Amnistie fiscale | Des citoyens refoulés des Recettes des Finances pour faute d’agents en nombre suffisant : « Pour payer, revenez demain ! »

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Par Mohamed ElMoncef

« Vous ne voyez pas à quel point la file d’attente est longue ?! Revenez demain ! ». Comme tous les jours, ou presque, et depuis des semaines, l’employé qui s’occupe de la file d’attente (nouvelle fonction !) au sein de cette recette des finances essaie de refouler l’excédent de personnes qui attendraient, en vain, leur tour d’être reçus pour déposer leur demande d’amnistie fiscale, horaire de Ramadan oblige. Une scène quotidienne qui frôle le ridicule, alors que le pays  a grandement besoin d’une lampée pour lubrifier ses finances.

Sous un soleil de plomb, les Tunisiens font la queue non pas pour encaisser mais pour payer. « Cela fait plus de deux ans que je ne paie plus mes impôts. Deux ans que je ne travaille presque plus, ou si peu que les recettes suffisent à peine à faire vivre ma famille. Les confinements de la crise sanitaire nous ont tués. Pendant ce temps, le fisc et la Cnss continuent à pénaliser les retards, à envoyer leur courrier menaçant comme si l’on ne vivait pas une catastrophe majeure. Alors oui, cette amnistie fiscale tombe à pic pour nous aider à régulariser nos défauts de paiement avec des facilités et sans pénalité. On ne peut pas faire autrement. Même si l’Etat nous menaçait de prison, on ne pourrait pas le payer sans cette amnistie. Il ne fallait pas nous empêcher de travailler. Plusieurs pays n’ont pas connu cette catastrophe parce qu’ils n’avaient pas confiné leurs populations et ils ont eu moins de morts que nous tout en protégeant leurs économies ». Ce coup de gueule vient de M. Mohamed, chef d’entreprise, presqu’en chômage, prenant racine dans une longue file d’attente, devant la recette des finances de sa région.  « J’ai envie de hurler ! », murmure ce quinquagénaire, chauffé à blanc par un soleil qui sévit dans une rue sans arbres. Pourtant, vu qu’il est venu très tôt aujourd’hui et contrairement à vendredi dernier, il peut caresser l’espoir de passer.

« Rien ne passe, ou presque…depuis une semaine ! »

L’affirmation est d’Imen. Une jeune comptable, déjà aigrie par ses dix années d’expérience de pratiques  comptables sous d’innombrables gouvernements. « J’ai envoyé la semaine dernière ma secrétaire à trois différentes recettes des finances. Dans chacune d’elles, elle devait assainir la situation du dossier d’un client qui voudrait régulariser trois années de défaut de paiement ». Un dossier assez fourni, vite refusé par l’unique agent au guichet de la première recette des finances : « Vous ne voyez pas la file d’attente. Je suis seul, je ne pourrai pas consacrer tout mon temps à un seul dossier. Essayez de revenir demain ». Refoulée, la secrétaire avait connu le même sort la semaine d’avant.

Dans la deuxième recette des finances, sur trois années d’exercice, une seule sera traitée par l’un des deux agents en service. Pour le reste, on lui demanda de revenir demain. Tel est le cas pour la troisième recette des finances.

Pourquoi ?

Imen explique les différentes raisons de cette lenteur à traiter les dossiers ciblés par l’amnistie fiscale :

• « La charge de travail est énorme vu l’affluence des citoyens.

• On a constaté le départ en congé de plusieurs agents dans cette période, pourtant, très encombrée par l’amnistie. Peut-être est-ce une façon, justement, d’essayer de fuir cette période « folle » de lourde besogne.

• Tout le monde sait que les agents des impôts n’aiment pas les amnisties fiscales. Ils ont des primes sur le recouvrement des créances qui s’amenuisent avec l’amnistie. Donc, ils ne sont plus motivés et perdent courage avec la charge insupportable de travail

Paroles d’une comptable qui fréquente les recettes des finances depuis dix ans.

Et la solution alors ?

Jeudi dernier, l’Association des jeunes experts-comptables de Tunisie a appelé le ministère des Finances à prolonger les délais relatifs à l’amnistie fiscale jusqu’au 30 juin 2022. L’expiration des délais de l’amnistie fiscale fixés par l’article 67 du décret-loi n°2021-21 relatif à la loi de finances 2022 ne devrait donc pas avoir lieu le 30 avril.

Cette prolongation des délais se justifierait, selon l’association, par « les difficultés d’exécution de cette mesure par le ministère des Finances, notamment à la suite du retard pris pour la mise à jour du système, d’une part, et la situation économique difficile des contribuables, d’autre part. »

En plus clair, le citoyen ne devrait pas payer pour le retard de la mise à jour du système par le ministère, surtout quand il est prêt à s’acquitter de ses dettes et que l’administration n’est pas en mesure de le lui permettre.

L’Etat risque de perdre des milliards de dinars

« L’Etat risque de perdre des milliards de dinars s’il ne prolonge pas les délais de l’expiration de l’amnistie de plusieurs mois. Des dizaines de milliers de gens ne demandent qu’à payer leurs impôts mais l’administration ne dispose pas d’assez d’agents pour que cela soit fait dans les délais prévus. Des dizaines d’autres seront peut-être capables de payer leurs dettes fiscales dans quelques mois mais pas maintenant parce qu’ils viennent tout juste de sortir d’une crise majeure. Une bonne partie de tout ce monde sera définitivement incapable de s’acquitter de ses dettes fiscales autrement. Cette partie risque, alors, de balancer définitivement dans le circuit économique parallèle…si ce n’est déjà fait ».

Paroles de L.K, un expert-comptable au bord de la retraite et qui ne cache pas son amertume de quitter son poste sans avoir pu faire quoi que ce soit pour aider à sauver son pays des différents chocs qui le désarçonnent.

M.E.M.

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