul maître à bord est, en effet, une constante que les faits ont révélé depuis début 2020. Une volonté qui a été à l’origine de deux chefs de gouvernement, catastrophiques .
Son allocution, à elle, lundi lors de la cérémonie du serment, n’a été aussi qu’une simple déclaration d’intentions, levant ainsi le doute quant à l’absence d’un vrai programme de travail permettant de faire face aux multiples défis auxquels est confronté le pays ?
L’allocution de Saïed n’a, quant à elle, pas dérogé à la règle. Au lieu d’un programme nous n’avons eu droit qu’à un discours digne du meeting populaire d’un chef de parti qui livre bataille contre ses ennemis, avec aussi son habituelle attaque contre une constitution qui a pourtant été la référence pour qu’il puisse se porter candidat à la présidence et à laquelle il a juré respect, après son élection.
Ce dernier point a été bafoué car l’article 80, auquel il se réfère pour justifier les mesures exceptionnelles prises et essayer de convaincre les autres qu’il n’est pas l’auteur d’un coup d’Etat, est un véritable mode d’emploi qui ne tolère aucune interprétation. Venant d’un constitutionnaliste, son rappel du «soutien populaire » n’est que pure démagogie puisque le peuple n’est pas la rue et qu’il n’exerce sa souveraineté qu’à travers les urnes.
Un problème de taille vient s’ajouter, d’un autre côté, à tant d’autres surgis depuis le 25 juillet dernier, l’absence d’une vision et d’un programme économique et financier, puisque le Président de la République n’est pas tenu d’en avoir un.
Or, et selon les mesures exceptionnelles, Saïed s’arroge le pouvoir de tracer les politiques publiques sans exception, ce qui est très grave car c’est un acte qui n’a aucune légalité car sans approbation des électeurs, à moins qu’il le soumette à un référendum (Art. 3 de la Constitution).
Bref, la situation du pays est devenue, hélas, plus compliquée et plus inquiétante, des débutants depuis le sommet de la pyramide et jusqu’à sa base (comme depuis 10 ans) et une rue en effervescence.
En plus de la détérioration flagrante de la production et de la productivité ainsi que du pouvoir d’achat des citoyens, la rue risque de devenir, en effet, plus violente. Quant aux réseaux sociaux ils sont devenus le théâtre d’une vraie guerre civile. Le flou est, hélas, devenu un brouillard à couper au couteau.