Accueil Economie Supplément Economique L’entreprise autrement | Une onzième année de perdue (VI)

L’entreprise autrement | Une onzième année de perdue (VI)

O

ui, nous avons encore perdu une année, alors que d’autres peuples ont non seulement gagné une année, mais plusieurs en termes d’accélération du progrès. Pire, perdu toute une décennie, partie en fumée, dans d’interminables conflits idéologiques, politiques, sociaux  et autres.

Conflits et autres tiraillements sur fond d’immaturité, d’irresponsabilité, de règlements de comptes, d’opportunisme, de cupidité et d’autres vices. C’est pour cela que nous avons parlé de faillite morale à côté de la faillite, politique, économique, sociale et culturelle qui nous guette.

Toute une décennie de perdue, mais aussi les deux qui l’avaient précédée et aussi les trois d’avant elle. Résultat, aggravation de notre dépendance à tous les niveaux (alimentaire, économique, technologique, etc.) et régression flagrante dans tous les domaines ou presque. Une dépendance qui est devenue un vrai boulet et qui a pris d’assaut tous les domaines. Y compris celui du culturel, dans le sens où nous sommes devenus des  imitateurs  bruts.

Chose extrêmement grave qui veut dire que notre identité culturelle est en train d’être détruite par nous-mêmes et que c’est nous-mêmes qui importons  des produits étrangers de rechange. Imitateurs culturels bruts, oui, tout comme cette importation anarchique qui a détruit notre tissu industriel, déjà fragile, et notre artisanat qui n’est autre que  l’expression économique et technique de notre identité et de notre génie.

Même notre dépendance scientifique qui, à un certain moment de notre histoire, a commencé à devenir de plus en plus faible, est devenue aujourd’hui inquiétante. D’abord en l’absence d’une réelle volonté utile pour le renforcement des moyens, ensuite à cause du manque de moyens financiers, des sommes sont,  en effet,  dépensées en salaires dans la fonction publique et pour une meilleure sécurité.

Oui, le peuple voulait, en janvier 2011 «provoquer la chute du régime » (un autre fameux slogan) et se libérer d’un pouvoir mafieux, fasciste et policier. Le régime avait, en effet, voulu réprimer dans le sang le soulèvement populaire déclenché en décembre 2010, comme il avait fait pour mater le soulèvement du Bassin minier en 2008.

Un régime qui avait confisqué au peuple tous ses droits, et qui n’avait plus aucune légitimité, ni d’ailleurs aucune légalité (élections bidon). Un régime dictatorial, donc castrateur et violent et parfois sanguinaire, tenu par une bande corrompue jusqu’à la moelle des os.

Ladite bande était à la solde d’«Al  ayla al melka» (la famille  régnante, ou propriétaire). C’est-à-dire Ben Ali et son clan (sa famille élargie, Trabelsi et autres) qui se sont transformés en une véritable mafia. Celle-ci  avait transformé le peuple en sujets et qui considérait le pays comme son propre ranch, et ce, grâce à une administration et des médias pourris, le RCD, parti fasciste au pouvoir et la police. (Voir notre précédente chronique).

Même le tabac, monopole de l’Etat, par excellence, production et commercialisation, est devenu la chasse gardée de la mafia. Le marché était inondé par les cigarettes de contrebande que l’on vendait sans aucun scrupule même devant le siège du ministère de l’Intérieur. Une marchandise encore plus toxique que celle du monopole et qui a coûté des pertes énormes au Trésor public.     

Elle avait pour cela, ainsi que pour toutes les activités informelles et /ou illégales créé un dense réseau de contrebandiers et de détaillants et infiltré les forces de sécurité intérieures et les Douanes, l’administration publique, la justice, les médias, et le parti au pouvoir, donc les deux chambres législatives.

Toute décision de l’Etat était ainsi prise de façon à renforcer le pouvoir de ladite mafia, à lui faciliter l’accès aux richesses du pays, et à l’acquisition des parts de l’Etat dans les grandes entreprises. Pire, à lui garantir sa pérennité. La pieuvre œuvrait, en effet, d’arrache-pied, à ce que le chef de l’Etat soit toujours l’un de ses membres.

Lors d’un stage en journalisme économique effectué en 1994, en France, l’un des hommes d’affaires français interviewé, nous avait confié que la plupart de ses confrères évitent de consentir à de vrais investissements en Tunisie, car ils ont eu la certitude que notre pays était rongé par la corruption. Même remarque émise, en 2005 par le représentant d’une entreprise originaire du Golfe.

A cette époque-là, et dans le cadre de nos activités journalistiques, nous avons assisté, dans un hôtel de luxe, à un spectacle révélateur de ladite situation. Une réunion de haut niveau entre les autorités tunisiennes et une délégation de l’un des pays du Golfe.

Notre ministre des Affaires étrangères présidait alors les discussions préliminaires dans un salon en aparté. Entre alors en grande pompe Belhassan Trabelsi, beau-frère de Ben Ali. Toute l’assistance se lève et le ministre lui cède alors la présidence. Affaires étrangères dites-vous ? Affaires, tout court. Une scène qui en dit long sur le business de notre mafia.        

Jusqu’à la fin du règne Ben Ali, nous avions été saisi, en tant que journaliste, de plusieurs dossiers de «destruction», par cette terrible mafia, de méga projets, à haute valeur ajoutée. Nous n’avions rien pu faire non sans quelques vaines tentatives. Le chef du régime mafieux a été écarté, mais le régime a, hélas, tenu bon.

Charger plus d'articles
Charger plus par Foued ALLANI
Charger plus dans Supplément Economique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *