La nouvelle création «N’mout 3lik» est une succulente et hilarante comédie noire interprétée avec panache par un Lamine Nahdi, en pleine forme, d’après une adaptation subtile et intelligente signée Moncef Dhouib.
Ayech, un peu éméché, réveille sa femme en pleine nuit. Il lui annonce qu’il veut se suicider. Ayech est un diplômé au chômage depuis une dizaine d’années. Sa femme, Arbia, a trois boulots. Il refuse de vivre à ses dépens. Sa décision de mettre fin à sa vie est sérieuse. Il s’enferme dans la cuisine. Affolée, sa femme appelle à l’aide un voisin menuisier. Ce dernier le dissuade de commettre l’irréparable.
Petit à petit, la rumeur court dans le quartier qu’un homme veut mettre fin à ses jours, ce qui attire divers individus dans le café du coin, puis dans le village, qui essaient de convaincre Ayech non pas de se suicider, mais de le faire pour leur cause. Séduit par l’intérêt qu’on lui porte et la gloire posthume qu’on lui fait miroiter, Ayech, enfin convaincu, décide de passer à l’acte. Son suicide est attendu par tous. Il lui donne une nouvelle identité. Mais au fur et à mesure que l’échéance approche, il commence à se rétracter.
Après «Mekki et Zakia» (1993) et «Fi hek Sardouk Nraïchou» (2014), Lamine Nahdi retrouve encore une fois Moncef Dhouib dans cette adaptation du «Suicidé» de l’écrivain russe Nicolaï Erdman. La pièce a nécessité deux ans de préparation sans relâche entre les deux artistes, qui se sont inspirés de l’actualité politique et sociale tunisienne. Il y a des similitudes avec notre époque : Ayech, ce chômeur qui a perdu sa dignité et vit aux crochets de sa femme pour le nourrir, devient subitement un héros-sauveur au regard des gens. En désespoir de cause, ce candidat au suicide joue le jeu jusqu’au bout, embarquant le spectateur dans une spirale où le quotidien est traité de manière décalée et comique.
Rire de la mort pour mourir de rire, c’est le but de ce one man show, qui part d’une histoire simple de cet homme honnête aux pulsions suicidaires, pris dans le tourbillon d’une vie de chien et qui tente finalement de sauver sa peau malgré l’idée saugrenue de la mort qui lui traverse l’esprit. Lamine Nahdi, toujours égal à lui-même, a su avec brio porter la galerie de personnages : l’épouse, la belle-mère, le voisin menuisier, les bandits du quartier, l’intellectuel mégalomane défenseur de l’arabe littéraire, l’oncle et ses amis villageois, dont un poète, le policier toujours en grève, le groupe de jihadistes, les médias… Tous ces personnages comptent tirer profit de la mort de Ayech.
La pièce, très drôle, tente d’examiner une société affranchie de 23 ans de dictature et qui retrouve la liberté de parole, mais dans un contexte politique et économique difficile, voire marqué par l’absurde, et où le sens de la vie et de la dignité est égratigné. La pièce tire sa force par le jeu d’un comédien hors pair qu’est Lamine Nahdi et aussi un texte riche en métaphores, de dérision et de jeu de mots succulents, inspirés de la réalité. Une comédie noire où les personnages sont comme des monstres, interprétés par un infatigable Lamine Nahdi, puissant et généreux, qui s’amuse comme un fou et nous communique sa bonne humeur. De même, Moncef Dhouib qui nous fait partager un texte fécond, coloré et plein d’énergie.