«Travail, liberté et dignité». Un slogan qui, aujourd’hui, sonne encore fort, malgré l’âpre lutte que le peuple mène depuis 11 bonnes années afin de le concrétiser. Un slogan qui résume plusieurs aspirations restées, hélas, en suspens et qui était un lourd verdict que le peuple avait prononcé à l’encontre du régime en place. «Le travail est un droit, bande de malfrats», autre slogan resté aujourd’hui d’actualité.
Des slogans qui ont cédé la place à une terrible déception, car la situation du pays, tout au long de ces onze années, n’a fait qu’empirer, et ce, malgré une relative liberté, chèrement acquise. Liberté qui est d’ailleurs restée précaire, qui a laissé la place à une véritable gabegie et qui, aujourd’hui, est menacée par l’état d’exception et le pouvoir de fait décrétés par Saïed depuis le 25 juillet dernier.
Etat d’exception qui, hélas et en plus de sa nature illégale, ne semble pas se soucier de la condition quotidienne du peuple ni de l’avenir de l’économie du pays. Un état de fait qui a réduit l’Etat à une simple administration, sous les ordres du locataire de Carthage.
Oui, le peuple voulait, en janvier 2014, «provoquer la chute du régime» (un autre fameux slogan) et se libérer du joug d’un pouvoir mafieux, fasciste et policier. Oui et grâce, entre autres, à cette volonté, le pouvoir, en place à cette époque, a pu être décapité. Une action rendue possible grâce au gouvernement américain, qui avait préparé le terrain propice à sa concrétisation.
Les Américains avaient, en effet, provoqué l’échec du Smsi-Tunis 2005 (Sommet mondial sur la société de l’information) et mis en garde Ben Ali, dès 2008, contre sa velléité de se représenter à la présidentielle. En 2009, le gouvernement américain s’était d’ailleurs abstenu de féliciter Ben Ali, réélu par la force de sa machine répressive et quelques mois plus tard, sa mafia entama la mobilisation populaire pour réclamer sa réélection en 2014.
Dans le cadre de leur projet sioniste pour la région arabe qui projetait, entre autres, de détrôner le trublion colonel de Tripoli, ils avaient focalisé leur action sur la formation de jeunes leaders et mis le pouvoir sous les feux de la chaîne qatarie «Al Jazira». Lors du déclenchement du soulèvement populaire le 17 décembre 2010, ladite chaîne joua un rôle décisif dans le déroulement des événements. L’opinion publique était galvanisée par ses images et les foules mobilisées par les réseaux sociaux, que Ben Ali avait voulu contrôler une année auparavant.
Une heure avant l’annonce de la «fuite» du dictateur, le 14 janvier 2011, en scoop mondial par ladite chaîne, plusieurs sous-fifres du pouvoir, dont certains cadres du RCD, parti-mafia, s’en étaient lavé les mains, dans le micro… de la même fameuse chaîne. Il faudrait rappeler que les célèbres « fuites WikiLeaks» qui avaient, quelques mois auparavant, dénoncé le caractère mafieux du pouvoir, avaient fait leurs effets.
Les Américains avaient alors fait en sorte que Ben Ali se déplace en Arabie saoudite, à y rester définitivement, à s’y tenir tranquille et accepter le fait accompli. Cependant, les deux autres têtes de l’hydre, Leïla Trabelsi, l’épouse de Ben Ali et son frère Belhassen, sont restés libres et avec eux des sommes astronomiques. Imaginons ce qu’ils ont pu faire à l’aide de tout cet argent. Pourquoi imaginer puisque une bonne partie des malheurs de notre peuple, que l’on a voulu punir pour avoir dit non, provient de ce que cet argent sale a pu causer comme dégâts.
Le régime est tombé, mais comme l’avait dit feu Tarak Mekki, un grand opposant à Ben Ali qui vivait en exil, deux ou trois années plus tard, «la Mafia avait un chef, aujourd’hui, on ne sait plus qui la contrôle». El Mekki, un homme courageux et lucide qui avait toujours incité le peuple à ne plus accepter la dictature et qui est mort d’une mort louche.
Oui, le pouvoir était corrompu jusqu’à la moelle des os et était contrôlé par «Al ayla el melka» (la famille régnante, ou propriétaire) qui avait transformé le peuple en sujets et qui considérait le pays comme son propre ranch.
La mafia, dont le chef n’était autre que le chef de l’Etat lui-même, contrôlait l’essentiel de l’économie du pays (production et services) qui devenait de plus en plus informelle et même souterraine. Le chef de l’Etat ne se gênait alors plus à prendre des décisions, sous forme de décrets restés non publiés afin de gonfler les caisses de la mafia. Cela sans oublier ses interventions directes dans ce sens.
Tout devait, en effet, passer par elle, y compris les produits prohibés et ceux qui ne se pliaient pas à sa volonté étaient, tout simplement écartés, avec tout ce que le vocable avait comme significations. Résultat, mort lente de notre production locale, y compris agricole et artisanale. Onze ans après, le pays reste hélas encore sous le pouvoir des mafias.