Si à un moment donné certaines entreprises publiques faisaient les beaux jours de l’économie nationale, aujourd’hui le constat est sans appel : rares sont celles qui parviennent à assurer leur équilibre financier et payer les salaires sans l’aide de l’État. Pourquoi en sommes-nous arrivés à cette situation catastrophique ? A qui la faute et comment y remédier ? Ce sont les trois questions auxquelles nos décideurs doivent forcément trouver des réponses avant tout plan de réforme.
La Tunisie s’apprête aujourd’hui, lundi, à reprendre ses négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) dans une nouvelle tentative de parvenir à un accord sur une ligne de crédit indispensable pour trouver les équilibres budgétaires de l’Etat. Si cette institution financière urge des réformes structurelles de la masse salariale et du système de subvention, c’est aussi la situation des entreprises et établissements publics qui sera au cœur de ces négociations.
La Tunisie est dos au mur, elle ne bénéficie plus de marge de manœuvre dans ses négociations avec le FMI et les autres institutions financières. Nous sommes en effet arrivés à ce que certains observateurs de la scène nationale craignent. Le pays, au bord de la faillite, ne fera, malheureusement, qu’appliquer les consignes, voire les diktats du FMI. Une situation qui met à mal le discours longtemps adopté par nos décideurs mettant en avant les principes de la souveraineté et de l’indépendance. Même le ministre de l’Economie et de la planification, Samir Saied, a reconnu ce constat, affirmant que «la Tunisie est victime d’une situation économique extrêmement difficile».
Une situation économique qui a été accentuée par la mauvaise gestion des entreprises publiques depuis leur création jusqu’à nos jours. Si à un moment donné certaines de ces entreprises faisaient les beaux jours de l’économie nationale, aujourd’hui le constat est sans appel : rares sont les entreprises publiques qui parviennent à assurer leurs équilibres financiers et payer leurs salaires sans aides étatiques. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation catastrophique ? A qui la faute et comment y remédier ? Ce sont les trois questions auxquelles nos décideurs doivent forcément trouver des réponses avant tout plan de réforme.
En tout cas, tous les observateurs de la scène nationale s’accordent sur ce constat : c’est la gestion catastrophique qui a fait que ces entreprises soient déficitaires et peinent même à payer les salaires de leurs fonctionnaires. Dettes insoutenables, sureffectif, absence de stratégie de numérisation et autres, ces établissements sont devenus malheureusement à la merci des aides publiques occasionnelles et parfois irrationnelles provoquant un effet dévastateur sur les finances publiques.
7 à 8% du PIB
Selon un rapport élaboré par le FMI l’année dernière, les transferts et les injections réguliers de fonds publics au profit de ces entreprises représentent 7 à 8% du PIB annuel. Ces sociétés sont en plus lourdement endettées, les experts de la mission ayant estimé la dette à hauteur de 40% du PIB. Des chiffres qui font froid dans le dos si on rappelle que l’Etat peine déjà à payer ses fonctionnaires et que ces fonds sont assurés au détriment de l’investissement et du développement.
S’agissant par exemple des caisses sociales, la situation est vraiment alarmante. Le déficit de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) est passé de 530 millions de dinars en 2018 à 1,07 milliard de dinars en 2020, avec une aide de l’Etat et participation sociale solidaire de 40 millions de dinars (MD).
Pour sa part, l’endettement de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (Cnrps) est passé de 2,69 milliards de dinars à 3,56 milliards de dinars pour cette même période. Une situation qui s’explique par une gestion défaillante et l’absence de réformes nécessaires, mais surtout par la défaillance de tout le système de sécurité sociale.
Notons également que le rapport pointe le niveau d’endettement de ces sociétés et leur capacité de remboursement en tant qu’une menace sur le budget de l’Etat. Ainsi, les dettes non-remboursées de ces sociétés ont augmenté de 18% entre 2019 et 2020, atteignant 957 MD. Parmi elles, on peut citer la Société nationale de cellulose et de papier Alfa qui n’a pas remboursé 250 MD, la Transtu 244 MD, la Steg 99 MD, la société tunisienne de sidérurgie El Fouladh 60 MD et l’Office national de l’assainissement 58 MD.
Ces chiffres témoignent en effet d’une mauvaise, voire de l’absence d’une gouvernance de ces entreprises qui emploient pourtant des milliers de Tunisiens. Depuis plusieurs décennies, ces entreprises sont malheureusement livrées à elles-mêmes sans aucune visibilité. Le contexte national et économique hostile à la compétitivité et à la créativité a nettement réduit le rendement de ces entreprises gérées longtemps sur la base du gaspillage et de la dilapidation de l’argent public loin de toute forme de compétitivité et de productivité. La lutte contre la mentalité de ce qui est communément connu sous la dénomination de “Rizk el bilik” (Gaspillage et dilapidation des biens publics) demeure en effet une condition indispensable pour remédier à la situation.
Quoique réformer ces entreprises en difficultés s’annonce une rude épreuve surtout si on rappelle l’opposition et la résistance en interne observées notamment par certains syndicats.
D’ailleurs, le plan de sauvetage et de réformes lancé par le transporteur national Tunisair devrait servir d’un projet pilote pour réussir ce défi. Ce plan de développement des services de la compagnie comprend principalement l’acquisition de nouveaux avions et l’amélioration des performances des employés et le licenciement d’environ 1000 travailleurs dans le but de restaurer les normes internationales qui distinguaient l’entreprise.
Reprise des négociations
Les autorités tunisiennes et le Fonds monétaire international (FMI) s’apprêtent, aujourd’hui lundi, à reprendre les discussions autour d’un nouvel accord de financement, à l’heure où la Tunisie peine à mobiliser des ressources extérieures afin de financer son budget de 2022.
Dans le cadre de ces nouvelles négociations, qui se poursuivront jusqu’au 22 février, les équipes du FMI devraient tenir des réunions virtuelles avec la ministre de Finances, le ministre de l’Economie et de la Planification, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et d’autres ministres dont les départements sont concernés par les réformes à mettre en place. Parmi les engagements de la Tunisie, on note la gouvernance des entreprises publiques, étant donné que la situation actuelle de la majorité de ces sociétés surendettées impose une réforme structurelle.
Cette réforme reposera sur la révision de la politique de participation de l’Etat dans le capital des entreprises publiques, qui devront assainir leur situation financière que ce soit à travers la régularisation des dettes de l’Etat et des sociétés, le rééchelonnement des dettes bancaires, l’audit des montants dus, la réévaluation des actifs des sociétés et la mise en place d’une politique de couverture des risques du marché.