Encore une journée sous haute tension à Tunis. Et ça se comprend, les Tunisiens sont descendus dans la rue revendiquer la vérité sur l’assassinat de la figure tunisienne de l’opposition Chokri Belaïd. Neuf ans après, le mystère reste tout entier, et on ne sait aucun détail sur son lâche assassinat au matin du 6 février 2013 devant son domicile.
Déjà, dans une heure tardive du samedi dernier, le Chef de l’Etat a surpris tout le monde en annonçant à demi-mot la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qu’il accuse de manipulation de certaines affaires de justice dont notamment les dossiers des assassinats politiques en Tunisie. Lui qui rappelle que les Tunisiens ont le droit de manifester pour revendiquer la vérité sur ces assassinats n’a pas omis d’appeler une nouvelle fois à une justice indépendante pour préserver les droits de tous les Tunisiens.
Et c’est d’ailleurs ce slogan qui a marqué les protestations d’hier dimanche, en commémoration de la date d’assassinat de Chokri Belaïd. Le premier rassemblement a eu lieu vers 10h, devant le domicile du martyr, où plusieurs personnes et des personnalités politiques et publiques ainsi que des membres de sa famille se sont réunis pour poser un bouquet de fleur juste sur le lieu de son assassinat qui avait choqué tous les Tunisiens.
Le 6 février 2013, Chokri Belaïd, figure marquante de la gauche, était lâchement abattu de trois balles tirées à bout portant. Neuf ans après cet assassinat, la Tunisie a commémoré la disparition du martyr à l’heure où le procès, a été maintes fois reporté et où les ramifications politiques de cette affaire ont manifestement nui au procès privant les Tunisiens de connaître la vérité, toute la vérité.
C’est dans ce sens que plusieurs organisations et partis politiques tels que l’Ugtt, l’Ordre national des avocats tunisiens, l’Atfd, Echaâb, Al Massar et le Parti des patriotes démocrates unifié s’étaient donné rendez-vous hier à la place des droits de l’homme, à l’avenue Mohammed-V
En effet, parallèlement, un rassemblement a eu lieu à Tunis et plus précisément à l’avenue Mohamed-V où des citoyens sont descendus manifester pour connaître le sort des assassinats politiques en Tunisie mais surtout pour revendiquer la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et l’instauration d’une justice indépendante et équitable. Face à un grand dispositif sécuritaire, les manifestants ont été interdits d’accès à l’avenue Habib-Bourguiba, aucun incident entre les protestataires et les forces de l’ordre n’a eu lieu.
Manifestation devant le CSM
En même temps, plusieurs personnes se sont rassemblées hier dimanche devant le siège du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à Tunis appelant à le dissoudre. Sous haute présence sécuritaire, les manifestants ont affiché des slogans hostiles au Conseil, l’accusant d’avoir contribué à la manipulation des affaires d’assassinats politiques en Tunisie. Pour eux, le Président de la République a répondu aux aspirations du peuple en annonçant qu’un décret présidentiel allait mettre fin à ce Conseil. D’ailleurs, le mouvement «25 juillet» a annoncé son intention d’observer un sit-in ouvert devant le siège du CSM.
Pourtant, un grand dispositif sécuritaire a été observé hier à l’avenue Louis-Braille à Tunis, où plusieurs dizaines de policiers ont bouclé le quartier. Les rues avoisinantes ont été fermées à la circulation et l’accès a été interdit.
Ces manifestations intervenaient, semble-t-il, suite à l’appel lancé par le Président de la République la veille, lors de sa visite au ministère de l’Intérieur. «C’est le droit des Tunisiens, et c’est notre droit, de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature… Ce Conseil où les postes sont vendus et où le mouvement judiciaire s’opère sur la base des allégeances et non pas de la loi», a-t-il déclaré lors d’une réunion, samedi soir, au siège du ministère de l’Intérieur, avec le ministre Taoufik Charfeddine et plusieurs hauts cadres du département, insinuant la dissolution de cet organe constitutionnel.
Remous et réactions
Cette décision, qui devra être officialisée sous peu par le biais d’un décret présidentiel, a fait réagir la classe politique. En effet, plusieurs partis et personnalités politiques ont réagi à l’annonce du Président de la République qui met fin au pouvoir du CSM. Le parti Amal wa Amaal qui était le premier à réagir est allé jusqu’à appeler les juges à observer une grève générale et à présenter une démission collective pour rejeter cette décision.
Le secrétaire-général du Parti du peuple, Zouhaier Maghzaoui, a soutenu dans ce sens la décision du Président de la République, estimant que ce Conseil a perdu toute indépendance et crédibilité. Contrairement au secrétaire-général du Courant démocratique Ghazi Chaouachi qui, lui, estime que «cette action intervient dans la continuité du processus individualiste engagé par Kaïs Saïed».
Dans ce contexte, le Parti des patriotes démocrates unifié (Watad) a fait porter au système judiciaire «l’entière responsabilité du détournement du dossier de l’assassinat des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi».
Il a considéré que «la justice tunisienne est inapte, dans son état actuel, à statuer sur de telles affaires décisives pour l’avenir du pays, en raison de calculs et d’intérêts politicards étriqués». Il a affirmé également que les actions menées par le parti et les efforts du comité de défense pour révéler la vérité sur ces deux assassinats «se sont heurtés durant toutes ces années à diverses entraves au sein des appareils judiciaire et sécuritaire».
crédit photo : © Abdelfettah BELAID