C’est le projet personnel du Président de la République. Pour certains, il s’agit même de son rêve de voir une telle réconciliation aboutir au développement régional. Une équipe d’experts juridiques, économiques et sociaux, se penche actuellement sur ce projet ambitieux, mais pour certains irréalistes, au vu de la complexité des procédures et du poids de la bureaucratie en Tunisie. Autant dire que ce projet de décret ambitionne de rompre avec cette situation de blocage procédural et compte accélérer la mise en place de la conception du Président de la République inspirée par les pays d’Amérique latine.
Même avant son élection en tant que Président de la République, Kaïs Saïed, à l’époque professeur universitaire, avait évoqué sa vision portant sur la mise en place de toute une philosophie de réconciliation pénale novatrice et qui rompt avec les anciennes expériences vouées à l’échec. Un projet qui lui tient à cœur au point qu’il ne rate aucune apparition médiatique pour faire sa promotion. Selon son entourage, il voit en lui une véritable solution pour la crise du développement régional et de la pauvreté dans les régions intérieures. En résumé, son idée porte sur l’établissement d’une liste d’hommes d’affaires corrompus, ces derniers devraient investir dans les localités les plus démunies en fonction des dépassements commis, et des sommes d’argent détournées.
Si le principe paraît justement simple, il fait déjà face à une multitude d’obstacles et à un arsenal juridique complexe. D’ailleurs, pour certains, c’est un projet utopique. Or, pour le Président de la République, la mouvance du 25 juillet doit impérativement créer les solutions pour remédier à la situation de blocage.
En tout cas, une équipe de travail se penche sur l’élaboration d’un premier draft de ce projet de décret présenté comme révolutionnaire par le Palais de Carthage. A triple dimension sociale, économique et judiciaire, ce projet ne fait pas, pourtant, l’unanimité et fait déjà l’objet d’une grande résistance.
Le CSM s’y oppose déjà !
Le premier draft présenté au Conseil supérieur de la magistrature a été déjà rejeté par cet organe constitutionnel. D’où l’origine du conflit avec le Président de la République, selon certaines informations. Au fait, il paraît que le premier draft, pas encore officialisé, envisage de mettre en place une juridiction spécialisée dans les affaires de réconciliation pénale, ce qui a été immédiatement rejeté par le CSM qui tient à l’homogénéité de l’appareil judiciaire tunisien.
Aussi, le décret devrait-il se baser sur les résultats des investigations effectuées par la commission Abdelfattah Amor, créée en 2011. Celle-ci a dressé une liste de centaines de personnes soupçonnées de corruption, et d’avoir dérobé des milliards de dinars à l’Etat et aux banques tunisiens.
En effet, cette conception de la réconciliation pénale qu’il va expliciter dans le décret présidentiel, dont la publication se fait attendre, semble s’inspirer largement des travaux de cette commission.
Élaboré dans une conjoncture politique bien connue, le document de ladite commission ciblait 460 hommes d’affaires liés à l’ancien régime. D’ailleurs, dans de précédentes apparitions médiatiques, Kaïs Saïed évoquait 13.500 millions de dinars spoliés à l’Etat tunisien, et c’est à peu près la somme précisée dans ledit rapport. Or, ce rapport de 350 pages, publié fin octobre 2011, est un document engagé contre l’ancien régime et ses hommes d’affaires. Il ne comporte pas, cependant, les hommes d’affaires corrompus et ayant fait fortune après la révolution. Pour certains économistes, ce document ne pourrait en aucun cas servir de point de référence pour engager des poursuites contre des hommes d’affaires.
Une équipe d’experts mobilisée
Mais selon nos informations, une équipe d’experts en économie, en fiscalité et en comptabilité a été chargée en toute discrétion par la présidence de la République de se pencher sur cette question. L’objectif est d’actualiser cette liste d’hommes d’affaires corrompus, mais aussi estimer les sommes d’argent détournées après la révolution.
En tout cas, selon la conception du Président de la République, chacun de ces hommes d’affaires devra s’engager dans le cadre de cette réconciliation pénale à réaliser des projets dans toutes les délégations et localités de Tunisie, qui seront classées par ordre décroissant de la plus pauvre à la moins pauvre. Celui qui est le plus impliqué dans des affaires de corruption réalise des projets dans la délégation la plus démunie. Mais ces mesures sont-elles réalisables? Pouvons-nous facilement engager une telle procédure de réconciliation en tenant compte de la lourde machine de la bureaucratie et de l’administration tunisienne ? Existe-t-il un risque de tomber dans la diffamation et dans l’injustice ?
Comment le Président de la République compte-t-il concrétiser sa conception et sa vision des choses ? Saura-t-il mettre en place un cadre juridique clair pour restituer ces fonds ? En tout cas, un décret présidentiel est attendu pour mettre tout au clair. Mais comme prévu, le Palais de Carthage devra mettre tout le monde devant le fait accompli en publiant très prochainement ce texte.